C’est en pleine campagne présidentielle qu’a été lancé l’appel des « 10 choix politiques pour en finir avec le sida ». Si le VIH a été peu présent dans la campagne, les promoteurs de cet appel entendent bien continuer à sensibiliser les politiques sur l’urgence de se mobiliser face aux inégalités sociales de santé.
« Certes, nous n’avons pas pesé comme nous l’espérions sur la campagne présidentielle. Mais cet appel a quand même eu un réel écho et surtout, il a permis de lancer une dynamique collective autour de la question du VIH et des hépatites », indique Anne Monnet-Hoel, coordinatrice du COREVIH arc alpin. « Cet appel a montré notre capacité de mutualisation et à faire parler d’une seule voix tous les acteurs associatifs ou médico-sociaux, les médecins, les soignants. Et c’est avec le même esprit que nous allons continuer à mobiliser les responsables politiques », ajoute Guy Molinier, directeur d’Act-Up Sud Ouest. « C’était très important de faire bloc pour dire que la lutte contre le sida reste une urgence », complète Anaïs Saint-Gal, responsable plaidoyer à Sidaction.
« L’épidémie à VIH n’est pas terminée »
C’est un regard partagé que portent aujourd’hui les promoteurs de l’appel des « 10 choix politiques pour en finir avec le sida ». Une prise de parole forte qui s’est fait entendre à la fin du mois de mars dernier. Avec un objectif précis : interpeller le monde politique à l’occasion de l’élection présidentielle puis des législatives. « L’épidémie à VIH n’est pas terminée. Pour atteindre les objectifs 0 nouvelle contamination au VIH, 0 nouveau cas de sida, 0 discrimination d’ici 2030 tels que décidés dans la Stratégie Nationale de Santé Sexuelle, il est essentiel de maintenir les moyens et d’accélérer la réponse », indiquait cet appel, signé par 54 associations nationales et territoriales (dont 6 sociétés savantes et réseaux professionnels), 19 COREVIHs et 17 chercheurs et chercheuses.
L’origine de cet appel remonte au congrès de la Société française de lutte contre le sida (SFLS) qui s’est tenu fin septembre à Grenoble. Les organisateurs avaient alors lancé ce qui est resté comme « l’appel de Grenoble » afin d’interpeller le gouvernement via Olivier Véran le ministre de la santé de l’époque. « Le thème du congrès était les inégalités de santé et le VIH. Et en préparant les débats, on s’est rendu compte qu’un certain nombre de leviers sur ces inégalités échappaient aux acteurs du VIH. Il s’agissait de leviers politiques sur lesquels nous n’avions pas la main », raconte Anne Monnet-Hoel « Comme Olivier Véran est originaire de Grenoble, on se disait qu’il pourrait venir clôturer le congrès ce qui permettrait de lui remettre un appel écrit autour des inégalités de santé », ajoute-elle.
Un appel devenu national
Ensuite, une réflexion collective s’est engagée sur la façon dont ce texte pourrait être utilisé en vue de la présidentielle. Et l’appel de Grenoble est devenu un appel national avec « 10 choix politiques » à mettre en œuvre pour mettre un terme à l’épidémie de sida. « Nous savons d’expérience que la pandémie de VIH est l’expression d’une crise des droits fondamentaux de la personne humaine », indiquent les auteurs de l’appel. « La stigmatisation et la discrimination, qu’elles soient sociales, ethniques, religieuses, liées à l’orientation sexuelle, au genre, ou à l’état de santé, sont donc des barrières majeures à la fin de la pandémie de sida car elles entravent
l’accès à l’information, à la prévention, au dépistage, et au soin », ajoutent-ils.
Dans leurs dix choix, les auteurs de l’appel demandent de mettre la santé au centre des politiques publiques, de travailler avec et pour les populations concernées, y compris les plus pauvres et les plus discriminées ou d’adopter une politique de protection sociale et d’emploi « qui profite à tous et toutes ou d’assurer un accès universel à la santé et aux soins ». Dans cet appel, une attention toute particulière est aussi portée aux facteurs sociaux qui entravent l’accès à la prévention et aux soins. « Cela rejoint nos inquiétudes de terrain », souligne Pauline Penot, chef de service du Centre gratuit d’information de dépistage et de diagnostic (Cegidd) à l’hôpital de Montreuil.
« Des gens qui sont dans la survie au quotidien »
« Les conditions d’accueil des personnes migrantes sont un vrai sujet de préoccupation car elles ont des conséquences sur leur prise en charge médicale. Nous avons beau avoir des merveilles sur le plan pharmacologique et médical, on n’arrive pas en faire bénéficier un certain nombre de patients en raison de leur situation administrative, sociale ou résidentielle » estime ce médecin. « Même si on essaie de mettre en place des actions de type’aller vers’, on n’arrive pas toucher des gens qui sont dans la survie au quotidien, ajoute le Dr Penot. En consultation, on est obligé de prescrire des somnifères à des gens parce qu’ils dorment dans la rue ou des anxiolytiques à des femmes pour qu’elles supportent le viol de leurs hébergeants. »
Le docteur Penot souligne qu’en Seine Saint-Denis, la prévalence de l’hépatite B est très forte mais que cette pathologie ne suffit plus à obtenir un titre de séjour pour soins. « Nos patients prennent un risque en dévoilant cette maladie car, de plus en plus souvent, ils se voient refuser leur titre de séjour et parfois délivrer une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Dans certains cas, on leur refuse même le renouvellement d’un titre de séjour qu’ils avaient obtenu. Cela concerne des patients avec une fibrose hépatique ou une cirrhose et tous ont un besoin d’un suivi médical durable ».
Les responsables politiques devraient aussi mesurer, selon Pauline Penot, les traces laissées par l’épidémie de Covid. « Nos patients migrants ont beaucoup plus souffert de la crise du Covid que les autres. Cela a accru leur précarité. Tous les amortisseurs sociaux mis en place durant la crise, par exemple les primes Covid, ont été données uniquement à des personnes avec un statut professionnel. Ceux qui n’avaient aucun statut, comme les personnes migrantes en situation irrégulière, ont pris de plein fouet les effets de cette crise ».
« De beaux discours » sans lendemain
C’est le même désarroi qui a incité Guy Molinier à signer l’appel. « On ne supporte plus l’hypocrisie de certains discours. Les politiques font des belles paroles en disant qu’on va lutter contre les discriminations dans la stratégie de santé sexuelle. Et puis, dans le même temps, des lois sont votées pour renforcer les discriminations contre les personnes migrantes, les travailleuses du sexe, les détenus. Toutes ces lois vont à l’encontre des beaux discours qu’on entend sur la santé sexuelle ».
En dépit de cet appel, la question du VIH est restée largement absente de la campagne présidentielle. « Ce sont toutes les questions sanitaires qui ont été oubliées comme à chaque grand-rendez-vous électoral. On a juste parlé de l’hôpital public mais très peu. De toute façon, on ne peut pas dire qu’il y a vraiment eu de campagne », regrette Guy Molinier.
Au cœur du projet dès le départ, Anne Monnet-Hoel reconnait que le sida a été largement absent de la campagne présidentielle et des législatives. « Mais l’objectif était, au-delà des candidats, de remettre le VIH dans le débat public. C’est avec cet objectif que nous avons publié une tribune dans le Monde juste après le deuxième tour de la présidentielle », indique-t-elle. Dans cette tribune, un grand nombre d’acteurs de la lutte contre le sida interpellaient le président Emmanuel Macron tout juste réélu pour lui rappeler l’urgence de la situation.
Mais ce combat va se poursuivre au-delà de la présidentielle. « On continue ce travail de sensibilisation auprès des députés », indique Anne Monnet-Hoel. « Cet appel des 10 choix a vocation à continuer à vivre au cours des cinq prochaines années. C’est en parlant d’une même voix que le monde du VIH réussira à se faire entendre », insiste Anaïs Saint-Gal.