L’équipe du Dr Florence Margottin-Goguet, à l’Institut Cochin, a mis en évidence le double mécanisme d’action de la protéine cellulaire TASOR dans la répression de l’expression des gènes du VIH. Le Dr Roy Matkovic, jeune chercheur financé par Sidaction, est premier auteur de cette étude publiée dans la prestigieuse revue Nature Communications.
Le but du virus VIH en infectant une cellule est de se multiplier pour se propager. Ne pouvant le faire seul, il utilise les outils de la cellule pour fabriquer ses propres protéines. Une étape cruciale de ce processus est l’intégration de l’ADN du virus dans l’ADN de la cellule. Ainsi, lorsque l’ADN de la cellule est transcrit en ARNm, qui sera ensuite traduit pour produire les protéines cellulaires indispensables au bon fonctionnement de la cellule et de l’organisme, les protéines du virus seront également produites pour former de nouveaux virus.
L’organisme a bien sûr mis en place des systèmes de défense pour lutter contre le virus. Ces systèmes font appel à des composants cellulaires (lymphocytes, macrophages, etc) mais aussi protéiques et moléculaires. Parmi ces derniers, on retrouve le complexe HUSH composé des protéines TASOR, MPP8 et Periphilin. Ce complexe joue un rôle central dans le maintien de l’intégrité du génome de la cellule, en réprimant l’expression de certains gènes et donc la production des protéines associées.
Son mécanisme d’action consiste à recruter, une enzyme qui va déposer des marques de répression sur les gènes pour en inhiber l’expression. Cette enzyme, nommée histone méthyltransférase SETDB1 transférer des groupements méthyl sur ces gènes, conduisant à la formation d’une structure compactée de l‘ADN appelé hétérochromatine. L’ADN étant ainsi compacté, il n’est plus accessible à la machinerie de transcription qui produit les ARNm. Les gènes viraux présents à ce niveau ne sont donc plus exprimés. Ce mécanisme de répression de l’expression des gènes laisse à penser que le complexe HUSH pourrait jouer un rôle dans la latence virale.
Deux actions en une
Au cours de son travail, le Dr Roy Matkovic s’est intéressé à un des composants de HUSH, la protéine TASOR et son rôle dans la répression de l’expression des gènes. Il a mis en évidence que TASOR coopérait entre autres avec la protéine cellulaire CNOT1 dans la régulation post-transcriptionnelle, c’est-à-dire après la production d’ARNm. Les deux protéines, via des voies différentes agissent en synergie pour réprimer l’expression des gènes viraux. Cette donnée montre que le complexe HUSH est capable d’empêcher l’expression des gènes du virus via deux mécanismes distincts : 1/ au niveau transcriptionnel (production d’ARNm à partir de l’ADN) via le dépôt de marques de méthylation sur l’hétérochromatine, 2/ au niveau post-transcriptionnel (une fois les ARNm produits) en coopération avec le complexe CNOT1 pour dégrader les ARN produits [i].
Le virus a évidemment développé des systèmes de détournement lui permettant d’échapper à ces mécanismes de défense. L’équipe du Dr Margottin-Goguet a mis en évidence le rôle de la protéine virale Vpx (retrouvée uniquement chez le VIH de type 2) dans la dégradation de la protéine cellulaire SAMDH1, un facteur de restriction [ii] agissant au niveau de l’étape de transcription inverse (passage de l’ARN viral en ADN viral). L’équipe a observé récemment que cette protéine Vpx était également capable d’induire la dégradation du complexe HUSH, conduisant à une augmentation des transcrits viraux.
Cette dégradation fait intervenir le protéasome, un complexe enzymatique présent dans les cellules et dont la fonction est de dégrader les protéines non fonctionnelles en petits morceaux. Cette dégradation se fait de manière ciblée, les protéines à éliminer étant marquées pour la dégradation par une protéine appelée ubiquitine. Dans le cas du complexe HUSH, la protéine TASOR est dégradée de façon prédominante.
Vpx : deux schémas de dégradation pour SAMDH1 et TASOR
Récemment, l’équipe de Cochin a montré que le mécanisme de dégradation de TASOR et SAMDH1 par la protéine Vpx était différent bien qu’impliquant la même protéine. En effet, le dépôt de molécules d’ubiquitine sur TASOR et SAMDH1 se fait via la protéine DCAF1, mais selon deux schémas. Pour la dégradation de SAMDH1, la protéine Vpx sert de pont entre SAMDH1 et DCAF1, conduisant à l’ubiquitination de SAMDH1 et sa dégradation. Contrairement à SAMDH1, la protéine TASOR est capable de se lier à DCAF1 en absence de Vpx. Le rôle de la protéine virale ici est de consolider l’interaction entre TASOR et DCAF1, entraînant l’ubiquitination de TASOR et la dégradation du complexe HUSH par le protéasome. Ces résultats ont été publiés récemment dans la revue Plos Pathogens [iii].
Ces deux études apportent de nouvelles données sur les mécanismes de défense de l’organisme face au virus VIH et sur les mécanismes qui permettent au virus d’inactiver ces défenses. Comprendre les mécanismes à l’œuvre dans l’interaction entre le virus et l’hôte et comment ces deux protagonistes co-évoluent l’un avec l’autre permettraient de proposer dans le futur de nouvelles stratégies thérapeutiques visant les facteurs cellulaires antiviraux.
[i] https://www.nature.com/articles/s41467-021-27650-5
[ii] Les facteurs de restriction sont des facteurs cellulaires antiviraux qui inhibent la propagation du virus, en agissant sur les étapes de son cycle de réplication, au sein de la cellule infectée. Le mode d’action de SAMDH1 consiste à bloquer la capacité du virus à synthétiser son génome ADN, en coupant l’alimentation en composés nécessaires à sa production. Pour cela, il dégrade les dNTP (désoxyribonucléoside triphosphate), qui sont les briques moléculaires entrant dans la composition de l’ADN. Le virus ne peut alors plus poursuivre son cycle de réplication.