vih L’Artère à Fleury-Mérogis, les maux à mots du sida

18.12.18
Yves Jammet
6 min

Le 1er décembre 2006 était inaugurée L’Artère, le jardin des dessins, une œuvre de Fabrice Hyber, qui se déploie sur 1 001 m2 au centre du parc de la Villette, à Paris. Cette fresque, composée de 16 000 dessins qui racontent l’histoire du sida, a été conçue par l’artiste comme « un lieu de vie, de prévention et de mémoire ». Depuis 2006, elle est utilisée comme un « support » de médiations artistiques, scientifiques et sociales. Parallèlement et dès l’origine, L’Artère itinérante – une impression photographique de l’œuvre sur une toile plastifiée de 5 mètres par 1,5 mètre – a circulé en France, notamment dans des associations et au centre Pompidou-Metz. En août dernier, elle était présentée à de jeunes détenus de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne).

Mineurs détenus

Le plus grand centre pénitentiaire d’Europe renferme actuellement 80 mineurs, dont 70 adolescents. Dans le dernier Rapport sur les droits fondamentaux des personnes privées de liberté, il apparaît que les deux problèmes majeurs du milieu carcéral français sont la surpopulation (« le nombre de mineurs détenus est passé de 775 au 1er juin 2016 à 851 au 1er juin 2017 ») et le déficit en activités éducatives, une insuffisance qui hypothèque grandement le retour à la vie en société.

Dans le cadre des activités d’été proposées par le service éducatif de la Protection judiciaire de la jeunesse, neuf jeunes, âgés de 16 à 17 ans, tous issus de l’immigration, ont découvert et débattu à partir de L’Artère itinérante qui, pour l’occasion, était déroulée sur les tables d’une salle de classe. L’organisation pénitentiaire – c’est un euphémisme – est contraignante. Dans la journée, le temps est très planifié : repas, promenade, parloir… Seule la nuit échappe, en partie, à ce rythme contraint et répétitif. C’est pourquoi il n’est pas rare que les nuits soient souvent « blanches » pour les détenus et les activités du matin, peu fréquentées. Par ailleurs, il importe d’avoir conscience que la qualité de l’action éducative est dépendante des relations entre détenus, surveillants et éducateurs.

Je ne sais pas encore…

D’emblée, c’est la force de vie dont témoignent les dessins libres et joyeux de Fabrice Hyber qui autorise les jeunes à s’exprimer, à se questionner et à s’écouter. Ainsi, face à Féminin-masculin, Les Amours, Le Singe vert, La Danse des squelettes ou Le Voleur de cellules, et sans trop s’embarrasser de la « morale ordinaire », la curiosité amène les adolescents à s’interroger. Très vite la question de l’origine se pose : « Est-ce que l’on peut faire des enfants par le cul ? » Comme tout type de savoir, la sexualité relève de l’éducation (elle n’a rien de naturel) et elle ne peut faire l’économie ni de l’expérience ni de la connaissance. Ainsi, le dessin La Digestion conduit à interroger les propriétés des muqueuses. Occasion d’une prise de conscience qui passe par la possibilité de les nommer, de les décrire et d’en parler. Occasion redoublée si des fraises Tagada sont à portée de mains. Les Amours, L’Effeuillage amènent certains jeunes à reconnaître qu’ils n’ont jamais compris pourquoi il est d’usage d’offrir, « à Paname », des fleurs aux personnes aimées. Une rose rouge et son parfum permet d’évoquer l’appareil de reproduction des fleurs, leur langage et l’anagramme malicieuse du mot « rose ». Intuitivement, les jeunes comprennent qu’il existe différentes manières d’exprimer son désir. « La prochaine fois que je kiffe une meuf, je vais essayer. » Alors, les roses et les épines ne sont plus l’apanage de Marcel Duchamp ou de Fabrice Hyber. Les jeux de mots, nombreux sur L’Artère – « entrejambe/entregent », « bite/between », « pot/peau », « cent neuf/sang neuf » –, provoquent des associations d’idées qui autorisent de mettre en mots et, dans le même temps, de prendre de la distance avec les maux. Le tracé rapide des dessins de Fabrice Hyber, exécutés à main levée, fait écho aux paroles et aux rythmes de certaines des chansons que ces jeunes aiment. Les rires libèrent la parole. Ils entraînent une connivence, mais aussi un retour sur soi propice à la déconstruction des idées toutes faites et à l’analyse des liens de cause à effet. Par exemple, si l’autoérotisme n’est pas contaminant, une muqueuse irritée constitue une porte d’entrée indéniable pour le VIH. De plus, les jeux de mots aident à saisir que la sexualité a partie liée avec les émotions, les sensations, le verbe et l’intellect, et pas uniquement avec l’activité sexuelle proprement dite. Comme l’art, c’est un jeu qui construit le « je ».

Féminin-masculin

Les dessins de L’Artère installent une relation joueuse qui permet d’explorer notamment les pôles féminin et masculin. Pour le peintre, pas question de « faire l’autruche », mais de comprendre et de témoigner de l’histoire du sida et des transformations qui ont suivi ce moment où « le monde a basculé ». Temps de nouvelles peurs et, simultanément, de nouvelles émancipations. Au début du XXIe siècle, au temps du safe sex, de la PMA et d’Internet, comment le sujet sexué se constitue-t-il ? Pourquoi la figure de l’autre, celle de l’altérité fondamentale, est-elle toujours nécessaire ? Le Nouvel Éden donne à voir, et donc à penser, la bisexualité psychique de chacun. Une tête et trois corps. Un corps rose féminin. Un corps bleu masculin. Et un écorché, représentation du corps médical. Lors des échanges, les composantes féminines et masculines de l’être humain peuvent se dire ou pas. Les modèles ancestraux sont remis en cause ou, au contraire, font l’objet d’un puissant traditionalisme. Néanmoins, pour chacun, la question demeure : comment vivre ensemble malgré et avec nos différences ? Les jeunes détenus aspirent légitimement à faire des rencontres. Le temps de l’incarcération doit leur donner l’occasion de les préparer.

Perspectives

Le bilan réalisé avec les professionnels de la Protection judiciaire de la jeunesse a permis aux éducateurs de rapporter la parole des jeunes détenus. Les enseignants et les surveillants ont exprimé le même point de vue : « L’activité a eu du sens pour eux. » C’est pourquoi l’action sera reconduite en 2019 et elle sera sans doute élargie aux mineures incarcérées. On se plaît à croire qu’il sera alors possible que Fabrice Hyber vienne rencontrer ces jeunes et qu’ils aient, ensemble, envie de faire apparaître des dessins et des mots d’amour.

Notes

L’action a été financée par la Direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse de l’Essonne. Tous nos remerciements à la Cité de la santé – Universcience pour la mise à disposition de L’Artère itinérante.

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