vih L’Artère, le jardin des dessins, dénouer le nœud du sida

01.12.20
Yves Jammet
8 min
Visuel L’Artère,
le jardin des dessins, dénouer le nœud du sida

Parmi les monuments qui gardent vivant le souvenir de ceux qui ont résisté et de ceux qui résistent encore face au sida, « l’antimonument » de Paris, avec ses 1 001 m2 de céramique et ses 16 000 dessins, est singulier si on le compare à ceux de New York, Durban, Munich, Amsterdam, Moscou, Antananarivo… Situé au cœur du parc de la Villette, dans le 19e arrondissement, c’est un lieu de vie, de mémoire et de prévention.

Pour rejoindre L’Artère depuis la Porte de Pantin, le promeneur peut s’engager dans l’allée du Zénith et avancer à l’ombre de ses platanes séculaires avant de descendre l’escalier qui, à main gauche, conduit au Jardin des bambous. Ainsi, il expérimente ce que Bernard Tschumi, l’architecte du parc, appelle la « promenade cinématique » et sa succession de « jardins thématiques ». Sentier de couleur bleue qui, comme de la pellicule de cinéma dévidée, propose au visiteur, sur plusieurs kilomètres de boucles serpentines, de s’immerger dans une suite de décors inouïs : Jardins des miroirs, des vents, de la treille, des frayeurs enfantines… Ainsi, en contrebas, après avoir traversé le Cylindre sonore (1987) de Bernhard Leitner, un jardin exotique où poussent plus d’une vingtaine de variétés de hauts bambous transporte le visiteur loin du boulevard périphérique. En marchant, celui-ci découvre l’œuvre in situ de Daniel Buren, Diagonale pour des bambous (1987). Bandes alternées de galets noirs et blancs qui dessinent sur le sol une ligne, réelle et virtuelle, tracée au milieu d’un paysage luxuriant d’où le béton, le métal et l’eau ne sont pas absents. 

Raconter visuellement l’histoire des actions contre le sida

En laissant derrière lui la bambouseraie et en avançant maintenant dans l’allée du Belvédère, le promeneur arrive devant L’Artère-Le Jardin des dessins. D’emblée, il remarque que la forme du jardin épouse les courbes de la promenade cinématique. Le grand ruban rouge dénoué de Fabrice Hyber délimite un parterre de céramique sur lequel, au milieu de milliers de dessins, on peut déambuler. Dans ce jardin, entouré par cent neuf garde-corps dont la forme évoque un entre-jambe, les dessins sont comme d’innombrables fleurs au milieu desquelles on peut flâner à loisir. Comme l’écrit justement le romancier Philippe Forest, on marche ici sur un « plafond posé à même le sol » [i]. Comme dans la vie, on avance ici sans savoir où l’on pose le pied, où l’on met les pieds. Emerveillements et épouvantes. Eros et thanatos.

Au début de la pandémie du sida, en 1981, Fabrice Hyber avait 20 ans. Après des études de mathématiques, il entre aux beaux-arts de Nantes où il s’approprie les notions d’in situ et d’anti-monument théorisées par Daniel Buren (1938-) et Jochen Gerz (1940-). Dans les années 1990, la figuration qu’il pratique tire parti de tous les possibles que les aventures et les expérimentations des avant-gardes du siècle ont ouverts. Dans une logique visuelle et verbale, proliférante et virale, L’Artère (2003-2006) joue avec le sens de tous les dessins, chiffres et mots peints ainsi qu’avec toutes les associations libres que ces représentations appellent en français, anglais, espagnol, arabe… Les esquisses peintes sur ce carrelage invitent chacune et chacun à ne pas craindre le virus et à se mettre en mouvement, aussi bien physiquement qu’intellectuellement. Autrement dit, à vivre.

C’est la dimension exemplairement politique d’une œuvre qui dit à toutes et à tous que, au temps du sida, nos repères et nos certitudes ont été radicalement bouleversées. La vie, la mort ? Le juste, l’injuste ? La jeunesse, la vieillesse ? La beauté, la décrépitude ? Le Nord, le Sud ? Dans nos amours, le système binaire – qui, au même moment, triomphe avec le numérique – ne correspond ni aux individus que nous sommes ni aux relations que nous établissons les uns avec les autres. Nos identités sont éparses.     

Force de vie

En 2001, vingt ans après le début de la pandémie, le président de Sidaction, le ministre de la Culture et le maire de Paris ont lancé une consultation afin qu’une œuvre pérenne, accessible au plus grand nombre, témoigne de cette histoire. Quatre artistes ont été sélectionnés, c’est le projet de Fabrice Hyber qui a été retenu.

L’œuvre a demandé quatre ans de travail. Un an de conception, huit mois de réalisation, un an de terrassement et, enfin, un an pour assembler et coller les carreaux. A toutes les étapes du processus, Fabrice Hyber a travaillé en temps réel, en situation. A Monterrey, au Mexique, tout en dialoguant avec des malades, des militants, des médecins et des chercheurs, il dessine, sur des carreaux de céramique de la couleur de sa peau, des hommes cellulaires, des préservatifs fantômes, des squelettes dansants…. Avec un pinceau et à main levée, il figure les modes de contamination, recopie les séquences des molécules antirétrovirales, dessine nos amours et nos peurs, des fleurs et des sexes – féminins, masculins, hermaphrodites, trans – solitaires ou accouplés, à deux, à trois ou davantage encore… Comme dans une lettre écrite à la hâte, il raconte en dessin l’histoire des actions contre le sida, du début des années 1980 jusqu’en 2004.

J’ai conçu un lieu de vie, de connaissance et de rencontre en rendant hommage à tous ceux qui ont combattu le fléau, les scientifiques et les associations de lutte contre le sida, leur faisant partager mes questions et propositions.Fabrice Hyber

Depuis que Jacques Chirac, président de la République, l’a inaugurée le 1er décembre 2006, L’Artère est un lieu ouvert à tous. Tantôt skate park ou endroit idéal pour apprendre à faire du vélo. Tantôt espace de tai-chi ou piste de danse. Ce jardinaccueille aussi bien des pique-niques que des tournages vidéo, des concerts que des temps de mémoire… Lieu d’échanges et de rencontres, il est investi par des étudiants en médiation culturelle ou en architecture, par des élèves éducateurs, des professionnels du champ social ou des jeunes placés sous main de justice… Et, sa version itinérante – une toile plastifiée de 5 x 1,5 m – est même allée à la rencontre des visiteurs du Centre Pompidou-Metz, des militants de la lutte contre le sida de Mulhouse et des mineurs, filles et garçons, incarcérés à Fleury-Mérogis.

Chacune des esquisses en couleur qui se déploient sous nos pieds et sous nos yeux : le singe vert, le labyrinthe, les amours, le voleur de cellules, le combattant, les pertes, le nouveau monde, les autruches, les ballons, la danse des gênes… suscitant la curiosité de ceux qui veulent voir et comprendre la diversité des réalités de la pandémie.

Une possibilité offerte à la mémoire de s’ouvrir

Quinze années ont passé. Les relations amoureuses et sexuelles ont été profondément transformées. Les traitements et la prévention en matière de sida ainsi que nos représentations des genres et de l’amour ont changé. Dans le même temps, l’interrogation sur les relations entre arts, sciences et techniques a été profondément bousculée. Notons que cette dernière est, depuis l’origine, l’un des moteurs du travail de Fabrice Hyber.

En 2021, l’actualisation de L’Artère pourrait – sans doute – dans le contexte de la crise sanitaire et sociale actuelle, être le moyen d’initier avec certains et de prolonger avec d’autres des réflexions et des actions en lien avec le virus du sida. Projet qui pourrait s’articuler à une mise en débat sur les virus émergents et qui tirerait parti de la mutualisation et de l’hybridation des expériences acquises avec le VIH.

Ainsi, l’anti-monument de Fabrice Hyber continuera à favoriser le partage avec chacune et chacun des questions que posent les découvertes médicales et les évolutions de la société et à offrir en retour la possibilité d’exprimer – par des dessins et des mots – les réalités d’une pandémie que nous vivons toutes et tous, au quatre coins du monde, plus ou moins au jour le jour, depuis maintenant quarante ans. 

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Notes

[i] Philippe Forest, « Fabrice Hyber, l’art, le réel, quelques remarques faites les pieds au plafond » in Fabrice Hyber, L’Artère, le jardin des dessins, Éditions Cécile Defaut, 2009, repris dans Philippe Forest, Éloge de l’aplomb, coll. Art et Artistes, Gallimard, 2020, p. 150-157.

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