En abrogeant le délit de racolage et en instaurant une amende pour les clients ainsi que des « parcours de sortie de la prostitution », la loi n 2016-444 était censée mieux protéger les travailleurs et les travailleuses du sexe. Une enquête [1], menée par Hélène le Bail, chercheuse au CNRS et Calogero Giametta, de l’université Aix-Marseille, montre l’inverse. « Les impacts de cette loi se sont avérés encore plus négatifs que ce que nous pensions », soupire Hélène le Bail. Commandée par 11 associations, dont le Syndicat du travail sexuel (Strass) et Médecins du monde, cette enquête a permis d’interroger 691 travailleurs et travailleuses du sexe.
Des résultats édifiants
En premier lieu, 78 % des personnes interrogées rapportent une baisse de leurs revenus liée à la diminution du nombre de clients, découragés par le risque de contravention. « Avant, je sortais travailler de 14 heures à 20 heures. Maintenant, je sors à partir de 13 heures et je reviens plus tard. Et j’ai quand même moins d’argent », indique par exemple l’Équatorienne Manuela [2].
Toujours en raison de la diminution de la demande, 42 % se disent plus exposées aux violences, car contraintes d’accepter des clients violents.
Encore plus préoccupante, la raréfaction des clients a fait pencher le rapport de force en leur faveur ; ce qui leur permet de négocier des pratiques sexuelles à risque. Résultat, 38 % des interrogés notent avoir plus de difficultés à imposer le port du préservatif. « Pour la première fois, j’ai entendu une femme nigériane dire avoir accepté des rapports non protégés », rapporte un membre de l’association nantaise Paloma, l’une des structures commanditaires de l’enquête.
En outre, l’abrogation du délit de racolage n’a pas amélioré les relations avec la police, soulignent 70 % des interrogés… « L’autre jour des policiers m’ont menacée de m’embarquer pour racolage si je ne rentrais pas chez moi. Je leur ai dit que le racolage avait été abrogé et ils m’ont répondu que s’ils le voulaient, ils pouvaient de toute manière m’embarquer pour tout autre motif », révèle Aurora, une femme trans argentine.
Enfin, les parcours de sortie de la prostitution restent peu attractifs, en raison de la faible indemnité octroyée à celles et ceux qui choisissent cette option (330 euros par mois).
Selon Hélène le Bail, les diverses études menées en Suède – le pays dont s’est inspirée la France pour la loi de 2016 – mettent également en évidence un bilan négatif similaire. À l’inverse, des travaux réalisés dans des États qui ont totalement dépénalisé la prostitution montrent un recul des violences contre les travailleurs et les travailleuses du sexe, et un meilleur accès aux services de santé.
[1] medecinsdumonde.org/fr/actualites/france/2018/04/12/travail-du-sexe-la-loi-qui-met-en-danger
[2] Les prénoms ont été changés