Le discours scientifique et médical est confronté à une crise de crédibilité inédite. Quelles causes profondes expliquent cette défiance ? Quels moyens peuvent être mis en œuvre pour restaurer la confiance du public envers l’autorité scientifique ?
Dans un récent sondage, 14 % des 15-24 ans déclarent avoir l’impression que la science apporte plus de mal que de bien à l’homme, et 34 % estiment qu’elle a à peu près autant d’effets positifs que négatifs. Cette méfiance envers le discours scientifique, si elle n’est pas nouvelle, s’est accrue ces deux dernières décennies avec l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, qui ont bouleversé la manière dont l’information circule.
Plus récemment, c’est le processus traditionnel de vérification des informations scientifiques qui a été sérieusement mis à l’épreuve. Durant la pandémie, la science, et la médecine en particulier, ont été sollicitées pour analyser l’arrivée de nouvelles pathologies et proposer des solutions. Or, cette communication s’est faite au fur et à mesure de la recherche, sans les protocoles de validation classiques. « Cette vérification, ce temps long ont été sacrifiés sur l’autel de l’urgence sanitaire, confirme Anne Sénéquier, chercheuse et codirectrice de l’Observatoire de la santé mondiale. Ce qui fait que nous avons eu des messages contradictoires à quelques semaines, voire à quelques jours d’intervalle, et ce très tôt dans la crise sanitaire ».
A cette problématique est venue s’ajouter la multiplicité des acteurs de l’information : de nombreux médecins ont exprimé des opinions contradictoires sur les plateaux télévisés. Au nom de la neutralité et de l’impartialité, les médias ont ainsi offert une tribune à des groupes aux opinions divergentes. « Or, la science n’est ni une croyance ni un argument. La médecine est une science fondamentale et la nécessité de protéger le plus grand nombre n’est pas sujet à débat. Le débat doit se porter sur la façon de la faire, mais pas sur la remise en cause du fait fondamental », poursuit Anne Sénéquier.
Les réseaux sociaux ont également ajouté leur pierre à l’édifice de la décrédibilisation de l’autorité scientifique. Là où le discours des experts devrait dominer, ces plateformes ont donné la parole à tous sans distinction, brouillant la frontière entre expertises légitimes et opinions populaires. Cette capacité à propager rapidement des informations erronées a amplifié la diffusion de fausses nouvelles, renforçant des rumeurs déjà présentes en ligne ou dans les cercles sociaux.
Les enjeux de la légitimité scientifique et médicale
Ce mélange de facteurs contribue à transformer la science en une sorte de croyance, qui donne lieu à des opinions partagées. Or, il est essentiel de pouvoir s’appuyer sur une référence fondamentale. Dans différents contextes tels que la COVID-19, l’épidémie d’Ebola en 2014 ou le VIH auparavant, l’accent a ainsi été mis sur la prévention et l’adoption de comportements responsables, ce qui implique de demander à la population d’opérer un véritable changement d’habitudes. Mais sans réel intérêt assujetti à cet effort, il est peu probable qu’il soit mis en œuvre. C’est pourquoi la légitimité scientifique et médicale est essentielle pour maintenir l’engagement et l’implication du public.
Les réseaux sociaux ont également ajouté leur pierre à l’édifice de la décrédibilisation de l’autorité scientifique. Là où le discours des experts devrait dominer, ces plateformes ont donné la parole à tous sans distinction, brouillant la frontière entre expertises légitimes et opinions populaires.
Cette problématique est aujourd’hui encore d’actualité, non seulement vis-à-vis la gestion de la crise de la COVID-19, mais aussi de la médecine dans son ensemble. « Nous savons par exemple que notre mode de vie, en raison notamment de la sédentarité, de notre alimentation, peut être pathogène. Nous devrions donc nous orienter vers de la médecine de prévention. Pourtant, ces idées peinent à s’intégrer dans les messages destinés à la population, qui se matérialisent sous la forme de slogans comme ‘’Manger, bouger’’, qui ne fournissent pas de véritable éducation sanitaire globale. Nous sommes face à des informations parcellaires que le citoyen n’est pas en capacité de connecter les unes aux autres. Il n’y a donc pas cet effet de diffusion de la connaissance sanitaire qui permettrait de rendre le citoyen plus autonome et plus en capacité de prendre les bonnes décisions pour sa propre santé », regrette le docteur Anne Sénéquier.
Dans le contexte du VIH, cette méconnaissance généralisée crée un dilemme majeur, comme le révèle le sondage « Les idées reçues des jeunes sur le sida » : 38 % des 15-24 ans considèrent qu’ils ont moins de risques que les autres d’être contaminés par le sida et 55 % que l’épidémie de sida est aujourd’hui contenue. Cette perception erronée entraîne une diminution des pratiques de prévention, avec toutes les implications sanitaires qui en découlent.
Redéfinir les attentes envers la science
Comment inverser la tendance et restaurer la confiance dans la science et la médecine ? Pour la codirectrice de l’Observatoire de la santé mondiale, l’approche doit être transversale : « Une intervention gouvernementale et législative est essentielle pour réguler la diffusion d’informations pathogènes et fausses, en modérant les contenus sur les médias traditionnels et sociaux. Ensuite, il faudrait envisager une refonte de l’éducation sanitaire dès les premiers niveaux scolaires pour fournir des bases solides en matière de santé ».
L’idée serait d’instaurer ainsi une éducation sanitaire plus complète, abordant des sujets qui restent parfois encore tabous tels que la santé mentale, mais aussi le VIH, tout en mettant l’accent sur la prévention globale. Cela pourrait se matérialiser par la mise en place d’événements et d’émissions scientifiques accessibles, coordonnés avec les ministères concernés, pour réintroduire la science fondamentale dans la vie quotidienne des citoyens. La vulgarisation scientifique et la transmission d’informations adaptées à différents groupes d’âge via les réseaux sociaux pourraient également renforcer la compréhension publique de la complexité scientifique.
« La science vise à expliquer le fonctionnement du monde ; dans ses principes fondamentaux, elle ne génère aucun mal, mais son utilisation est déterminante, rappelle Anne Sénéquier. Il convient donc de remettre en question notre approche de la science et nos attentes à son égard. Peut-être est-ce notre perception de ses finalités qui est défectueuse, et non la science en elle-même ».
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