Dans un rapport très offensif, publié en septembre, le Fonds mondial s’inquiète des effets « dévastateurs » de la pandémie de coronavirus. De son côté, l’Onusida, moins alarmiste, précise que la crise actuelle « risque d’inverser les avancées chèrement acquises » en matière de prévention du VIH.
En général, les grandes organisations internationales utilisent volontiers un langage policé dans leur prise de parole publique et, par conséquent, certains rapports sont souvent un long robinet d’eau tiède. Est-ce l’importance de la crise ? L’ampleur des effets liés à cette pandémie inédite de Covid ? Pour le coup, le dernier rapport du Fonds mondial ne fait pas dans la dentelle et dit les choses avec force.
La pandémie de Covid-19 a eu un « effet dévastateur » sur la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Sur la seule tuberculose, l’impact a été « catastrophique ». Voilà ce que conclut ce rapport rendu public en septembre par le Fonds mondial de lutte contre ces trois grandes maladies.
« Le COVID-19 a entraîné le pire recul dans la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme en vingt ans d’existence du Fonds mondial. La pandémie a creusé les inégalités, détourné des ressources vitales, interrompu ou entravé l’accès aux activités de traitement et de prévention et enfoncé encore plus les populations vulnérables dans la précarité », écrit, en ouverture de ce rapport, Peter Sands, le directeur exécutif du Fonds mondial.
En juillet, l’Onusida a aussi publié un rapport sur l’impact de la pandémie actuelle, mais sur un ton moins percutant. « La Covid-19 a causé d’importantes perturbations des services de prévention du VIH », indique l’organisation dans son communiqué destiné à la presse. Dans ce communiqué, Shannon Hader, directrice exécutive adjointe des programmes ne cache rien de la gravité de la situation mais avec des mots plus en retenue.
« La pandémie de Covid-19 risque d’inverser les avancées chèrement acquises en matière de prévention du VIH, y compris la réduction de 23 % des nouvelles infections depuis 2010. Et elle arrive à un moment où il reste encore fort à faire pour réduire considérablement les nouvelles infections à VIH », souligne-t-elle.
Même si les adjectifs utilisés sont différents, les deux organisations dressent le même constat global. De façon logique, le Fonds mondial porte un diagnostic sur les trois grandes maladies qu’il combat. Et il souligne que c’est la tuberculose qui a payé le plus lourd à cette pandémie de coronavirus.
En 2020, le nombre de personnes traitées pour les formes pharmaco-résistantes dans les pays soutenus par le Fonds mondial a chuté de 19 %. Le nombre de personnes sous traitement pour la tuberculose ultrarésistante de 37 % et le nombre de patients tuberculeux séropositifs sous antirétroviraux pendant leur traitement contre la tuberculose de 16 %.
« Un des éléments qui a pu jouer est d’abord le fait que les symptômes de la tuberculose sont assez similaires à ceux de la Covid, indique Francoise Vanni, porte-parole du Fonds mondial. Il s’agit de maladies respiratoires, avec de la fièvre et de la toux. Et les gens, ayant ces symptômes, se sont retrouvés face à des injonctions contradictoires. Pour la tuberculose, la priorité est d’aller se faire dépister pour être mis sous traitement dès que possible. Avec la Covid, la consigne était de rester chez soi et ne surtout pas aller vers les structures sanitaires ».
De ces trois maladies, c’est le paludisme qui a été le moins impacté par la Covid. Selon le Fonds mondial, les activités de prévention sont restées stables ou ont même augmenté par rapport à 2019. Le nombre de moustiquaires distribuées a augmenté de 17 % et le nombre de structures couvertes par pulvérisation « intra-domiciliaire » d’insecticide de 3 %. « En 2020, 11,5 millions de femmes enceintes ont reçu un traitement préventif. Toutefois, le dépistage des cas suspects de paludisme a baissé de 4,3 % et les progrès dans la lutte contre la maladie ont stagné », ajoute le Fonds.
Reste le VIH. Et là, le bilan est finalement assez contrasté. Une des grosses craintes était que se produisent d’importantes ruptures dans l’accès aux traitements. « On avait notamment des inquiétudes sur le maintien des chaînes d’approvisionnement et de fournitures des traitements du fait du ralentissement de la production de médicaments. On sait que l’Inde, qui est gros fournisseur d’antirétroviraux, a connu des périodes où l’activité économique a été sérieusement impactée. Dans ce contexte, on est plutôt heureux de voir que l’accès aux traitements du VIH a plutôt bien résisté dans ce contexte très difficile », se félicite Peter Ghys, directeur du Département information stratégique et évaluation à l’Onusida.
Un impact fort sur la tuberculose
De fait, c’est plutôt la bonne nouvelle de ces différents rapports. Le Fonds mondial relève que le nombre de personnes séropositives, mises sous traitement antirétroviral, a continué de s’accroître avec une augmentation de 9 %. « Bien que les taux de dépistage aient diminué en 2020 en raison du Covid-19, le nombre de personnes sous antirétroviraux a augmenté, passant de 20,1 millions en 2019 à 21,9 millions en 2020 », note le rapport.
« Les programmes de mise sous traitements ont bien résisté, notamment grâce à l’engagement des personnels de première ligne, tous ces agents communautaires qui se sont fortement mobilisés. Et les structures ont innové notamment en distribuant les médicaments sur une plus longue période, jusqu’à 6 mois pour éviter aux personnes de se déplacer trop fréquemment dans les centre de santé. C’est quelque chose qu’on demandait depuis longtemps mais on se heurtait à des résistances », indique Francoise Vanni.
De son côté, Peter Ghys relève que le nombre de personnes, ayant bénéficié d’un traitement préventif via la PrEP, a lui aussi augmenté. « Il faut toutefois souligner que les programmes d’accès à la PrEP sont relativement nouveaux dans beaucoup de pays et attirent donc un public nouveau dans les premiers temps, dit-il. Dans beaucoup d’endroits, on a donc vu des augmentations de mise sous Prep mais qui auraient peut-être été bien plus importantes sans la pandémie de Covid ».
Pour le reste, le constat est plutôt sombre du côté de la prévention. Le Fonds mondial note que comparativement à 2019, les programmes services de prévention du VIH ont connu une baisse de la fréquentation de 11 % de manière globale et de 12 % pour les jeunes. Le nombre de mères séropositives, ayant reçu un traitement pour prévenir la transmission du VIH à leur bébé, a chuté de 4,5 %. Le dépistage du VIH a lui chuté de 22 %.
« Sur les activités de prévention et de dépistage, on a eu un gros choc. Il s’agit d’activités qui nécessitent de se déplacer notamment dans les associations de quartier, de jeunes ou de femmes. Et avec la crise, ces rencontres n’ont plus été possibles. Ces baisses nous inquiètent. On craint un effet cascade : moins de prévention et moins de dépistage cela veut dire un risque accru de nouvelles infections », explique Francoise Vanni.
Dans ce triste paysage, il existe quand même quelques motifs d’espoirs. « La distribution de médicaments antirétroviraux pour une durée de plusieurs mois est un acquis qui devra être conservé », espère Peter Ghys. La crise a aussi permis des recours à des outils numériques qui pourront être précieux à l’avenir dans la lutte contre le VIH.
L’engagement des personnels de première ligne
« Au moment du confinement, on s’est tous retrouvés coincés derrière nos ordinateurs, se souvient Francoise Vanni. Dans les pays, on a vu se mettre en place des plates-formes numériques pour continuer à mener des activités de prévention et de soutien aux traitements. Mais un certain nombre d’acteurs n’avaient pas toujours les moyens pour travailler de cette manière. Nous avons donc fait un travail d’accompagnement des associations ou des ministères pour renforcer les outils numériques. Et là aussi, ce sont des acquis qui vont rester ».
La crise du Covid a également favorisé l’émergence de pratiques innovantes qui pourront être utiles à l’avenir. « Au Nigéria, par exemple, le directeur du programme national de lutte contre le sida a décidé que toutes les personnes venues se faire dépister pour le Covid se verraient aussi proposer un test de dépistage. Cela a permis d’accélérer le nombre de dépistage VIH », souligne Francoise Vanni.
Face à cette crise sanitaire, d’importants financements ont été débloqués pour soutenir les pays dans la lutte contre la Covid mais aussi le sida, la tuberculose et le paludisme. A la fin de l’été, le Fonds mondial avait ainsi décaissé 3,3 milliards de dollars (2,8 milliards d’euros) dans plus de 100 pays pour les aider à adapter leurs programmes vitaux de lutte contre ces trois maladies, protéger leurs agents de santé de première ligne et renforcer d’urgence leurs systèmes de santé fragilisés.
Reste une question importante : les pays riches, très sollicités financièrement pour faire face à la Covid sur leur territoire, ne risquent-ils pas de revoir à la baisse leurs contributions à la lutte contre le sida au niveau mondial ? « Les promesses des pays, dans notre cas, sont faites sur un cycle de 3 ans. Lors de la conférence de reconstitution en 2019 à Lyon, les promesses de dons se sont élevées à 14,2 milliards d’euros. Le versement de ces sommes se fait de manière étalée dans le temps. Et pour l’instant, le calendrier a été respecté. Les pays ont versé ce qu’ils avaient annoncé. Mais bien sûr, on reste attentif pour l’avenir car il est clair que, dans les pays, les budgets nationaux dédiés à la santé risquent de souffrir de la crise actuelle », estime la porte-parole du Fonds mondial.
Est-ce pour maintenir en alerte les grands bailleurs internationaux que le Fonds mondial a utilisé des termes aussi forts dans sa communication sur les effets de la crise de la Covid ? « Il est clair que ce rapport est aussi un appel à l’action de tous. Mais on ne crie au loup pour crier au loup, assure Francoise Vanni. Dire que l’impact de la Covid a été dévastateur reflète juste la gravité des chiffres. C’est la 1ere fois en 20 ans de Fonds mondial que nos indicateurs clés de la lutte contre le sida ou la tuberculose sont en recul ».