S’il a débuté son sixième cycle sous de bons auspices, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme se trouve, lui aussi, pris dans l’ouragan COVID-19. Alors qu’il élabore sa stratégie post-2022, se pose de nouveau la question de sa contribution au renforcement des systèmes de santé des pays du Sud.
Créé en 2001, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a annoncé fin mai lancer la consultation en vue de sa stratégie pour la période post-2022. Ces propositions, qui seront discutées lors de ‘forums de partenariat’ début 2021, débattues par le conseil d’administration, feront l’objet d’une synthèse, en vue d’une publication finale de la stratégie fin 2021. Quelles en seront les grandes lignes? Difficile de le prévoir : primo, le temps est à l’écoute des propositions. Secundo, la crise sanitaire mondiale est facteur de bien des incertitudes, au présent comme à l’avenir.
Comme bien d’autres, le Fonds mondial subit en effet de plein fouet la crise de la COVID-19, vécue comme un séisme sanitaire, social et économique, au Sud comme au Nord. Pour l’organisme, il s’agit d’un tournant incontestable: « Il n’existe pour nous aucun scénario dans lequel la COVID-19 disparaît d’ici quelques mois. Nous sommes obligés d’en tenir compte dans notre planification, nos projections, notre positionnement. Les deux prochaines années vont être difficiles », reconnaît la directrice des relations extérieures du Fonds mondial, Françoise Vanni.
Avec la stratégie en cours d’élaboration, et alors que tous les regards sont tournés vers la COVID-19, une question se pose de façon plus aigüe: au-delà de ses missions historiques dans la lutte contre les trois pandémies, le Fonds mondial doit-il accroître son action de renforcement des systèmes de santé dans les pays du Sud ? A ce jour, l’organisme consacre un milliard de dollars par an à ce sujet, par ailleurs largement négligé par l’aide internationale. Reste donc à savoir s’il doit, ou tout simplement peut, faire plus.
Un débat désormais « essentiel »
« C’est un débat qui existe depuis de nombreuses années, et qui s’est d’ailleurs posé dès le démarrage du Fonds mondial », évoque le président d’Avocats pour la santé dans le monde, Patrick Bertrand. « C’est très bien d’investir pour les trois maladies, mais si vous le faites sans renforcer les systèmes de santé, vous n’avez qu’un impact partiel », ajoute-t-il. Avec la COVID-19, la question, « sujet des cinq à dix prochains années », est devenue plus « essentielle » qu’elle ne l’était déjà, estime Patrick Bertrand.
A budget constant, il sera toutefois difficile pour le Fonds mondial d’accroître sa contribution au renforcement des systèmes de santé. Le sujet nécessiterait des dizaines de milliards de dollars par an, somme hors d’atteinte de son budget. Pour rappel, le Fonds fonctionne par cycles triennaux: tous les trois ans, il rassemble ses donateurs, publics et privés, lors de réunions de reconstitution. Organisée en octobre 2019 à Lyon, la dernière, qui a inauguré le sixième cycle (2020-2022), a été couronnée de succès: le Fonds mondial a atteint les 14 milliards de dollars de promesses qu’il espérait, soit 15% de plus que les subventions obtenues lors du 5ème cycle (2018-2020).
Or ces fonds permettent certes de lancer de nouveaux projets, mais avant tout de poursuivre ceux initiés lors de cycles précédents, notamment afin de maintenir sous traitement les personnes vivant avec le VIH. Si elle « imagine mal un Fonds mondial jouant un rôle restreint en termes de renforcement des systèmes de santé », Françoise Vanni juge « qu’il ne faut pas déshabiller Paul pour habiller Jacques. Notre financement comporte des éléments difficilement compressibles, on ne pourra pas répondre à tous les besoins avec nos moyens actuels ».
Faire mieux ou faire plus ?
A moins d’une hausse importante de la participation des donateurs, le mandat du Fonds mondial pourra donc difficilement être élargi à de nouvelles missions, dont le renforcement des systèmes de santé. La demande existe pourtant, notamment de la part de la France, qui porte le discours d’une santé mondiale, et a placé le sommet de Lyon sous l’égide du respect des droits humains. A l’inverse, les pays anglosaxons, dont les Etats-Unis (premier donateur du Fonds) et le Royaume-Uni (désormais deuxième, après avoir dépassé la France), s’attachent à conserver l’accent sur les missions actuelles, sur lesquelles le Fonds a très nettement fait ses preuves.
Pour Sylvie Chantereau, directrice des Amis du Fonds mondial Europe, « il y a en effet des demandes pour que l’organisme investisse davantage dans le renforcement des systèmes de santé, mais cela doit se faire à travers la lutte contre les trois pandémies ». Estelle Tiphonnet, directrice des partenariats et de la capitalisation de Coalition Plus, estime que « l’enveloppe globale disponible au sein du Fonds mondial n’est pas suffisante pour le renforcement des systèmes de santé. Nous sommes favorables à ce qu’il continue à traiter les trois maladies selon l’angle actuel, mais qu’il fasse plus sur la prise en charge des co-infections et des comorbidités (…) Le renforcement des systèmes de santé est un sujet au long cours, sur lequel le Fonds mondial ne peut pas être le seul acteur ».
Les programmes fragilisés par la COVID-19
Pour le Fonds mondial, désormais membre de l’initiative ACTA (Access to COVID-19 Tools Accelerator), il aurait été impensable de ne pas s’impliquer face à la nouvelle urgence sanitaire, qui menace ses programmes contre les trois grandes pandémies. Comme le montre une enquête réalisée auprès de ses opérateurs, 85% des programmes VIH soutenus par le Fonds sont impactés, de manière plus ou moins marquée, par la COVID-19.
Paralysant échanges et déplacements, la nouvelle pandémie pourrait entraîner un recul d’au moins 10 ans dans la dynamique de l’épidémie, réduisant à néant les progrès effectués depuis. Pour la seule infection à VIH, le Fonds mondial estime que l’interruption des traitements, dans le contexte de la COVID-19, pourrait entraîner 534.000 décès supplémentaires en 2020-2021 par rapport à 2018, ramenant la mortalité au niveau de 2008. Raison pour laquelle le Fonds a mobilisé un milliard de dollars en urgence, afin de sécuriser ses programmes et de distribuer du matériel de protection aux soignants.
Plus que l’approvisionnement en traitements, qui a pu être adapté – notamment via des ordonnances rallongées -, ce sont les programmes de prévention qui pâtissent le plus de la crise. « Par endroits, le nombre de dépistages du VIH a diminué de moitié et les notifications de cas de tuberculose ont chuté de 75%, ce qui pourrait conduire à une hausse des nouvelles infections (…) En outre, nombre de pays ont été contraints de reporter leurs campagnes de distribution de moustiquaires », constate le Fonds mondial dans son rapport annuel, publié mi-septembre (voir encadré).
Un appel aux donateurs
Pour moitié provenant directement des caisses du Fonds -l’autre moitié consistant en une réaffectation partielle par les pays des subventions reçues -, ce milliard de dollars devrait être épuisé à la fin du mois d’octobre, craint Françoise Vanni. Fin juin, le Fonds a annoncé avoir besoin de 5 milliards de dollars supplémentaires pour affronter la crise au cours des 12 prochains mois. Si plusieurs donateurs (Allemagne, Italie, Fondation FIFA) ont répondu à l’appel, ou s’apprêtent à le faire, cette levée de fonds s’annonce ardue. En cette période, « personne n’a 5 milliards de dollars à donner immédiatement », reconnaît la directrice des relations extérieures du Fonds mondial.
Face au coup de vis budgétaire qui s’annonce dans les pays du Nord, y a-t-il un risque que les donateurs ne tiennent pas toutes leurs promesses formulées à Lyon ? « Nous n’avons pour l’instant aucune indication d’un changement, nous restons confiants. Lors de la crise de 2008, les donateurs sont restés présents », rappelle Françoise Vanni. « Nous avons plutôt le sentiment que les donateurs vont tenir leurs promesses. Mais rien n’est à exclure, car on ne sait pas quelle sera la situation épidémique dans un an ou deux », estime Sylvie Chantereau.
Selon son rapport annuel publié mi-septembre, le Fonds mondial a permis de sauver 6 millions en 2019, une hausse de 20% par rapport à l’année précédente. En tout, 20,1 millions de personnes vivant avec le VIH ont été traitées en 2019 dans les pays où le Fonds investit, 718.000 mères séropositives ont reçu un traitement préventif pour empêcher la transmission à leur nourrisson, 5,7 millions de personnes ont été testées et traitées pour la tuberculose. Côté paludisme, 160 millions de moustiquaires ont été distribuées, permettant de protéger 320 millions de personnes à travers le monde.