vih Le Global Gag Rule, un obstacle pour lutter contre le VIH

04.11.20
Hélène Ferrarini
9 min
Visuel Le Global
Gag Rule, un obstacle pour lutter contre le VIH

Réactivé en 2017 par Donald Trump, le Global Gag Rule s’applique désormais à de larges pans de l’aide sanitaire américaine. Ces restrictions anti-avortement entravent la lutte contre le VIH/SIDA.

Littéralement en français la « règle du bâillon mondial », le Global Gag Rule est la manière critique de désigner le Mexico City Policy : un décret qui interdit aux ONG étrangères qui reçoivent de l’aide fédérale des États-Unis de procurer des avortements légaux, de délivrer des informations à ce propos ou encore de faire du plaidoyer pour des réformes visant à légaliser ou accroître l’accès à l’avortement, même si ces actions ne sont pas menées sur financements américains, et ce quel que soit la situation législative de l’avortement dans les pays où elles agissent.

Seules exceptions, les grossesses résultant de viols, d’incestes ou mettant en danger la santé de la femme enceinte. Initié par Ronald Reagan en 1984, le Global Gag Rule peut être activé ou non par les présidents américains. Les démocrates Clinton et Obama n’y ont pas eu recours, tandis que ce décret a été signé par Reagan, Bush et Trump. « Cette mesure impose la position idéologique de l’administration Trump sur l’avortement aux autres pays » résume l’International Women’s Health Coalition.

Arrivé au pouvoir en 2017, le président républicain Donald Trump a activé le Global Gag Rule, rebaptisé « Protecting Life in Global Health Assistance » et a élargi son champ d’action. Dans sa première version, le Mexico City Policy s’appliquait aux financements américains destinés à la planification familiale. Dans la version élargie de Trump, mise en place en 2017, ce sont toutes les aides sanitaires américaines, de la lutte contre le VIH/SIDA à la santé maternelle et infantile, en passant par la lutte contre le paludisme et les programmes de nutrition, qui sont concernées par ces restrictions anti-avortement.

En 2019, cette règle est encore étendue : toutes les ONG qui reçoivent des financements américains ont pour interdiction de financer d’autres structures qui pratiqueraient ou diffuseraient de l’information sur l’avortement.

Un impact important sur les financements

L’interdiction initiale visant les associations de planning familial concernait un budget annuel de 600 millions de dollars. La version élargie par Trump couvre désormais 8,8 milliards de dollars annuels de financements américains à l’aide sanitaire, dont environ 6 milliards destinés à la lutte contre le VIH/SIDA. Plus de 50 pays reçoivent des fonds PEPFAR (President’s emergency plan for AIDS relief) pour lutter contre le VIH.

Bien qu’a priori les financements américains du Fonds mondial [i] de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme ne soient pas concernés par les restrictions du Global Gag Rule, l’activation du décret anti-avortement a tout de même des effets, ainsi que le montre un résumé de novembre 2019 réalisée par l’amfAR, l’une des plus importante fondation américaine de collecte de dons pour la recherche médicale contre le VIH/SIDA, qui cherche à quantifier « la proportion des investissements du Fonds mondial soumis à la règle ».

« Parce que les restrictions du Mexico City Policy élargi s’applique aux activités des organisations comme à un tout en recevant de l’aide sanitaire américaine, les investissements privés et multilatéraux peuvent être impactés lorsque les réseaux partenaires se chevauchent. En effet, il est fréquent que le Fonds mondial et le gouvernement américain financent les mêmes ONG » explique l’amfAR. La fondation estime que « approximativement 12 % (1,08 milliards de dollars) des ressources du Fonds mondial pourraient être soumises au Mexico City Policy élargie ».

Les pays pour lesquelles les ressources du Fonds mondial sont les plus réduites par le Global Gag Rule sont le Nigeria à hauteur de 198 millions de dollars, la Tanzanie avec 94 millions, l’Afrique du Sud avec 89 millions. Pour certains pays, c’est plus de 60 % de leurs ressources venant du Fonds mondial qui sont menacées par les limitations imposées par le Global Gag Rule élargi : d’après l’amfAR, 61,7 % des ressources du Botswana sont ainsi concernés, ce taux atteint 100 % pour le Kosovo [ii]. 

Pour compenser les effets de cette politique, des démarches ont été initiées. Depuis les États-Unis, l’Open Society Foundation, du milliardaire George Soros, revendique soutenir des organisations et des individus « qui atténuent les dommages suscités par le Global Gag Rule », comme le CEHURD (Center for Health, Human Rights and Development) en Ouganda et le réseau KELIN (Kenya Legal and Ethical Issues Network) au Kenya [iii]. L’initiative She Decides, lancée par les gouvernement néerlandais, belge, danois, suédois, rejoint par d’autres gouvernements, des ONG et des fondations privées, a permis de lever, à la date de mars 2018, 450 millions de dollars pour financer des structures dont les budgets sont affectés par le Global Gag Rule.

« Malgré ces efforts, étant donné l’importance de la contribution du gouvernement américain à la lutte contre le VIH, il est hautement improbable que les manques de financement dus à cette mesure soient comblés, spécialement en ce qui concerne le VIH et les personnes marginalisées » soulignait en 2018 l’ONG Frontline Aids, basé au Royaume-Uni [iv].

Quels effets sur la lutte contre le VIH/SIDA ?

Dès 2018, Frontline AIDS commandait une étude sur les « premiers signaux d’alarme » du Global Gag Rule au Malawi et au Cambodge pour « comprendre et prévoir les effets de cette mesure sur la lutte contre le VIH, particulièrement les impacts potentiels sur les personnes marginalisées » [v]. Au Malawi, le Global Gag Rule « est la cause de beaucoup de confusion et de préoccupations ». Dans ce pays d’Afrique de l’Est où 9,2 % des habitants vivent avec le VIH, 95 % des fonds viennent de donateurs internationaux, dont le Fonds mondial et le gouvernement américain sont les principaux représentants.

« Les services et les programmes autour du VIH et de la santé et des droits sexuels et reproductifs ont été affectés. Dans certains cas, cela peut être du à une sur-conformité prenant racine dans la peur de contrevenir aux conditions de cette mesure. Dans d’autres cas, lorsque les organisations ont perdu des financements ou ont du se réorganiser, c’est le résultat de l’adhésion à la mesure ou du refus d’y adhérer. »

 L’étude note également une perte, voire une rupture, de la confiance entre les structures et les usagers, auxquels elles ne délivrent plus une information complète en terme de santé sexuelle et reproductive. Des troubles entre structures sont également mentionnés, entre celles ayant signé le règlement et celle s’y refusant et qui perdent alors des financements.

L’International Women’s Health Coalition a documenté les effets du Global Gag Rule en Afrique du Sud, au Kenya, au Népal et au Nigeria. Son rapport souligne le fait que « le Global Gag Rule du président Trump menace particulièrement les récents investissements américains réalisés à travers le PEPFAR pour intégrer le VIH/SIDA et les services de santé sexuelle et reproductive, de façon à résoudre les inefficacités qui résultaient de l’établissement de services en silos au début des années 2000 et pour améliorer l’accès à des soins globaux, spécialement pour les groupes marginalisés. » [vi]

Un travailleur en santé sexuelle et reproductive du Kenya témoigne : « Cela limite l’approche holistique que nous souhaiterions avoir en tant que pays. Maintenant nous allons travailler avec les femmes et les jeunes filles en ignorant une grande partie de ce qui les rend vulnérables à l’infection par le VIH, comme l’information limitée sur leur corps, leur santé, leurs droits et leur droit à un avortement sans risque ». En Afrique du Sud et au Kenya, « il est quasiment impossible de démêler les avortements des autres soins de santé, surtout dans les zones rurales et isolées où il n’y a souvent qu’une seule clinique qui propose une large gamme de services de santé. » Or, ainsi que le reporte le directeur d’une organisation sud-africaine, « plusieurs cliniques destinées aux femmes ont fermé dans des zones isolées, limitant l’accès des femmes à une large gamme de soins » [vii].

Dans un rapport publié en février 2020, l’ONG CHANGE (Center for Health and Gender Equity) recense les effets du Global Gag Rule à travers le monde, listant les impacts constatés pays par pays [viii]. Au Mozambique, où le taux de prévalence des personnes vivant avec le VIH est de 12,6 %, l’association AMODEFA a du fermer la moitié de ses cliniques, licencier 30 % de ses équipes et a perdu 500 travailleurs en santé communautaire qui participaient à la prévention sur le VIH. Au Zimbabwe, l’ONG Population Services a du réduire ses capacités de 50 %, fermant 600 établissements de santé locaux et laissant la moitié de ses 150 000 bénéficiaires sans service de planification familiale et de santé sexuelle et reproductive.

Dans ces deux pays d’Afrique de l’Est, « le Global Gag Rule de Trump entrave les efforts pour réduire le VIH, notamment en stoppant la mise en œuvre du programme DREAMS du PEPFAR » qui s’adresse particulièrement aux adolescentes et aux jeunes femmes dans une approche globale, « en perturbant les coalitions d’ONG, en fracturant l’accès aux services intégrés, en faisant obstacle à l’accès à des avortements légaux ; et affecte intensément les populations avec des préoccupations particulières, comme les jeunes, les travailleuses du sexe et la communauté LGBTQI » conclut l’ONG CHANGE.

Notes

[i] Lors de la sixième reconstitution des ressources du Fonds mondial, en octobre 2019, le gouvernement américain s’est engagé à hauteur de 4,68 milliards de dollars, soit plus d’un tiers du montant total de 14 milliards.

[ii] La note de l’amfAR, The expanded Mexico City Policy : implications for the Global Funds https://www.amfar.org/uploadedFiles/_amfarorg/Articles/On_The_Hill/2019/issuebrief-globalfund.pdf

[iii] https://www.opensocietyfoundations.org/explainers/what-global-gag-rule  

[iv] Le rapport Early Warning Signs, The actual and anticipated impact of the Mexico City Policy on the HIV response for marginalised people in Cambodia and Malawi de Frontlines AIDS > https://frontlineaids.org/wp-content/uploads/2019/03/FrontlineAIDS-MexicoCityPolicy-Report-A4-WEB.pdf

[v] https://frontlineaids.org/wp-content/uploads/2019/03/FrontlineAIDS-MexicoCityPolicy-Report-A4-WEB.pdf

[vi] Le rapport Crisis in Care : Year Two impact of Trump’s Global Gag Rule de l’International Women’s Health Coalition > https://31u5ac2nrwj6247cya153vw9-wpengine.netdna-ssl.com/wp-content/uploads/2019/06/IWHC_GGR_Report_2019-WEB_single_pg-2.pdf

[vii] Témoignages relayés dans le rapport de l’International Women’s Health Coalition

[viii] https://srhrforall.org/download/data-sheet-trumps-global-gag-rule/?wpdmdl=2326&refresh=5f99a3759c9151603904373 et https://srhrforall.org/download/trumps-global-gag-rule-policy-and-research-brief/?wpdmdl=2335&refresh=5f99a3892a5061603904393

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