vih Le Graal bientôt à notre portée ?

24.03.19
Romain Loury
9 min
Visuel Le Graal bientôt à notre portée ?

En 1983, Françoise Barré-Sinoussi mettait en évidence la nature virale de l’agent responsable du sida. Acte inaugural de la recherche sur le VIH, cette découverte a aussitôt suscité l’espoir d’étouffer rapidement l’épidémie naissante. La secrétaire d’État américaine à la Santé, Margaret Heckler, déclarait ainsi en 1984 qu’un vaccin serait disponible d’ici à deux ans. Trente-cinq ans plus tard, aucun ne l’est encore.

Des obstacles de taille

Entre-temps, la recherche a abouti à des thérapies hautement efficaces et a découvert d’autres méthodes prophylactiques que le préservatif : intérêt préventif du traitement (TasP pour Treatment as Prevention), traitement postexposition (TPE), traitement préexposition (PrEP), circoncision, etc. Quant au vaccin, « il a suscité un intérêt très fort dès le début, mais très vite sont apparues d’importantes difficultés biomédicales. Cela fait trente-cinq ans que l’on parle de ce vaccin, mais il n’existe toujours pas », constate Caroline Ollivier-Yaniv, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-Créteil et membre de l’Institut de recherche vaccinale (VRI) [1].

Comment expliquer les difficultés à produire un vaccin contre le VIH ? Par la pléiade de ses groupes et sous-types et parce que son génome est composé d’ARN, et non d’ADN. Ce qui lui confère une diversité élevée (entre patients, mais aussi au sein d’un même patient au fil de la multiplication virale) et rend tout ciblage vaccinal ardu. De plus, le système immunitaire est incapable de protéger l’organisme contre l’infection : les anticorps produits ne sont pas assez protecteurs, et si l’immunité cellulaire, assurée par les lymphocytes T CD8, permet de contrôler la réplication, elle ne supprime pas l’infection.

Des premiers échecs à l’essai Thaï

Le premier échec intervient en 1987 avec un essai français conduit en Afrique sur un vaccin vivant atténué, à base d’un virus de la vaccine (maladie infectieuse des bovidés) modifié qui produit une protéine du VIH. « Très critiqué à l’époque, cet essai avait soulevé des problèmes éthiques, du fait qu’il était mené sur des personnes en impasse thérapeutique », se souvient le Pr Jean-Daniel Lelièvre, directeur du département de recherche clinique du VRI.

Il faudra ensuite attendre 1998 et deux premiers essais de phase III – VAX 003 et VAX 004 –, dont le lancement n’avait pas fait l’unanimité parmi les chercheurs et les associations. Les résultats se révèleront également négatifs.

En 2007 survient un échec encore plus retentissant avec les études Step et Phambili, débutées trois ans plus tôt. Ces essais de phase III sont interrompus en urgence : non seulement les résultats sont négatifs, mais le risque d’infection est plus élevé chez les personnes vaccinées que chez celles ayant reçu le placebo ! Pour la communauté VIH, c’est la douche froide. « Suite à ces résultats, de nombreuses personnes ont pensé qu’il fallait arrêter de développer un vaccin », se rappelle Jean-Daniel Lelièvre. D’autant que les recherches menées sur d’autres modes de prévention avançaient à pas de géant.

Coup de théâtre deux ans plus tard avec la publication des résultats de RV144, dit essai Thaï, car mené exclusivement en Thaïlande. Pour la première fois, un vaccin présente un effet protecteur contre l’infection, certes modeste et de faible durée (60 % à un an, 31,2 % à 3,5 ans). « Ces résultats ont relancé les stratégies vaccinales. Et les chercheurs se sont attelés à comprendre pourquoi ce vaccin avait fonctionné », explique le professeur.

Deux essais importants en cours en Afrique

Les résultats de RV144 ont été jugés suffisamment encourageants pour qu’un nouvel essai – HVTN702, surnommé « Uhambo » – soit lancé en 2016, en Afrique du Sud, sur le même vaccin. La stratégie comporte des variantes qui ont pour but de rendre la réponse vaccinale plus forte et plus durable : une injection de plus à un an, un autre adjuvant. Surtout, les protéines d’enveloppe choisies sont celles correspondant au VIH de sous-type C, prépondérant en Afrique du Sud.

En cours dans cinq pays d’Afrique subsaharienne, principalement en Afrique du Sud, l’essai HVTN705, dit Imbokodo, repose sur le concept du « virus mosaïque » : au lieu d’une seule protéine provenant d’un sous-type unique, le vaccin comporte plusieurs morceaux de protéines issues de divers sous-types.

Les résultats de ces deux essais sont attendus en 2022.

Anticorps neutralisants ou pas

Comme pour l’essai Thaï, ces deux derniers vaccins ne permettent pas d’induire des anticorps dits neutralisants à large spectre, seuls capables d’empêcher tous les types de VIH de pénétrer dans les cellules. Selon Jean-Daniel Lelièvre, il semble illusoire d’obtenir une efficacité préventive allant au-delà de 50%. Leur intérêt préventif serait donc collectif, avant d’être individuel. Ce qui constituerait une grande avancée, mais poserait aussi d’importants problèmes lors d’une éventuelle mise sur le marché. « Le jour où on aura un vaccin préventif qui n’est pas complètement efficace, il sera compliqué pour les pouvoirs publics de tenir un discours clair vis-à-vis du public », prévoit Caroline Ollivier-Yaniv.

Mise de côté à la suite de premiers échecs, dont ceux des essais VAX003 et VAX004, la piste des anticorps neutralisants suscite un nouvel espoir, celui d’une protection quasi totale contre l’infection. Lors d’une étude publiée en décembre 2018 [2], une équipe américaine est ainsi parvenue, pour la première fois, à protéger des primates non humains grâce à un vaccin induisant la production d’anticorps neutralisants à large spectre.

 Prévention : quelle place pour le vaccin ?

Qu’il repose sur des anticorps neutralisants ou non, il faudra attendre encore plusieurs années avant d’assister à la mise sur le marché d’un vaccin anti-VIH. La question se pose toutefois de sa place au sein de l’arsenal préventif, alors que plusieurs outils s’avèrent d’une efficacité aussi forte que devrait l’être un vaccin idéal. En particulier le TasP, qui démontre que toute personne dont la charge virale est rendue indétectable par la trithérapie ne transmet pas le virus. Ou encore la PrEP, dont l’efficacité est de quasiment 100% chez les personnes les plus observantes [3].

« C’est très bien que la PrEP existe, mais on ne peut pas se satisfaire que de cela, nuance Jean-Daniel Lelièvre. S’il fallait prendre des médicaments contre la rougeole pour éviter qu’elle survienne ce serait compliqué ! Et ce n’est pas parce qu’il existe des antipalus en prévention que l’on ne cherche pas un vaccin contre le paludisme. » Pour Serawit Bruck-Landais, directrice du service des programmes scientifiques et médicaux à Sidaction, « il n’existe aucun cas de maladie infectieuse que l’on a su éradiquer sans vaccin. Quant à la PrEP, elle repose sur des antirétroviraux, avec un risque de développer des résistances : même si on ne les voit pas encore, ce n’est probablement qu’une question de temps ».

L’existence de ces outils préventifs pose d’autres défis à la recherche vaccinale. La PrEP notamment, dont l’efficacité quasi totale risque de gommer un éventuel effet vaccinal, compliquant fortement l’analyse statistique lors des essais. Si la question ne s’est pas posée lors du lancement des essais en cours en Afrique, la PrEP y étant encore peu accessible, « il serait inconcevable qu’elle ne soit pas proposée aux participants lors des prochains essais de phase III », souligne Jean-Daniel Lelièvre. La question devrait être moins cruciale pour les vaccins reposant sur des anticorps neutralisants à large spectre, dont il est possible de montrer l’effet in vitro et qui peuvent être commercialisés sans résultats de phase III.

 La recherche vaccinale, une course de fond

Malgré ses avancées, la recherche d’un vaccin contre le VIH est sans conteste moins médiatique que ne l’a été celle de la trithérapie et suscite moins de débats au sein des associations que ne l’ont fait le TasP et la PrEP. « Les associations sont impliquées dans la recherche vaccinale, certes plus pour le vaccin thérapeutique que pour le vaccin prophylactique, reconnaît Jean-Daniel Lelièvre. Pour ce dernier, la difficulté est due au fait qu’il existe peu d’essais de phase III, beaucoup de phases I et II, et que la majorité des militants connaissent moins ce sujet. »

Parmi les causes probables de cette moindre mobilisation, les connaissances pointues en immunologie que requiert la recherche vaccinale. Pour Hugues Fischer, membre du collectif TRT-5 et d’Act Up-Paris, l’un des rares activistes français à suivre le sujet de près, « il est très difficile de mobiliser les gens sur quelque chose dont personne ne peut dire quand cela aboutira. Et il est inimaginable d’entretenir une mobilisation associative sur de la recherche fondamentale pendant trente ans. Combien de fois les chercheurs ont-ils dû retourner à la paillasse en se disant “on va essayer de comprendre ce qui s’est passé” ? »

Malgré les hauts et les bas, les promesses suscitées par les deux essais menés en Afrique, ainsi que la piste des anticorps neutralisants à large spectre, ont remis le vaccin sur le devant de la scène. Après avoir été considéré comme un outil parmi d’autres, « lors de la dernière conférence HIVR4P [HIV Research for Prevention], en octobre 2018, le vaccin a été présenté comme le creuset des espoirs de la recherche sur la prévention du VIH, constate Caroline Ollivier-Yaniv. Il y a une nette remise à l’agenda, de manière quasi politique. »

Notes

[1]Le VRI a été établi par l’ANRS et par l’université Paris-Est-Créteil afin de mener des recherches de vaccins contre le VIH, le VHC et les maladies infectieuses émergentes.

[2]Pauthner et al, “Vaccine-induced protection from homologous tier 2 SHIV challenge in nonhuman primates depends on serum-neutralizing antibody titers”,Immunity, déc.2018.

[3]Un an après le début de l’étude ANRS Prévenir aucun des 1 435 volontaires recrutés en Île-de-France, pour l’essentiel des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, n’avait contracté le VIH, selon des résultats présentés en juillet 2018 à la 22e Conférence internationale sur le VIH/sida.

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