vih « Le monde d’après ? Tu parles ! »

14.12.20
Christophe Martet
7 min

Christophe Martet est journaliste, rédacteur en chef de Komitid, ancien président d’Act Up-Paris et bénévole à l’Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour (ARDHIS) depuis 2015. Dans cette tribune personnelle, il revient sur son vécu de la pandémie de Covid-19. Une épreuve qu’il analyse au prisme de son expérience de militant contre le sida.

En commençant à écrire cette tribune, j’ai tout de suite pensé que je ne voulais pas me poser en expert. Il y en a tellement eu ! Ils sont venus, ils sont repartis, certains ont balancé des inepties, sans se soucier de l’impact sur le public et en particulier sur les personnes touchées.

En tant que journaliste, c’est sans doute ce qui, dans cette période d’intense communication sur une épidémie, m’a le plus rappelé les années 80 et 90, quand la presse se souciait peu de l’impact de ses unes sur le sida.

Libération qui titre sur « le cancer gay » pour parler du sida en 1983, d’autres journaux qui affirment quelques années plus tard que telle ou telle molécule est un traitement miracle. Ou que tel autre médicament n’a pas d’effet, sans penser aux ravages pour les personnes atteintes.

En 2020, on n’a toujours pas retenu les leçons du passé. Au printemps, j’ai été atterré par l’attitude de certains médias, encensant un jour un chercheur (suivez mon regard), osant l’expression du « traitement miracle » alors que la médecine et la santé ont besoin de tout sauf de ces formules agitées comme des hochets pour attirer le clic.

Faire attention aux effets d’annonce, c’est d’ailleurs ce que Françoise Barré-Sinoussi réclamait dans Le Monde en mars dernier. Les combattants du sida ont beaucoup trop dénoncé l’impact négatif d’une communication hasardeuse ou tout simplement mensongère.

Dix mille milliards de dollars

Dix mille milliards de dollars, c’est la somme astronomique (plus de 3 fois le PIB de la France) que les pays riches ont décidé de consacrer aux conséquences économiques désastreuses de cette pandémie. Preuve que l’argent n’est pas un frein quand la décision politique est là.

Pendant ce temps… les bourses du monde entier atteignent des sommets ! Vous comprenez quelque chose à ce monde où l’économie réelle, les travailleur.euse.s, les familles sont lourdement impactées alors que la finance, elle, se gave ?

Au début des années 2000 (vingt ans après le début de l’épidémie de sida!), le monde reconnaissait que le VIH/sida constituait un risque majeur sur le développement. Le Fonds mondial était créé, la mobilisation financière des États est devenue une réalité. Mais les fonds alloués à la lutte contre les trois épidémies les plus meurtrières (palu, tuberculose, sida) n’ont jamais été à la hauteur des enjeux.

Il ne s’agit pas évidemment d’opposer les combats, les urgences et les épidémies. Mais pourquoi les moyens n’ont-ils jamais été mis pour lutter contre une épidémie meurtrière qui continue de frapper les plus jeunes et les personnes actives ? 

Le sida a tué 32,7 millions depuis le début de l’épidémie. Près de 700.000 en 2019. Alors qu’on sait aujourd’hui que grâce à la prévention, mais aussi grâce au traitement, on peut casser les chaînes de transmission et stopper le virus (TasP), il reste encore plus de 12 millions de personnes en attente de traitement. Sans traitement, une contamination par le VIH conduit inexorablement vers le sida, et les maladies opportunistes. Et la mort.

Selon Onusida, les objectifs 2020 de la lutte contre l’épidémie de VIH/sida ne seront pas atteints – même si de rares pays d’Afrique subsaharienne, comme le Botswana et l’Eswatini, les ont dépassés. Ces objectifs 2020 se résument par la formule 90-90-90 : que 90% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut, que 90% de ces dernières soient sous traitement, et que parmi celles-ci, 90% aient une charge virale indétectable. La directrice de l’Onusida parle d’échec collectif, en désignant les pays riches qui n’ont pas tenus leur parole. Entre temps, ce sont les jeunes femmes et filles, les adolescent.e.s, les professionnel.le.s du sexe, les personnes trans, les consommateur.trice.s de drogues injectables et les personnes gays qui continuent de payer un lourd tribut.

À ce rythme et même si des efforts substantiels ont été fait, la fin du sida n’est pas pour demain !

Exigence d’éthique

L’autre drame, c’est que les acquis de la lutte contre le VIH/sida, et en premier lieu, l’importance du politique, la place des malades, un rapport plus équilibré entre spécialistes et profanes, une exigence d’éthique et de responsabilité dans toutes les mesures de santé publique n’ont pas compté pour grand chose dans la riposte au Covid. 

Jusqu’à il y a quelques jours, les malades-citoyens n’avaient pas été intégré à la riposte. Or, on l’a constaté, c’est lorsque la démocratie sanitaire fonctionne réellement que l’on peut réussir, dans le respect des principes éthiques et des populations. Trop souvent, depuis des mois, la coercition a fait office de politique de santé publique. Cela augure mal pour l’avenir !

C’est ce que nous écrivions, avec d’autres, dans une lettre ouverte publiée en mars dernier sur Mediapart : « Les décisions actuelles face à l’épidémie de Covid-19 et les avis sur lesquelles elles s’appuient sont à rebours de cet héritage, dans la façon dont elles sont recommandées et avalisées (aucune participation de la société civile, primat absolu de la médecine sur la pensée sociale), dont elles sont administrées (état d’urgence sanitaire, lois d’exception, pénalisation des comportements) et dont leurs effets inégalitaires sont minorés ou englobés dans le mot-valise-boite-noire de la vulnérabilité. »

Vous pensiez que le gouvernement, tout occupé à lutter contre la covid-19, allait laisser tranquille les malades ? Comme le signalent les associations, le gouvernement a passé en toute discrétion, le premier jour du reconfinement, des décrets limitant encore l’accès à la santé pour les étrangers-ères et des restrictions à l’AME. On ne change pas les mauvaises habitudes… Le monde d’après ? Tu parles !

Pour ce qui est des moyens, j’ai quelques pistes pour en récupérer, contre le VIH/sida comme pour la lutte contre la covid-19. Selon l’ONG Oxfam, 32 entreprises qui comptent parmi les plus grandes multinationales de la planète, devraient enregistrer cette année une hausse spectaculaire de leurs bénéfices, soit 109 milliards de dollars de plus que leur bénéfice moyen réalisé au cours des quatre années précédentes. Il y a de quoi financer largement l’accès au vaccin anti-Covid et la lutte contre le sida. Pour info, 109 milliards de dollars, c’est environ 20 fois les fonds alloués annuellement au fonds alloués au Fonds mondial !

Enfin, j’aimerai terminer cette tribune sur une note plus personnelle. Ma mère, Marcelle Chioso, a été atteinte de la Covid en avril dernier dans l’Ehpad qui l’hébergeait, comme de nombreux autres résidents (alors que l’établissement était fermé au public depuis le 6 mars…). Elle en est sortie guérie mais le virus a fait son travail de sape sur son corps fatigué. Elle est morte le 2 novembre, à l’âge de 92 ans. Je voulais dédier cette tribune à celle qui, dans les moments les plus durs comme dans les moments d’espoir, m’a toujours accompagné dans mon combat contre le sida.

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