Cette nouvelle technique de mesure était très attendue des chercheurs, qui s’échinent depuis de nombreuses années à quantifier de manière sûre les réservoirs viraux, qui demeurent l’obstacle majeur à franchir pour arriver à une guérison. Mais que représentent ces réservoirs ? Et pourquoi est-il encore impossible d’en venir à bout ? Alors que la majorité des cellules contenant l’ADN viral intégré (ou provirus) vont servir à fabriquer de nouveaux virus, une partie d’entre elles vont entrer en « sommeil ». C’est ce que l’on nomme les réservoirs viraux. Ces cellules peuvent persister de nombreuses années dans cet état de latence. Ces provirus étant inactifs, les traitements ARV[i] actuels, qui agissent à différentes étapes du cycle viral, ne sont pas capables de les atteindre. Ces cellules restent donc tapies dans l’ombre chez les personnes sous traitement. Le moindre changement entrainant une réactivation de ces cellules va induire le « réveil » des provirus qui vont alors produire de nouveaux virus. Néanmoins, il faut savoir que le réservoir viral contient une majorité de provirus défectueux, incapables de produire de nouveaux virus. L’enjeu pour les chercheurs est donc de quantifier les réservoirs en distinguant les provirus défectueux de ceux qui peuvent poursuivre l’infection.
Plusieurs techniques de quantification des réservoirs ont été développées au cours des années. L’une d’elle consiste à mesurer la quantité d’ADN viral présent dans les cellules. Cette technique, facile à utiliser, surestime cependant le réservoir puisqu’il ne discrimine pas les provirus défectueux. Le Pr Siliciano et son équipe sont à l’origine d’une autre méthode de quantification des réservoirs servant aujourd’hui de standard de référence de mesure. Mise au point en 1995, cette méthode a permis de montrer pour la première fois l‘existence des réservoirs viraux dans les lymphocytes T CD4[ii]. Cette technique nommée QVOA[iii] consiste à réactiver in vitro des lymphocytes T CD4 isolés de patients et de mesurer ensuite la production virale qui en résulte. Toutefois, cette technique possède quelques inconvénients : une grande quantité de sang est nécessaire à sa réalisation et sa durée d’exécution nécessite plusieurs jours. En 2015, Nicolas Chomont et ses collègues du Vaccine and Gene Therapy Institute (Floride, USA) ont développé une nouvelle méthode de quantification des réservoirs nommée TILDA[iv], capable de mesurer la fréquence de cellules réactivables capables de produire des transcrits d’ARN viraux. Au contraire de la technique QVOA, celle-ci nécessite une faible quantité de sang et s’exécute en seulement deux jours, la rendant plus adaptée à être utilisée dans des essais cliniques. Cependant, ces techniques ne sont adaptées que pour les lymphocytes T CD4, hors l’on sait maintenant que d’autres types cellulaires servent également de réservoirs au VIH, comme les macrophages tissulaires du pénis[v].
La nouvelle méthode[vi] mise au point par l’équipe de l’institut Howard Hugues permet de quantifier de manière séparée les provirus défectueux et intact ; et ainsi de définir de manière plus précise la quantité de réservoirs ré-activables, donc responsables de la poursuite de l’infection. Pour mettre au point leur technique, les chercheurs ont analysé plus de 400 provirus isolés chez 28 patients. Cela leur a permis de développer des sondes capables de détecter les provirus intacts et ceux défectueux. L’outil nano-technologique développé par leur soin et qui utilisent ces sondes, leur permet d’analyser l’état fonctionnel (intact ou défectueux) d’un provirus à la fois. Contrairement aux méthodes utilisées jusque-là, celle-ci permet de quantifier de manière précise le nombre de provirus capable de produire à nouveau des virus si la cellule est ré-activée et qui constitue réellement le réservoir à éliminer pour venir à bout de l’infection. Les auteurs ont évalué la fréquence de cellules contenant des provirus intacts à environ 100 par million de lymphocytes T CD4, alors que la fréquence de cellules avec des provirus défectueux est cinq fois plus importante. Ces données montrent bien que les provirus intacts représentent une très faible partie du réservoir viral.
[i] ARV : anti-rétroviraux
[iii] QVOA : Quantitative Viral Outgrowth Assay