« Rien pour nous sans nous ». Commun à bien des domaines de santé, ce slogan a encore toute sa place dans la lutte contre le VIH, tant sa prise en compte semble précaire. Pour preuve, le rappel incessant du rôle essentiel des populations-clés dans la prévention et les soins liés au VIH.
La session consacrée à ce thème précis avait pour objectif de faire prendre conscience de la nécessité, de la faisabilité, de l’efficacité et de la durabilité d’un modèle de services de santé pour les personnes affectées par le VIH, piloté par les populations-clés, pour renforcer les cascades de la prévention et du soin. Ce modèle définit un ensemble de services fournis par des associations, issues des populations-clés, souvent en partenariat avec des entités du secteur public. Il implique aussi que le leadership de ces populations se traduise par leur propre identification des services dont elles ont besoin pour faire face au VIH.
Au cours de la session, plusieurs stratégies mises en œuvre dans cette direction ont été décrites. Après en avoir détaillé quelques-unes, Svetlana Moroz du Réseau de femmes eurasiennes de lutte contre le sida a rapidement abordé les obstacles, principalement politiques, à une prise en charge adéquate des femmes consommatrices de drogues injectables en Europe de l’Est et en Asie Centrale. Alors que dans ces régions, l’épidémie croît régulièrement, les autorités continuent d’y appliquer des politiques de répression plutôt que d’intégration. Un exemple frappant est celui de la non-disponibilité, encore aujourd’hui, de traitements de substitution, dont l’efficacité est pourtant largement démontrée (on se souvient des témoignages dramatiques de citoyens ukrainiens de Crimée, privés de ces traitements après l’invasion de leur région par la Russie).
Alicia Kruger, représentante du Ministère de la santé brésilien, a expliqué la situation paradoxale de son pays, où les politiques sociales et sanitaires vis-à-vis des personnes transgenres sont libérales, avec néanmoins un taux très alarmant de meurtres fondés sur la transphobie. Elle a également beaucoup insisté sur la nécessité d’inclure les personnes transgenres dans les prises de décision concernant leur santé et leur bien-être. « Ce n’est pas parce que je suis moi-même une transgenre occupant ce poste que le processus est terminé », a-t-elle affirmé en conclusion de sa présentation.
La nécessité urgente de changer les mentalités dans les systèmes de soins ensuite a été abordée par le docteur Margaret Hillard, de l’Institut Burnet, en Australie. Selon elle, débarrasser les médecins ou les infirmiers du « complexe de Dieu » est une tâche ardue, qui peut cependant être allégée grâce à une véritable interaction entre soignants et associations de terrain. Elle a beaucoup fait sourire, en racontant combien il lui arrivait de rappeler à certains collègues le nombre de fois où ils demandaient à leurs patients de changer leurs comportements – « tu arrêteras de fumer et de boire, tu feras de l’exercice, tu mangeras plus léger… » – , alors qu’eux-mêmes restaient imperméables à l’idée d’étendre leurs compétences aux structures d’accueil des personnes issues des populations-clés.
Les deux autres expériences rapportées dans cette session s’étaient avérées très positives. Pongthorn Chanleurn, de la Fondation Mplus, a montré comment des services pilotés par des populations-clés – travailleur.se.s du sexe, transgenres, hommes ayant des rapports avec des hommes – avaient permis d’améliorer l’approche de proximité, pour inciter au dépistage et au traitement du VIH dans des villes de Thaïlande. Le docteur Hong Thu Thi Phan, du Ministère de la santé vietnamien, a ensuite décrit les énormes progrès réalisés dans ce même domaine, depuis que les autorités de son pays ont inclus ce type de services dans leur plan stratégique national.
Un échange entre le public et les intervenants a suivi les présentations, portant notamment sur la nécessité d’une reconnaissance de la capacité des populations-clés à collecter des données pour les politiques de santé publique et la recherche. À l’évidence, nous sommes encore loin de cette prise en compte, notamment parce que les financeurs de programmes de recherche résistent à cette ouverture. A la fin de cette session, le slogan « rien pour nous sans nous » résonnait encore clairement dans la salle.