Sylviane, 72 ans
« Il y a seize ans, j’ai appris que j’étais séropositive, j’avais 56 ans. J’ai contracté le virus lors d’une relation sexuelle avec un homme qui ne savait pas qu’il était atteint. Il avait une charge virale très importante et il est décédé six mois plus tard. Quand cela vous arrive, c’est comme une bombe qui vous tombe sur la tête, je me pensais condamnée. Mon médecin m’a pourtant dit : “Vous mourrez un jour, mais pas du sida.” Il avait raison. Ma charge virale est maintenant indétectable et j’ai même vécu une relation qui a duré de six ans et durant laquelle on ne se protégeait plus. J’ai été extrêmement bien entourée par l’équipe du CHU de Nantes. Cela m’a beaucoup aidé lors des deux années qui ont suivi l’annonce, car je n’en parlais à quasiment aucun proche. Aller au CHU était pour moi un bon moment, où j’étais chouchoutée. Par chance, je n’ai pas eu d’effets secondaires liés au traitement, lequel a très bien fonctionné sur moi. Au début, je prenais une quinzaine de comprimés par jour, à des horaires très précis. Depuis cinq ans, je ne prends plus qu’un comprimé, et ce n’est pas grave si je ne suis pas hyper régulière sur l’horaire. C’est moins lourd qu’avant, mais le traitement n’est pas pour autant anodin, car il abîme les reins et le foie. Je suis contrôlée tous les six mois au CHU et à chaque fois la prise de sang me procure quelques angoisses incontrôlées. Au final, il m’a bien fallu entre huit à dix ans pour accepter ma séropositivité. J’ai longtemps eu honte et j’ai énormément culpabilisé. Aujourd’hui, je n’y pense plus tous les jours et je me concentre davantage sur mon envie d’aider les autres séropositifs, par exemple aiguiller les personnes qui viennent d’apprendre leur séropositivité. »
Roman, 17 ans
« Les connaissances que j’ai du VIH ? Je sais que c’est une maladie, qu’elle est importante, car elle a touché beaucoup de gens à la fin du xxe siècle et qu’en France elle est toujours assez mal vue. Quand je pense au sida, je pense à l’homosexualité et au fait que ce soit une infection pour laquelle on se dit un peu que c’est la faute de la personne contaminée si elle l’a attrapée. Je n’ai pas l’impression d’avoir eu un vrai apprentissage sur la question à l’école. Jamais personne n’est venu nous en parler, alors que ça me semblerait vraiment important. Je pense en avoir appris davantage par les films, comme lorsque je suis allé voir 120 battements par minute l’année dernière avec mes parents. Cela nous a permis d’engager des conversations sur le sujet. On en parle peu avec mes amis. Quand c’est le cas, j’entends encore le cliché de la personne qui a le VIH et à qui il ne faut pas serrer la main. Nous sommes mal informés sur les modes de transmission. Récemment, une copine m’a dit que “de toute façon, c’était une maladie d’hommes”, sous-entendu de gays. Elle ne se sentait pas du tout concernée. Moi, j’ai fait l’effort d’aller un peu me renseigner : je sais que le préservatif protège du VIH lors des relations sexuelles et qu’il faut se faire dépister régulièrement. Je sais aussi que les médicaments permettent en quelque sorte de repousser la maladie, mais qu’on ne sait toujours pas la soigner complètement. »
Matthieu, 22 ans
« Je viens d’un petit village de Vendée et je n’ai donc pas reçu beaucoup d’informations sur la prévention du VIH quand j’étais jeune. Je me souviens surtout d’une professeure de SVT, au collège, qui prenait le temps de nous parler de sexualité et d’infections sexuellement transmissibles en sortant d’un schéma hétéronormé. Elle n’hésitait pas à parler d’homosexualité. Ce qui m’allait bien, car j’ai su dès le collège que j’étais gay. Par chance, ma mère était très ouverte sur les questions de sexualité, elle m’a appris beaucoup de choses, notamment sur le VIH, car elle était très fan de Queen et a été traumatisée par la mort de Freddie Mercury. Ma professeure de SVT a ajouté un peu de connaissances scientifiques à tout ça. Quand j’ai commencé à avoir une sexualité active, j’avais à la fois le sentiment de savoir comment me protéger et de manquer d’informations. J’ai découvert beaucoup de choses quand j’ai été étudiant, en échangeant avec d’autres personnes. J’ai toujours eu des bandes d’amis qui parlaient ouvertement de sexualité, alors ça a aidé. En revanche, c’est dans un centre de dépistage que j’ai vu une brochure sur la PrEP et que j’ai décidé de commencer ce traitement pour avoir une double protection lors de mes relations. Quant à ma vision de la maladie, elle a pas mal changé grâce à un ami qui m’a expliqué qu’on pouvait être séropositif indétectable et avoir des relations non protégées. Malgré cela, le VIH me fait toujours peur, car on a été éduqué avec l’idée qu’on en mourait et avec des clichés comme le fait que ce soit lié à un manque d’hygiène. Je pense que le cinéma n’aide pas non plus, car on voit toujours des personnages qui vont très mal et rarement des séropositifs qui mènent une vie normale… »
Bella, 25 ans
« Je suis arrivée en France en juin 2017, après un long voyage depuis le Nigeria, mon pays d’origine, en passant par la Libye et l’Italie. Je suis venue via un réseau de prostitution. Mon plan était d’arriver jusqu’en France par ce réseau, puis d’en sortir pour avoir une vie meilleure. C’est ce que j’ai fait. Après quelques mois, j’ai arrêté la prostitution. Et, aujourd’hui, j’apprends le français. À l’école, en Afrique, on nous parlait un peu du VIH, on nous disait de nous protéger et on nous distribuait gratuitement des préservatifs. Quand j’ai eu mes premiers rapports, j’ai utilisé des capotes, notamment parce que je ne voulais pas tomber enceinte. En arrivant en France, j’étais en lien avec des associations qui font de la prévention, comme Paloma[1]. Mais j’ai surtout vécu avec une femme africaine, et des rumeurs disaient qu’elle avait peut-être le VIH. On partageait nos repas, nos verres, notre pince à cheveux, ce qui serait inacceptable en Afrique. Là-bas, une personne qui vit avec le VIH est isolée, elle n’a plus d’amis. Je n’ai pas osé lui en parler pour ne pas la mettre mal à l’aise. Après des heures passées sur Internet à rechercher des informations, j’ai découvert que je pouvais partager tout ça avec elle sans risque. Maintenant, je sais que le virus est faible dans le milieu extérieur et qu’il se transmet par relation sexuelle non protégée. Je me suis quand même fait dépister en quittant la colocation, pour être sûre. En France, le sida ce n’est pas grand-chose, on peut vivre avec, alors qu’en Afrique, la maladie est associée à la mort et fait très peur. »
[1] Association de santé communautaire basée à Nantes.