vih Le VIH derrière les barreaux, un bilan en demi-teinte

25.09.19
Valérie Gautier
10 min
Visuel Le VIH
derrière les barreaux, un bilan en demi-teinte

Si l’écart entre le taux de séropositivité en prison et en milieu ouvert a largement diminué, plusieurs blocages empêchent encore la réduction des risques et la prise en charge optimale des malades incarcérés.

« Le problème n’est pas du côté de l’offre de soins, j’insiste là-dessus », déclare Vincent Faucherre, médecin praticien au CHU de Montpellier, également intervenant en prison auprès des personnes infectées par le VIH. Une fois par semaine, il se déplace à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault) pour des consultations spécialisées.

Ce « médecin VIH », comme il s’estime catalogué en maison d’arrêt, a pleinement investi la mission dictée par le gouvernement il y a plus de vingt ans, suite à la mise en place de la loi du 18 janvier 1994, relative à la santé publique et à la protection sociale : celle de proposer aux détenus une offre de soins équivalente à celle dont dispose l’ensemble de la population. Pour cela, les médecins affectés aux unités médicales en détention sont rattachés à l’hôpital de secteur, ce qui a participé à une amélioration des soins en milieu carcéral.

« Sur le plan technique, théoriquement, la prise en charge est équivalente. Mais il existe plein d’aléas qui font que pour un “patient VIH”, être en prison est une perte de sens », précise-t-il. La première de ces barrières est la stigmatisation qui entoure encore la maladie. « Des patients ne veulent pas venir à la consultation du spécialiste, car cela revient à s’exposer aux autres détenus et donc, à dévoiler son statut sérologique », précise le médecin. Car au « jeu » de la sérophobie, le milieu carcéral excelle ! C’est ce qui explique que, pour Vincent Faucherre, plus qu’une remise en question de l’offre de soins, c’est sur le plan de la prévention qu’il est important d’agir. Venir en consultation est un premier problème, prendre son traitement devant ses codétenus ou détenir des préservatifs sont autant d’actes parfois compliqués à gérer. Et ce, même si les médecins « arrosent les lieux en protections », comme l’explique le Dr Jean-Claude Guichard, responsable du CeGIDD au sein des établissements pénitentiaires d’Annœullin et de Sequedin (Nord).

Le cadre de vie avant tout

François Bès est coordinateur du pôle Enquête de l’Observatoire international des prisons (OIP). Pour lui aussi, l’enjeu va bien au-delà de l’infection et de son traitement. « Plusieurs critères sont à prendre en compte dans l’évolution de la maladie, notamment le cadre de vie, estime-t-il. On est plus affaibli si on vit dans un environnement stressant, manquant d’hygiène ou en étant mal alimenté, et cela n’est pas du tout considéré. » Un constat validé par Vincent Faucherre qui considère, par exemple, les procédures de jugements qui s’éternisent ou les demandes de papiers pour personnes étrangères qui traînent comme des situations anxiogènes, représentant de réelles entraves à la bonne santé des détenus. « J’ai déjà vu plusieurs détenus prendre leur santé en otage en se disant “puisque je suis en prison et que je n’ai pas accès à mon avocat et que le SPIP* ne m’entend pas, alors je ne prends pas mes antirétroviraux” », rapporte-t-il.

C’est face à ces problématiques que la question de l’aménagement ou de la suspension de peine se pose. Ces dispositifs concernent les détenus malades pour lesquels la prise en charge en prison ne peut pas se faire correctement. Sur avis médical, le juge d’application des peines les valide ou non. La suspension a été créée pour les détenus qui ne pouvaient pas prétendre à l’aménagement de peine (jugement en attente, peine incompressible…). Selon François Bès, « sur le papier, l’accès aux aménagements et aux suspensions de peine a été facilité, mais dans les faits, ils sont encore très rarement accordés ». Ces trente dernières années, l’aménagement de peine pour les détenus séropositifs était en majorité accordé lorsque le pronostic vital était engagé. Comme cette situation se raréfie, les acteurs de santé ont parfois du mal à faire valoir d’autres critères, par exemple le cadre de vie ou la santé psychologique. Quand les conditions sont remplies, il reste à trouver une structure d’accueil. Pour François Bès, malgré l’investissement du ministère de la Santé et l’augmentation du nombre de places dans ces centres, le détenu fait peur et est souvent volontairement écarté de ces endroits. Afin que le nombre de ces aménagements progresse, il mise sur plusieurs mesures : un meilleur maillage du territoire en lieu d’accueil, une expertise plus précise des médecins qui, parfois, n’ont pas la bonne connaissance des pathologies et des besoins qui en découlent, et que les droits des détenus soient à jour. Et plus que tout, François Bès ne cesse de le marteler : « que l’état de santé du patient prenne le dessus sur son statut de détenu ».

*Service pénitentiaire d’insertion et de probation

Quatre questions à Vincent Vernet

directeur de la maison centrale de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) et ancien directeur du centre de détention d’Oermingen (Bas-Rhin).

Lorsque vous étiez directeur du centre de détention d’Oermingen, vous aviez impulsé un partenariat très actif avec le Corevih-Alsace. Pouvez-vous nous expliquer les bénéfices de cette collaboration ?

Oermingen est un établissement dans lequel la plupart des détenus réalisent de courtes peines, et je dirais que la moitié d’entre eux ont des problèmes de toxicomanie, donc se concentrer sur la prise en charge santé était pertinent. Dans la suite de mes fonctions au centre de détention de Bapaume [Pas-de-Calais] et actuellement à Vendin-le-Vieil, on est davantage dans une logique d’information que de prise en charge, car le public n’est pas le même. 

Qu’est-ce qui a été mis en place avec le Corevih ?

Il y a eu un grand travail d’information sur la transmission, que ce soit via l’échange de seringues, le tatouage ou encore le « coiffage ». En effet, le partage de tondeuse est une pratique à risque ! Cela se produit bien sûr en cachette et il existe une vraie méconnaissance du public sur les risques de transmission. On a aussi lancé une politique de formation du personnel sur ces questions. En lien avec le Corevih, de nombreux ateliers ont été menés, comme la création de plaquettes d’information ou la mise en place de pipelife transparents. Ces gros tubes servent de distributeurs à capotes. On les a installés dans toutes les coursives, afin qu’ils ne soient plus uniquement à disposition dans l’infirmerie ou les douches, et que les détenus n’aient plus besoin de se cacher pour en prendre.

Qu’est-ce qui bloque encore pour une meilleure sensibilisation et prise en charge du VIH ?

En prison, c’est assez simple : si le patron ne veut rien faire, il ne se passera rien ! Il manque une vraie sensibilisation des différents chefs d’établissements ; certains ne voient aucun intérêt à la prise en charge des infections sexuellement transmissibles en détention. C’est triste, car cette prise en charge peut radicalement changer le parcours de réinsertion qui s’ensuivra.

J’ai toujours en tête l’image des interminables files d’attente devant l’unité sanitaire d’Oermingen, lorsque les détenus venaient prendre leurs traitements de substitution. Il y a une population qui se drogue en centre de détention et c’est notre travail de nous adapter à ce public. Nier cette réalité participe en partie au blocage de la mise en place du dispositif d’échange de seringues. Comme si en le faisant on légitimait les injections illégales. Il ne faut pas le prendre comme ça, la relation s’établit entre le patient détenu et l’unité sanitaire. Si un patient s’y rend avec une seringue usagée, nous, l’administration, n’avons pas à le savoir.

Que pensez-vous du plan pour améliorer la santé en prison présenté par le gouvernement ? 

Sur le contenu, je suis très satisfait, mais reste à savoir si cela se concrétisera. Il n’y a rien de pire qu’un plan qui n’est pas mis en œuvre. J’ai bon espoir, car on a quand même dans les directions régionales des référents santé qui sont très actifs et qui font bouger les choses. L’ARS* et le ministère de la Santé concluent souvent que nombre de détenus sont mieux soignés dedans que dehors. Le risque principal reste que les parcours de soins s’arrêtent à la sortie. On n’a pas de vision là-dessus, car aucun détenu ne nous envoie de carte postale pour nous dire que tout va bien… 

La préparation à la sortie de prison, j’ai l’impression que j’en parle depuis vingt ans et que rien ne s’arrange. En 2001, avant l’entrée en vigueur du Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO), les demandes émanaient directement de la détention pour préparer la sortie des détenus. Aujourd’hui, c’est un guichet unique. Résultat : du fait de la complication de la procédure, les demandes d’hébergement aboutissent beaucoup plus difficilement. S’il n’y a pas de solution d’hébergement, la prise en charge des soins est moins évidente. Auparavant, on rencontrait les détenus avant la sortie et on pouvait préparer les questions d’accès aux soins, être en lien avec l’hôpital de référence ou s’assurer que l’unité sanitaire fasse suivre le dossier à l’hôpital. Maintenant, les gens sont perdus de vue.

Concernant le VIH, depuis que la pathologie est devenue chronique, on a moins de suivi, car ces patients ne sont plus prioritaires. On a aussi un important problème d’accès aux droits. Les cartes de séjour, les cartes d’identité ou encore l’ouverture des droits à la CMU ne sont pas systématiquement faites avant la sortie de prison, notamment en maison d’arrêt où les détenus, souvent en surnombre, ne restent pas longtemps. Globalement, on fait tous du bidouillage. En général, on s’attelle également à faire de l’éducation thérapeutique, car les détenus, quand ils sortent de détention, veulent rattraper le temps perdu et ne font plus des soins une priorité. Donc, il faut retravailler cette question du suivi de la santé et des traitements. La question de la préparation à la sortie est vraiment le parent pauvre de l’administration pénitentiaire. »

[1] Arapej accueille les personnes qui sortent de détention ou en aménagement de peine, ainsi que les personnes en grande difficulté sociale.

« La préparation à la sortie est le parent pauvre de l’administration pénitentiaire »

Nathalie Vallet, travailleuse sociale à l’Arapej 93 [1]

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