La pandémie de Covid-19 met en lumière la nécessité de renforcer la lutte contre les nouvelles maladies, issues du monde animal notamment. Ainsi, l’approche « Une seule santé » ou « One Health » vise à mieux faire travailler ensemble les acteurs de la santé humaine, animale et environnementale. C’est dans cette logique que l’ANRS s’est transformée pour lutter, au-delà du VIH, contre les maladies émergentes.
Pangolin ou chauve-souris ? Un certain mystère plane encore sur l’identité de l’espèce animale à l’origine de l’actuelle pandémie de Covid-19. « Pour l’instant, on n’est pas arrivé à retracer toute l’histoire évolutive de ce virus », indique Delphine Destoumieux-Garzón, directrice de recherches CNRS. « On sait que le virus qui cause la Covid-19 a un génome très proche d’un coronavirus de la chauve-souris et un bout de génome proche d’un coronavirus du pangolin. Mais on n’est pas encore parvenu à l’identifier l’espèce animale dans laquelle s’est opéré la recombinaison de ces deux génomes ayant abouti à l’émergence de ce coronavirus humain», ajoute cette chercheuse, qui est directrice adjointe du laboratoire « Interactions Hôtes-Pathogènes-Environnements ».
70% des nouvelles maladies infectieuses viennent de l’animal
Si tous les secrets sur l’origine de la Covid-19 ne sont pas complètement levés, la crise sanitaire actuelle met en lumière les interactions étroites entre les maladies animales et humaines. Et l’urgence de développer l’approche « One Health » (une seule santé) pour prévenir ou mieux lutter à l’avenir contre les nouvelles épidémies de maladies infectieuses. « Pratiquement toutes les grandes maladies infectieuses émergentes, au cours de ces 30 dernières années, ont eu, au départ une origine animale », constate Eric Delaporte, professeur de maladies infectieuses au CHU de Montpellier et directeur d’une unité de recherches Inserm/IRD/université de Montpellier.
C’est à partir de ce constat qu’est née, au début des années 2000, l’idée de prendre en compte tous les facteurs favorisant la multiplication de ces maladies « En 2004, on a vu apparaître le concept ‘One world, one Health’ lors d’un congrès de la Société pour la conservation de la vie sauvage. Les participants ont ainsi énoncé une série de principes établissant que la santé des hommes et des animaux dépendait aussi de la qualité de l’environnement », explique Delphine Destoumieux-Garzón. En 2019, le concept « One Health » a bénéficié d’un important coup de projecteur avec la signature d’un accord tripartite, visant à assurer sa mise en œuvre, entre trois grandes institutions internationales : l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO).
L’objectif est de mieux faire travailler ensemble tous les acteurs de la santé humaine, animale et environnementale. Ce qui était loin d’être le cas jusque-là. « C’est vrai que, pendant longtemps, médecins et vétérinaires n’ont guère eu d’échanges les uns avec les autres. Ce sont deux mondes différents qui doivent apprendre à mieux se connaître », constate François Dabis, professeur de maladies infectieuses, qui vient de quitter la direction de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites (ANRS).
Le VIH, également issu de l’animal
La Covid-19 est loin d’être la seule maladie qui vient de l’animal. Rage, grippe aviaire, fièvre de la vallée du Rift, brucellose, Zika, Chikungunya, Ebola… On ne compte plus les pathologies qui, ces dernières années, ont occupé le devant de l’actualité. Dans un contexte évidemment très différent, la seule maladie qui se soit aussi largement diffusée, comme la Covid-19, à l’échelle mondiale est le VIH/sida. « L’origine du VIH est un bon exemple de l’intérêt de mettre en avant cette approche One Health. Car il s’agit aussi d’un agent infectieux passé de l’animal à l’homme après avoir subi diverses adaptations », indique le professeur Delaporte.
En effet, on sait que le VIH, au départ, appartient à un groupe de virus qui existait chez les grands singes (gorilles, chimpanzés) en Afrique Centrale. « Des épisodes de passage du chimpanzé à l’homme ont, très probablement pu survenir, via des accidents de chasse, des morsures d’animaux ou de la consommation de viande de brousses mais sans qu’il y ait diffusion épidémique. Il a fallu que le virus ‘sorte’ de la forêt et qu’une personne infectée se retrouve à Kinshasa en voyageant par les affluents du fleuve Congo pour qu’à partir des années 1920-1930, la diffusion du virus se fasse à bas bruit » souligne le professeur Delaporte, en ajoutant que cette évolution s’est faite dans un contexte de profond changement social lié à l’urbanisation, aux transferts de populations ou au développement des infections sexuellement transmissibles. « On a vu un peu le même phénomène avec le virus Ebola qui, pendant longtemps, n’a provoqué que des épidémies très localisées dans certaines zones d’Afrique. Et qui, ces dernières années, a commencé à toucher des zones plus urbanisées », ajoute l’infectiologue.
Si, au départ, les agents infectieux sont venus de l’animal, c’est bel et bien l’action des hommes qui a joué un rôle majeur dans la diffusion de ces maladies émergentes. « Le nombre de grandes épidémies au niveau mondial a augmenté depuis un siècle, à mesure de l’accroissement de la population mondiale, de l’intensification des transports de la dégradation de l’environnement et du développement des villes. L’activité humaine joue ainsi un rôle majeur dans la propagation de maladies infectieuses : la déforestation a par exemple mis en contact les animaux sauvages et ceux d’élevage, facilitant le passage de nouvelles maladies à l’homme », souligne l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
L’impact de la déforestation
Cette instance cite le cas, peu connu, du virus Nipah, en Asie du Sud-Est. Ce virus, proche de celui de la rougeole, a été transmis par des chauves-souris au porc, qui l’a ensuite passé à l’homme. « Ces mammifères volants avaient trouvé refuge dans des élevages porcins à la suite d’incendies colossaux ayant détruit la forêt tropicale malaysienne. Le virus Nipah a provoqué près de 40 % de mortalité chez l’homme. L’épidémie a heureusement pu être contenue grâce à l’abattage d’un million de cochons », explique l’Anses.
Delphine Destoumieux-Garzón souligne, elle aussi, le rôle joué par la déforestation. « Elle a amené les hommes à aller vivre sur des territoires jusque-là occupés par la faune sauvage, ce qui a multiplié le risque de nouvelles rencontres entre l’homme et des micro-organismes animaux. Dans l’autre sens, la déforestation a aussi favorisé le fait que la faune sauvage, privée de son habitat naturel, s’est rapprochée des villes et des zones d’habitation humaine », explique la chercheuse, en évoquant un autre domaine, où l’approche One Health est cruciale : celui de la lutte contre les résistances aux antibiotiques. « Il s’agit, depuis plusieurs années, d’un sujet de préoccupation majeure liée au mauvais usage de ces médicaments chez l’homme mais aussi chez l’animal. Pendant longtemps, par exemple, on a utilisé des antibiotiques pour faciliter la croissance de certaines espèces animales à des fins de production », indique Delphine Destoumieux-Garzón.
Promouvoir des actions concrètes
Aujourd’hui, toute le monde s’accorde sur la pertinence de lutter ensemble pour promouvoir une « seule santé ». Mais au-delà des mots, il convient surtout de mettre en place des actions concrètes et innovantes. Dans une tribune, publiée dans le Monde en novembre dernier, un collectif de spécialistes citait plusieurs projets prometteurs. « Des réseaux régionaux de santé dans les Caraïbes (CaribVET) ou l’océan Indien (One Health OI) associant chercheurs, vétérinaires, médecins, décideurs des différents pays et organisations régionales et internationales, ont contribué à prévenir l’introduction de l’influenza aviaire en 2016 dans les Caraïbes, et à contrôler les épizooties de fièvre aphteuse et de fièvre de la vallée du Rift dans la zone de l’océan Indien en 2019 », soulignait ce collectif, tout en appelant à créer un Haut Conseil international de la santé, fondé sur l’approche « One Health ».
Un autre signe de l’importance de cette approche nouvelle est la mise en place, au 1er janvier dernier, d’une nouvelle Agence, venue remplacer l’ANRS et consacrée à la lutte contre les maladies infectieuses émergentes. « Jusque-là, nous n’avions pas, au sein de l’ANRS, développé de programmes inspirés de ce concept One Health, souligne le professeur Dabis. Même si, historiquement, le VIH est venu de l’animal, il n’y a eu ensuite aucun échange permanent entre le virus humain et un réservoir animal. Mais aujourd’hui, le développement de ces nouvelles pathologies infectieuses a changé la situation », Désormais dirigée par le Pr Yazdan Yazdanpanah, cette ANRS, nouvelle formule, va continuer à animer la recherche sur le VIH/sida, les hépatites mais aussi s’intéresser aux infections respiratoires émergentes comme la Covid-19, les fièvres hémorragiques virales ou les arboviroses. « L’approche choisie est celle de la santé globale s’intéressant à la fois à la santé humaine, animale et à l’impact de l’homme sur l’environnement », précise l’Agence dans un communiqué publié le 21 janvier.