Face aux échecs de l’Etat, trois associations (Sidaction, Planning familial, SOS Homophobie) ont annoncé début mars saisir la justice pour faire appliquer la loi de 2001. Pour Hélène Roger, directrice du pôle analyse et plaidoyer de Sidaction, les enjeux sont majeurs, en matière de santé comme de respect de la diversité.
Transversal : En quoi l’éducation à la sexualité est-elle un outil crucial pour la lutte contre le VIH ?
Hélène Roger : L’éducation à la sexualité est indispensable car, de fait, elle parle de lutte contre le VIH, de prévention et d’IST ! Autant de sujets sur lesquels, et tous les sondages le montrent, le niveau de connaissance n’est pas fameux chez les jeunes. Près d’un sur cinq continue à penser qu’on peut contracter le VIH en embrassant une personne séropositive. Au-delà des connaissances sur le VIH et la prévention, l’objet de l’éducation à la sexualité est très large. Elle aborde les rapports entre garçons et filles, le consentement, les LGBT-phobies… Elle permet non seulement d’apprendre à mieux gérer sa sexualité et à faire attention à soi et à ses partenaires, mais aussi de lutter contre les discriminations.
T. : D’où viennent les difficultés à faire appliquer la loi de 2001, qui prévoit trois séances annuelles d’éducation à la sexualité pour chaque classe d’âge ?
H.R. : Le sujet en soi est délicat. Dès qu’il fait un peu de bruit, les réactionnaires montent au créneau pour dénoncer le fait qu’on enseignerait la sexualité aux enfants. Bien à tort : dans les classes d’école primaire, il ne s’agit pas de parler de relations sexuelles, mais d’intimité, de respect (notamment de son corps et de celui des autres) et de consentement. Ce qui permet aux enfants de développer leur tolérance, de comprendre ce que sont les gestes responsables et les gestes déplacés. L’éducation à la sexualité permet ainsi d’aborder des choses fondamentales avec les enfants. Pourtant, de nombreuses personnes n’en ont pas connaissance.
Ces blocages ne sont pas les seuls responsables de la situation. Il faut aussi davantage former les responsables d’établissements et les enseignants. Au collège et au lycée, l’éducation à la sexualité se fait actuellement sur la base du volontariat des enseignants. Elle dépend donc de leurs capacités, de leurs compétences, mais aussi de leur appétence pour le sujet, et du temps nécessaire à la préparation de ces heures. Il faut également accorder plus de moyens à l’éducation à la sexualité, et reconnaître davantage la place et l’expertise des associations. Souvent, elles n’interviennent que de manière ponctuelle. C’est certes intéressant, mais leur intervention doit s’inscrire dans une vraie coordination des parcours d’éducation à la sexualité. Au-delà, la mise en place de l’éducation à la sexualité demande une organisation importante, notamment au niveau local, qui n’a jamais été priorisée.
T. : Le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, a annoncé en septembre 2022 son intention de renforcer l’éducation à la sexualité. Quel est le sens de la saisine du tribunal administratif de Paris, annoncée par Sidaction, le Planning familial et SOS Homophobie ?
H.R. : Alors que seuls 15 % des élèves ont eu un minimum de trois séances d’éducation à la sexualité au cours de leur scolarité, il n’est plus possible de croire aux paroles tenues depuis 20 ans, lorsqu’elles ne sont pas suivies d’effets. Du côté du ministre, c’est certes un sujet qu’il a pris à bras le corps, ses déclarations sont intéressantes, et la circulaire qu’il a publiée en septembre va dans le bon sens. Mais au-delà des mots, l’important est que cela avance réellement ! On ne peut pas se contenter d’un ministre convaincu. L’éducation à la sexualité doit se construire dans la durée, faire l’objet d’une continuité entre les ministres successifs.
Suite à notre dépôt de plainte, il faudra attendre 12 mois avant qu’elle passe en jugement. Durant cette période, nous allons continuer à travailler sur le fond du dossier, à faire un travail de pédagogie, pour montrer à quel point l’éducation à la sexualité est importante, et mettre en avant l’impact qu’elle aura sur les missions sociales de nos associations. Notre démarche ne vise pas à mettre fin au dialogue avec l’Etat, bien au contraire ! Nous souhaitons demeurer dans cet échange. Mais nous savons désormais que cela ne suffit pas.