vih « Le pays de naissance est associé aux différences dans la prescription »

04.04.23
Alain Volny-Anne
7 min

Une étude récente montre une disparité dans la prescription des traitements antirétroviraux selon notamment le pays de naissance du patient. Rencontre avec le Dr Romain Palich, qui a conduit ces travaux à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris).

Transversal : Qu’est-ce qui vous a amené à mener cette étude ?

Romain Palich : Le service dans lequel j’exerce a toujours été très favorable à l’allègement thérapeutique. Or mes collègues et moi avions l’impression que tous les patients n’en bénéficiaient pas de la même manière. La question se posait en termes de pays de naissance, mais aussi d’âge et de genre. En reprenant les dossiers médicaux des personnes suivies chez nous depuis leur entrée en soin, nous avons constaté que c’était une réalité. À l’origine, nous nous intéressions principalement aux stratégies d’allègement. Mais au regard des données un peu « brutes » des patients, la question des classes antirétrovirales prescrites s’est rapidement imposée à nous pour une poursuite de notre recherche. De même, il nous a vite paru essentiel de comparer deux contextes clés : celui du démarrage du traitement antirétroviral et celui du contrôle immunovirologique prolongé.

T. : Que retenez-vous d’autre de ce premier examen des dossiers ?

R.P. : Il en est ressorti que si l’âge ne changeait pas grand-chose, être une femme était associé à ces disparités dans les prescriptions. Mais il ne faut pas oublier que les facteurs sont souvent liés. Aujourd’hui, les patients séropositifs qui entrent en soin sont pour la plupart d’entre eux à la fois nés en Afrique subsaharienne et de sexe féminin. Ainsi, si je dis que les antiprotéases sont davantage prescrites aux femmes qu’aux hommes, l’information est intéressante, mais pas vraiment juste, car elle ignore d’autres facteurs, comme l’année du diagnostic, le statut immunovirologique ou le pays de naissance. C’est pourquoi il fallait mener une étude prenant en compte tous les paramètres recueillis dans les dossiers (analyse multivariée), d’autant plus que le pays de naissance était lui aussi fortement associé aux différences dans les prescriptions. C’est d’ailleurs sur ce critère du pays de naissance que notre étude s’est focalisée, mais avec une méthodologie plus précise que l’examen un peu brut des dossiers. Il est important de rappeler qu’il ne faut pas confondre « nés en Afrique » avec « ayant acquis le VIH en Afrique ». Il a été démontré qu’environ la moitié des immigrés originaires d’Afrique subsaharienne et séropositifs ont acquis le VIH après, et non avant, leur arrivée en France.

T. : Comment expliquez-vous les différences révélées par l’étude ?

R.P. : Pour la première thérapie antirétrovirale, la réponse n’est pas simple. Plusieurs facteurs ont une influence sur le choix de tel ou tel régime par les médecins, notamment les profils immunovirologique et socioéconomique. Les conditions de vie précaires, fréquentes chez les immigrés, peuvent constituer un obstacle à la bonne observance du traitement. Les médecins les évaluent avant de prescrire le traitement, mais ne les enregistrent pas forcément dans les dossiers. Nous n’y avons donc pas eu accès pour l’étude. Néanmoins, on peut avancer que les différences constatées découlent d’un pari sur l’observance et, de ce fait, sur le choix des combinaisons antirétrovirales diminuant le risque de résistance du virus en cas de prise imparfaite du traitement. Au début des années 2013-2018, les antiprotéases étaient privilégiées pour tenir ce pari, contrairement aux inhibiteurs d’intégrase qui n’étaient pas assez connus. Elles étaient également recommandées pour les femmes ayant un désir d’enfant.

T. : Vous montrez pourtant que les patients nés en Afrique subsaharienne bénéficient moins de l’allègement thérapeutique que les autres, malgré une charge virale parfaitement contrôlée.

R.P. : Ils paient sans doute le prix de ce qui s’est passé dans la tête des médecins au moment où ils prescrivaient la première thérapie, ainsi que chez un petit nombre de patients dont l’observance n’a pas été optimale. Alors qu’à l’évidence la majorité d’entre eux ont eu une très bonne observance.

T. : Le choix des traitements moins innovants serait donc basé sur des mauvaises perceptions, sinon des préjugés ?

R.P. : Il existe toute une littérature sur l’appréhension de la prescription des traitements en fonction de la couleur de la peau, de l’origine ethnique, du genre ou des conditions de vie des patients. Il est donc tout à fait possible que les médecins soient influencés, à leur propre insu, par des préjugés de cet ordre-là. Pour se faire une meilleure idée de pourquoi on choisit tel traitement plutôt qu’un autre, il faudrait interroger des médecins différents du point de vue de leur âge, de leur genre et de leur origine, et croiser ces données qualitatives avec celles d’une étude comme la nôtre. Mais ces enquêtes ne sont pas faciles à conduire. Concernant les caractéristiques des médecins, la seule que nous ayons pu explorer a été le temps passé – plein ou partiel – dans le service. Nous avons constaté que les allègements [thérapeutiques] étaient beaucoup plus prescrits par les médecins à temps plein (62 %, contre 53 % pour les temps partiels) et que, par conséquent, l’accès à l’innovation est associé à la manière dont les médecins la proposent.

T. : Votre étude a été conduite dans un seul service. Les résultats peuvent-ils être généralisés ?

R.P. : L’étude a été poursuivie dans le cadre de la cohorte Dat’AIDS, avec des données d’environ 80 000 personnes suivies dans une trentaine de services en France. Elle couvre la période de 2014 à nos jours, dans laquelle les traitements sont très homogènes, avec des prescriptions d’inhibiteurs d’intégrase en première intention. Là aussi nous avons voulu vérifier s’il existe des différences dans les prescriptions au démarrage du traitement antirétroviral et chez les personnes contrôlées sur le plan virologique depuis six mois. Les données sont en cours d’analyse et devraient être bientôt disponibles. 

Entre 2000 et 2018, les personnes séropositives nées en Afrique subsaharienne avaient deux fois moins de chance que les personnes nées en France de recevoir un inhibiteur d’intégrase dans leur premier traitement antirétroviral (ARV). Plus précisément, 58 % d’entre elles avaient démarré leur traitement avec une antiprotéase, contre 47 % de ceux nés en France. De plus, après une longue période de contrôle viral par les ARV, qui permet désormais un allègement thérapeutique (bithérapie ou traitement « intermittent » de quatre jours sur sept), cette différence de prescription se maintenait. En effet, en 2018, alors que la stratégie d’allègement était établie, seuls 20 % des patients nés en Afrique subsaharienne en bénéficiaient, contre 40 % de ceux nés en France.

[En bref] Les conclusions de l’étude menée par le Dr Romain Palich

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