Entre 2010 et 2022, le nombre de nouveaux cas de VIH a chuté de 38 % au niveau mondial, révèle l’Onusida dans son rapport annuel publié mi-juillet. Une embellie particulièrement manifeste en Afrique subsaharienne, beaucoup moins dans d’autres régions. En particulier les zones Europe de l’Est/Asie centrale et Moyen-Orient/Afrique du Nord, où l’épidémie avance à grand pas.
Vers « la fin du sida » ? Si cet horizon, que l’ONU espère atteindre en 2030, semble encore lointain, l’Onusida dit déjà en entrevoir de premières lueurs. Y compris dans des pays à forte prévalence : selon le rapport annuel de l’organisme onusien, publié mi-juillet et portant sur les chiffres de 2022, cinq pays, tous africains (Botswana, Tanzanie, Rwanda, Zimbabwe, Eswatini), ont d’ores et déjà atteint l’objectif des 3 X 95, et 16 autres, dont huit en Afrique, sont en passe de l’atteindre. Au niveau mondial, les indicateurs vont dans le bon sens : le nombre de nouveaux cas (1,3 million en 2022) a diminué de 38 % depuis 2010, le nombre de décès (630.000 en 2022) de 51 %.
Bien qu’insuffisants pour atteindre l’objectif de 2030, ces progrès sont particulièrement marqués en Afrique, continent qui héberge deux tiers des 39 millions de personnes vivant avec le VIH à travers le monde. Région la plus touchée au monde, la zone Afrique orientale et australe a ainsi vu son nombre annuel de nouveaux cas chuter de 57 % entre 2010 et 2022, tandis que celui de décès a diminué de 58 %. Parmi les raisons de cette baisse, le fait que le traitement anti-VIH soit devenu plus largement accessible joue un grand rôle. Estimée à 83 % en 2022, la couverture antirétrovirale en Afrique orientale et australe est la plus haute parmi toutes les régions du globe, y compris la zone Europe occidentale et centrale/Amérique du Nord (76 %).
Malgré ces signaux encourageants, le tableau demeure sombre à bien des égards. Les financements sont encore loin d’être à la hauteur : alors que 29 milliards de dollars seront nécessaires en 2025 pour lutter contre le VIH/sida dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, seuls 20,8 Md$ étaient effectivement disponibles en 2022. Pire, cet écart entre les besoins et la réalité tend à se creuser depuis le pic de 2017 : en 2022, le montant alloué à la lutte contre le VIH a diminué de 2,1% par rapport à 2021.
Autre motif d’inquiétude, le manque d’attention porté aux populations-clés. Qu’il s’agisse d’hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), de travailleur.se.s du sexe (TDS), de personnes transgenres ou d’usager.e.s de drogues injectables (UDI), ces publics ont encore un trop faible accès à la prévention et aux soins. Contraire aux impératifs sanitaires, cette situation découle des discriminationsqui continuent à frapper ces groupes, voire des lois qui les menacent très directement dans de nombreux pays.
Bien que plusieurs petits pays aient récemment abrogé leurs lois condamnant l’homosexualité, d’autres continuent à la bannir, voire ont renforcé leur arsenal répressif, freinant considérablement l’accès aux services de santé. Parmi ces Etats, l’Onusida pointe notamment l’Ouganda et son Anti-Homosexuality Act promulgué en mai, mais aussi l’Indonésie, le Pakistan, le Nigeria, le Zimbabwe. Ou encore la Russie, qui a durci fin 2022 sa législation contre une prétendue « propagande LGBT ». De même, les programmes de réduction des risques (RDR) envers les UDI demeurent largement insuffisants, nombre de pays ayant une approche très répressive en matière de drogues.
Ces trois régions où l’incidence progresse
C’est ce mépris des populations-clés qui semble d’ailleurs expliquer les résultats alarmants observés dans plusieurs régions du monde. Notamment dans la zone Europe de l’Est/Asie centrale, qui connaît actuellement l’épidémie la plus activeau monde (voir encadré). Idem dans la zone Moyen-Orient/Afrique du Nord, où l’incidence est en hausse de 61%, mais où le nombre de décès a légèrement diminué (-16 %). Cette zone « présente la plus faible prévalence régionale de VIH au monde, mais elle fait aussi partie de celles où les infections augmentent à un rythme rapide », observe l’Onusida, contacté par Transversal. Les freins à la lutte contre le VIH y sont nombreux, parmi lesquels « un manque de volonté politique, des financements limités, des données peu fiables, une stigmatisation et une discrimination sévères à l’encontre des populations-clés, mais aussi des conflits et des crises humanitaires », notamment en Somalie, au Soudan, au Yémen et en Syrie.
Troisième région à voir son incidence augmenter depuis 2010, l’Amérique latine (+8 % de nouveaux cas, dont +17 % chez les hommes). En cause selon l’Onusida, une insuffisance de la prévention, notamment de l’offre de PrEP chez les HSH : la couverture des besoins serait de seulement 5 % des besoins estimés en 2025. Peu médiatisées en France, d’importantes crises humanitaires y ont cours, du fait des millions de personnes ayant fui le Venezuela, le Honduras, le Guatemala et leSalvador pour se réfugier dans des pays voisins. Stigmatisés, craignant d’être expulsés, ces migrants y souffrent d’un très faible accès aux soins et à la prévention.
D’autres régions présentent des résultats apparemment encourageants, mais avec des réalités contrastées d’un pays à l’autre. Exemple, la zone Asie/Pacifique : si le nombre annuels de nouveaux cas y a diminué de 14 % entre 2010 et 2022, l’Onusida indique que l’épidémie continue à faire rage dans plusieurs pays. « Depuis 2010, le nombre estimé de nouvelles infections chez les hommes homosexuels et ceux ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes a été multiplié par six aux Philippines, par trois au Cambodge et par presque deux au Laos », indique-t-il. A l’exception de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie, l’ensemble de ces pays continuent à criminaliser le travail du sexe, et 17 d’entre eux interdisent les rapports homosexuels.
Europe de l’Est/Asie centrale : la lutte contre le VIH entravée de toutes parts
En Europe de l’Est/Asie centrale, le nombre annuel de nouveaux cas a crû de 49 % entre 2010 et 2022, le nombre de décès de 46 %. La couverture antirétrovirale y est l’une des plus faibles au monde (51%), juste devant la zone Moyen-Orient/Afrique du Nord (50%). Selon l’Onusida, « les pratiques d’injection constituent un facteur clé de l’épidémie dans cette région (…) Plusieurs pays n’acceptent pas l’évidence scientifique en matière de traitement de substitution, et ne disposent d’aucun programme à ce sujet ». Idem pour les programmes d’échange de seringues, aussi rares qu’insuffisants. En cause là aussi, des politiques très répressives en matière de consommation de drogues. De même, les lois dirigées contre la communauté LGBT « limitent les possibilités des associations d’œuvrer en direction de ces personnes, sous peine de poursuites judiciaires », note l’Onusida. Une homophobie d’Etat qui, en Russie, est ravivée par l’isolement diplomatique. Quant à l’Ukraine, la crise humanitaire y fait passer la lutte contre le VIH au second plan. Parmi les plus de 8 millions d’Ukrainiens ayant fui le pays, figurent de nombreuses personnes vivant avec le VIH, dont il a fallu assurer la prise en charge dans les pays d’accueil. Parmi eux, la Moldavie, qui garantit l’accès au traitement et à la RDR de 8.500 réfugiés ukrainiens, indique l’Onusida.