Très sollicités par le coronavirus, les services de maladies infectieuses ont adapté leur mode de consultation pour les patients vivant avec le VIH, en ayant de plus en plus à recours à des téléconsultations parfois de manière durable. Pour le moment, il ne semble pas que la crise actuelle ait entraîné un glissement des prises en charge vers la ville.
L’épidémie de Covid va-t-elle entraîner, à plus ou moins long terme, un bouleversement dans le suivi des patients vivant le VIH ? La crise sanitaire va-t-elle, en particulier, inciter des services hospitaliers, parfois débordés, à davantage orienter ces patients vers la médecine de ville ? « Ce n’est pour l’instant qu’une hypothèse mais, effectivement, peut-être que cette crise va accélérer ce mouvement vers la ville. C’est en tout cas un sentiment que nous avons, ici, en Guyane, où avant même l’arrivée de la Covid, on voyait de plus en plus de patients se tourner vers un médecin généraliste pour leur suivi du VIH », confie le professeur Mathieu Nacher, président du Corevih [i] de Guyane.
Mais ce constat semble rester assez isolé. Dans l’ensemble, les autres médecins, interrogés par Transversal, n’ont pas le sentiment que la crise sanitaire actuelle ait véritablement entraîné un glissement des prises en charge de l’hôpital vers la ville. « C’est en tout cas notre impression, notre ressenti. Mais nous attendons des études chiffrées sur notre activité pour être vraiment affirmatif », indique le professeur Willy Rozenbaum (hôpital Saint-Louis à Paris). « Peut-être que certains généralistes, très investis sur le VIH, reçoivent aujourd’hui davantage de patients dans leur cabinet. Mais ce qui semble certain, c’est que l’épidémie de Covid n’a pas entraîné un déplacement des prises en charge vers des généralistes qui, jusque-là, ne faisaient pas de VIH », ajoute le docteur Pascal Pugliese (CHU de Nice) et président du Corevih Paca-Est.
« On a recontacté tous les patients concernés »
L’arrivée du coronavirus en France a bien sûr provoqué d’importants changements dans le suivi des patients vivant avec le VIH. En particulier lors du premier confinement. Hors urgence, les services de maladies infectieuses ont alors été obligés d’annuler toutes les consultations en présentiel. « Mais on a recontacté tous les patients concernés pour leur proposer de leur envoyer des ordonnances pour renouveler leurs traitements ou pour faire des bilans biologiques », explique le docteur Pugliese. Les facilités, accordées par l’assurance-maladie, pour permettre le renouvellement d’ordonnances arrivées à échéance, ont aussi permis d’éviter des ruptures de traitement durant ce premier confinement.
Mais la plus grosse évolution, qui va peut-être se révéler durable, a été le développement de la consultation à distance, soit en visio soit par téléphone. « Sur l’ensemble de l’année 2020, environ 25% des consultations VIH au CHU de Nice ont été faites en téléconsultation, ce qui est quand même très important », indique le docteur Pugliese. Car ce mode de consultation s’est poursuivi même après le déconfinement. « Aujourd’hui, on continue de faire beaucoup de téléconsultations, toujours avec l’accord des patients. Certains sont plutôt demandeurs car ils craignent toujours de venir à l’hôpital dans cette phase épidémique toujours intense », note le professeur Rozenbaum. Et certains médecins n’excluent que, même une fois passée l’épidémie de Covid, une partie du suivi VIH se fasse toujours à distance, en particulier pour les patients très bien contrôlés sur le plan virologique.
« La téléconsultation a été intéressante lors des phases de confinement mais c’est un outil qui montre aussi ses limites pour les populations migrantes qui maitrisent mal le français », indique le docteur Agnès Villemant, attachée dans le service de médecine interne de l’hôpital Beaujon à Clichy (Hauts-de-Seine). « Depuis le début de crise, ce sont les patients précaires, les plus éloignés du système de soins et des outils technologiques, avec lesquels nous avons le plus de mal à rester en contact », reconnait le docteur Pugliese.
Des jeunes généralistes mieux formés en Guyane
Pour l’instant, il ne semble donc pas que l’épidémie de Covid ait entraîné un report massif des suivis du VIH de l’hôpital vers la ville. « L’impact de cette épidémie reste toutefois encore difficile à apprécier et nous allons mener une étude sur les données du Système national des données de santé (SNDS) pour voir sur notre territoire, la proportion de patients qui sont désormais suivis à l’hôpital et en ville », indique le professeur Nacher, en constatant que certains patients se tournent désormais vers leur généraliste traitant. « Les raisons sont variables. En Guyane, les problèmes de transport peuvent parfois être un frein pour se déplacer régulièrement à l’hôpital, ajoute-il. Et certains patients nous disent que c’est moins compliqué pour eux d’être suivis par un médecin proche de chez eux. On constate aussi que certains jeunes généralistes, qui sont passés par l’hôpital et qu’on a pu former, ont aujourd’hui une bonne expertise sur le sida et accueillent volontiers les patients VIH ».
Mais c’est encore loin d’être cas dans toutes les régions de France. Si le passage de l’hôpital vers la ville ne s’est pas opéré, comment l’auraient peut-être espéré les tutelles assez favorables à cette évolution, c’est aussi en raison du nombre encore insuffisant de médecins généralistes formés au VIH. « A Lyon, il y a quelques cabinets de médecine générale qui voient beaucoup de patients mais ce sont souvent les mêmes depuis 20 ans. La très grande majorité des généralistes s’intéressent peu au sida et n’ont pas assez de patients pour avoir une réelle expertise sur le sujet », estime le docteur Jean-Michel Livrozet, président du Corevih Lyon Vallée du Rhône et membre du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Edouard Herriot à Lyon.
De fait, dans beaucoup d’endroits, le suivi du VIH en ville reste assuré par une poignée de généralistes, ayant aussi une consultation à l’hôpital et parfois engagés de longue date dans le combat contre le VIH. C’est le cas par exemple du docteur Bernard Cardon, généraliste à Paris, qui suit des patients vivant avec le VIH depuis 1987. « Mais nous sommes très peu nombreux, à Paris ou ailleurs, à nous intéresser au sida, souligne-t-il. L’immense majorité des médecins de ville estiment ne pas avoir les connaissances suffisantes pour assurer un suivi de ces patients. Et cette épidémie de Covid n’a rien changé à cette situation ».
Des patients parfois opposés à un suivi en ville
Le passage de l’hôpital vers la ville se heurte à d’autres freins, venant parfois des patients eux-mêmes. « C’est ce qu’a montré une étude faite il y a quelques années par le Corevih Île-de-France-Nord », souligne le docteur Villemant. « Certains patients ont alors exprimé leur opposition pour être suivis en ville pour plusieurs raisons, poursuit-elle. Certains évoquaient un problème de disponibilité des généralistes et un temps de consultation moins long qu’à l’hôpital. D’autres mettaient en avant leur confiance dans l’expertise de leur médecin hospitalier ». Une confiance souvent nourrie au fil du temps. « Personnellement, je suis certains patients depuis plus de 30 ans et c’est vrai qu’il y a un attachement réciproque assez fort. Dans ces conditions, ces patients ne se voient pas passer à un suivi en ville », reconnait le professeur Rozenbaum.
Mais dans certains cas, ce sont aussi des « couacs » qui, durant cette crise sanitaire, freine le recours à la ville des patients, Concernant l’accès aux outils de prévention, les associations de lutte contre le sida n’ont pas apprécié l’avis négatif rendu fin janvier par le Conseil d’Etat sur le décret du ministère de la santé visant à permettre la délivrance de la PrEP par des généralistes. En décembre, Olivier Véran s’était pourtant engagé à ce que les médecins de ville puissent, dès le début de 2021, initier ce traitement préventif contre le VIH. Une mesure attendue par les associations. Aujourd’hui, pour bénéficier d’une PrEP, il faut en effet passer par une première consultation hospitalière, celle-ci pouvant ensuite être renouvelée en ville.
« Ce système accroît les difficultés d’accès, notamment dans des régions où ces services sont peu nombreux et où l’attente avant un rendez-vous peut durer plusieurs mois », souligne l’associations Aides, très agacée par le rejet du décret ministériel par le Conseil d’Etat. Une décision liée à des points juridiques non anticipés par le ministère des solidarités et de la santé qui freine ainsi le déploiement d’un des outils le plus efficace dans la lutte contre le VIH/sida. AIDES exprime son incompréhension face à cet échec sur cet enjeu de santé publique », affirme l’association.
«Nous ne pouvons tolérer que ces considérations juridiques prennent le pas sur des enjeux de santé publique, d’autant plus dans un contexte de crise sanitaire où l’accès à la Prep est encore plus restreint, ajoute Aides. Sur la période de mars à septembre 2020, par rapport à la même période en 2019, une baisse de 27 435 prescriptions a d’ailleurs été constatée : un chiffre qui s’explique en partie par la crise sanitaire et la saturation des hôpitaux. Il faut rattraper ce retard, la prescription en ville pouvait le permettre ».
[i] Comité de coordination régionale de la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine