Après le TROD, l’OMS mise beaucoup sur l’autotest pour que 90 % de personnes vivants avec le VIH soient dépistées à l’orée 2020. Si 20% des personnes séropositives l’ignorent dans la plupart des pays occidentaux, ce pourcentage avoisine les 40 % au niveau mondial… C’est donc un immense marché potentiel qui s’ouvre pour les autotests.
L’histoire des autotests commence en 20121. Les États-Unis approuve alors la mise sur le marché de l’OraQuick®In-Home HIV Test. Nouvelle, la formule permet à l’usager de se dépister seul. Ce dernier prélève à l’aide d’un coton-tige un peu de fluide gingival et découvre seul sa sérologie au bout d’une quinzaine de minute.
Pratique, rapide et confidentiel, la formule séduit un public qui n’avait jusque là pas l’habitude de se faire dépister. D’après le fabricant, entre juillet 2012 et octobre 2015, près de 750 000 kits ont été vendus aux États-Unis, dont 1 à 2 % se seraient révélés positifs. L’immense majorité des utilisateurs jugeaient le prélèvement et l’interprétation des résultats très faciles. Et contrairement à ce qui a longtemps été craint, aucun cas de suicide, suite à la découverte d’une sérologie positive, n’a été rapporté.
Le produit a néanmoins quelques défauts. Moins fiable qu’un test Elisa (sa sensibilité est de 92 %2), il est cher (39,99 $ soit 37,7 €) et donc accessible qu’aux plus aisés. Ce prix est selon une enquête réalisée à New-York en 2006, un obstacle pour 52 % des personnes interrogées qui auraient été intéressées3.
Parallèlement au lancement en France de l’autotest VIH Mylan/AAZ, le Royaume-Uni sort en novembre 2015 son propre autotest. Plus sensible que son homologue américain (mais moins que le test Elisa de 4e génération, en cas de primo-infection) BioSURE HIV Self Test permet, comme l’autotest français, d’obtenir un résultat en 15 minutes à partir d’une goutte de sang prélevée sur le doigt.
Outre-manche, où l’autotest était d’abord uniquement disponible qu’en ligneà 29.95 £ (35 €) l’unité, le nombre de tests vendus est resté faible : 27 917 unités vendues entre le 15 avril 2015 et le 16 février 2016, contre107 800 en un an en France4.Pour autant, le bilan reste positif car 50 % des utilisateurs ne s’étaient jamais fait dépister auparavant. 98 % le trouvaient facile à réaliser et 99 % facile à interpréter.
Si pour le moment, seuls trois pays ont lancés leurs propres autotests5, l’OMS, qui le recommande désormais fortement, recensait en novembre 2016, vingt-trois pays à avoir d’ores et déjà adopté des politiques nationales pour le soutenir.
En Europe, où ils sont depuis peu approuvés par la Communauté européenne, ils sont disponibles depuis novembre dernier en Belgique et en Allemagne, après l’avoir été en Italie et au Pays Bas.
En décembre 2016, le directeur du laboratoire AAZ a même lancé une plateforme pour vendre son autotest en ligne en Allemagne, en Belgique, en Italie, en Estonie, en Autriche, en République tchèque, en Pologne, au Pays Bas et en Irlande.
Mais c’est bien en Afrique que les autotests présente le plus fort potentiel, l’épidémie y étant endémique et le dépistage insuffisant. Sur le continent noir, déjà neuf pays ont voté des lois pour l’autoriser et plusieurs autres y travaillent. Les populations sont généralement très favorables. Quatre études de grande envergure rapportent une acceptabilité de 89 à 96 % au sein de la population générale au Kenya. Plus intéressant encore : 84% de ceux qui n’ont jamais été testés «achèteraient et utiliseraient» un autotest s’il était disponible ! 6
En Afrique australe, où 11 à 27 % de la population adulte est séropositive, on estime qu’il faudrait, pour avoir un réel impact sur l’épidémie, pratiquement doubler le nombre de dépistages annuels.
Convaincu qu’il pourrait être un puissant levier, une ONG américaine (PSI) a coordonné avec le soutien d’Unitaid, de 2015 à 2017, la distribution de près de 750 000 autotests en Zambie, au Zimbabwe et au Malawi pour impulser son déploiement. Baptisé Star, ce projet des plus ambitieux entre actuellement dans sa seconde phase, durant lesquels 1,9 millions d’autotests VIH seront distribués sur les modèles de distribution qui se sont révélés les plus efficaces. Au Malawi, on a déjà observé que 31% des utilisateurs ne s’étaient jamais fait dépistés précédemment. Les jeunes de 15 à 24 ans et les hommes, qui avaient moins accès aux installations de santé que les femmes (qui y sont reçues pour chaque grossesse et pour les soins pédiatriques de leurs enfants) semblent même particulièrement satisfaits.
Pour autant, le chemin reste long, tant les obstacles sont nombreux, notamment parmi les populations clés (les hommes qui ont des rapports avec d’autres hommes (HSH) ; les travailleurs du sexe, les personnes qui utilisent des drogues injectables, les détenus et les transgenres) qui représentent selon les estimations de l’OMS 44 % des personnes séropositives non encore diagnostiquées.
Encore très largement stigmatisés par la population comme par les services de santé, ils n’ont que peu recours au dépistage, et encore moins aux soins7. Au Kenya, si 89 à 96 % de la population générale se dit intéressés par les autotests, le taux tombe à 57 % chez les HSH8.
« L’autotest n’est intéressant en Afrique qu’à condition qu’on arrive à améliorer le système de santé derrière pour que les personnes dépistées positives aient ensuite accès au traitement. Or c’est encore loin d’être le cas, notamment pour les prostitués et les HSH », nous explique Guillaume Breton, dont l’association souhaiterait s’impliquer dans la distribution des autotests en Afrique de l’Ouest.
Les premiers retours concrets sont à cet égard assez mitigés. Au Malawi, une étude sur 16 660 adultes (dont les trois quarts ont fait un autotest) a révélé que plus de la moitié des participants ayant ainsi découvert leur séropositivité avaient eu accès au soin9. Au Kenya, lorsque l’on demandait aux gens que l’on sensibilisait s’ils iraient dans une clinique faire une test de confirmation si l’autotest se révélait positif, 61 % de l’échantillon représentant la population générale déclaraient que oui, 75 % des femmes travailleurs du sexe, mais seulement 40 % des HSH10.
S’ils ne peuvent parer tous les problèmes sociaux, les ONG font leur possible pour pallier aux obstacles découlant de l’éloignement du centre de santé. « Certains donnent à cette fin des bons de transport pour payer le trajet jusqu’à la clinique la plus proche. D’autres accompagnent les personnes dans les centres de santés. Certains vont même jusqu’à débuter le traitement rétroviral à domicile », nous explique Guillaume Breton.
Se pose également la question du coût de l’autotest-lui-même. Pour être largement diffusé en Afrique, on estime qu’ils ne devraient pas dépasser 1 $ l’unité (soit 0,95 €)11. Un prix qu’aucun fabricant ne juge viable aujourd’hui, compte tenu de l’état naissant du marché et des innovations nécessaires pour faciliter l’usage des autotests12. Les contraintes réglementaires pour faire valider le produit par chacun des cinquante-quatre pays africains ne facilitent pas non plus les choses.Pour contourner ces obstacles, la plupart des autotests utilisés en Afrique sont actuellement des TROD, que les ONG doivent présenter au préalable aux utilisateurs. Les tests salivaires, également beaucoup utilisés sur ce continent pourraient constituer une solution car plus intuitifs, mais ils sont plus coûteux et moins fiables. Pour autant, ces difficultés devraient être surmontables. En Afrique du Sud, des autotests sont depuis le début de l’année en vente libre dans les pharmacies autour de 2 € le kit.
Si l’investissement est réel, il pourrait aussi se révéler payant. Une étude13 a estimé d’après une modélisation mathématique, qu’au Zimbabwe, les autotests pourraient être rentables à 3 $ (soit 2,84 €) l’unité, si les dépistages du VIH par autotest augmentait de 20 %. Ils permettraient même d’économiser 75 millions de dollars en coûts de soins de santé. Preuve s’il en est qu’une solution est possible !
L’Afrique : le principal marché de l’autotest ?
[1] En 1996. Ils avaient néanmoins déjà lancé le Home Access HIV-1 Test System. La formule permet à l’usager de se dépister seul chez lui en se piquant le doigt puis d’envoyer le prélèvement par la poste à un laboratoire qu’il lui donnera les résultats une semaine plus tard par téléphone. Cette formule existe également au Royaume-Uni, mais pas en France.
2 L’OraQuick détecte 92 % des personnes ayant une sérologie positive selon le fabricant (Les résultats positifs sont par contre fiables à 99,9 %). Par comparaison, l’autotest français de AAZ a une sensibilité de 99,8 % et le test anglais Biosure 99,9 %.
3 (J.E. Myers, S. Bodach, B.H. Cutler, C.W. Shepard, Acceptability of home self-test kits for HIV in New York city, 2006)
4 Le recours plus faible des Britanniques aux autotests BioSure s’explique de deux façons 1/ L’épidémie touche presque deux fois moins de monde outre-manche. 2/ Les Anglais peuvent avoir recours à une solution intermédiaire inexistante en France : les trousses d’échantillonage. Entre novembre 2015 et septembre 2016, 35 647 de ces trousses ont été livrées, dont 18 270 ont été retournées pour essais.
5 L’auto-test INSTI HIV, du canadien BioLytical jusque là connu et vendu en tant que TROD est aujourd’hui également vendu avec une certification CE en tant qu’autotest, en Europe. Au Canada, la vente d’autotests n’est pas autorisée.
Actuellement, 4 autotests ont la certification CE dont l’OraQuick In-Home HIV Test, même si ce dernier n’y est, dans les faits, pas distribué. Le laboratoire français Biosynex Medtech soumet actuellement son autotest Exacto HIC Screening Test à la certification CE. D’autres autotest, américains, australien et irlandais sont aussi en projet.
6 Anna C. Heard & Annette N. Brown (2016) Public readiness for HIV self-testing in Kenya, AIDS Care, 28:12, 1528-1532
7 En 2015, seul 46 % des personnes vivants avec le VIH dans le monde recevaient un traitement anti-rétroviral.
8 Rappelons à cet égard que les deux tiers des pays du continent africain criminalisent l’homosexualité. Dans une dizaine de pays (notamment en Afrique de l’est et au Moyen-Orient) celle-ci est même passible de la peine de mort !
9 A.T. Choko et al, Uptake, accuracy, safety, and linkage into care over two years of promoting annual self-testing for HIV in Blantyre, Malawi : A community-based prospective study, septembre 2015,
10 Ochako, et al, 2014
11 Les répondants ont déclaré qu’ils seraient disposés à payer pour les trousses d’autotest un prix maximum médian de 1 $. Le montant était plus élevé chez les femmes qui ont déclaré un prix maximum médian de 1,4 $. A titre de comparaison, en 2014, Au Kenya, les HSH interrogés étaient prêts à payer 3,35 $, les HSH chinois répondaient eux : 6,6 $ en 2014.
12 Si le principe est identique au TROD, les autotests britanniques et français ont été adaptés aux grands publics : Ils nécessitent moins d’opérations à réaliser et une quantité moindre de sang à prélever. Ils prévoient également un mode d’emploi plus clair, compréhensible par tous et donc traduit en plusieurs langues (avec des dessins pour les personnes ne sachant pas lire) et un service de counseling téléphonique accessible 24h sur 24 sans frais. Pour toutes ces raisons, ils sont plus chers à produire.
13 Cambiano V, Ford D, Mabugu T, Napierala Mavedzenge S, Miners A, Mugurungi O, et al. Assessment of the potential impact and cost-effectiveness of self-testing for HIV in low-income countries. J Infect Dis. 2015 ; 212(4) : 570-7.