vih Les autotests en Afrique : un outil de dépistage adapté ?

10.05.20
Hélène Ferrarini
7 min

Alors que le nombre de personnes ignorant leur statut sérologique est loin de l’objectif des 90 % fixé par l’ONUSIDA, les autotests constituent une « approche complémentaire » de dépistage bienvenue. En Afrique, des programmes cherchent à définir les meilleurs modèles de diffusion de ce nouveau mode de dépistage. S’ils ont permis d’établir que l’autodépistage est faisable et bien accepté, les usages des autotests sont encore difficiles à documenter.

Les autotests permettent à l’utilisateur de procéder lui-même au test, en se prélevant une goutte de sang ou de salive, et d’obtenir un résultat en 20 minutes. Simple, rapide et pouvant être pratiqué seul, les autotests ont ouvert de nouvelles possibilités de dépistage, notamment pour accéder à des personnes qui échappent aujourd’hui aux tests déjà existants.

L’ONUSIDA, d’après des données de l’OMS, recensait en juin 2019, 12 pays d’Afrique ayant mis en place une règlementation concernant l’autodépistage, 18 ayant développé une règlementation mais ne l’ayant pas encore appliquée et 14 où une telle approche serait en cours de développement [1]. Au sein du continent, la situation règlementaire des autotests, dernier-né des moyens de dépistage mis sur le marché, est donc hérétogène. Et dans les pays ayant officiellement autorisé l’autodépistage, encore faut-il que les habitants y aient accès. Les kits sont encore très peu présents dans les pharmacies et, lorsqu’ils le sont, c’est généralement à des prix exorbitants.

A l’heure actuelle, deux programmes déploient des autotests à grande échelle en Afrique, avec pour bailleur UNITAID. L’ONG américaine Population Services International (PSI) a lancé son programme STAR dès 2015, avec l’ambition de distribuer d’ici 2020 4,8 millions d’autotests dans six pays d’Afrique australe et de l’Est (Afrique du Sud, Eswatini, Lesotho, Malawi, Zambie et Zimbabwe). En Afrique de l’Ouest, le programme ATLAS, porté par l’ONG française Solthis, ambitionne de diffuser 500 000 autotests d’ici 2021 en Côte d’Ivoire, au Mali et au Sénégal. Officiellement lancé en janvier 2019, 26 000 kits d’autodépistage avaient été distribués au mois de décembre 2019 dans les trois pays concernés.

Une bonne « acceptabilité »

Ces deux programmes comportent un volet scientifique destiné à documenter l’usage des autotests et déterminer les modèles de diffusion les plus efficaces. L’évaluation de mi-parcours du programme STAR dresse un bilan en demi-teinte des résultats de la phase 1 au cours de laquelle près de 650 000 kits salivairesont été distribués au Malawi, en Zambie et au Zimbabwe [2]. Bien que le programme ait opté pour plusieurs modes de diffusion (via des agents communautaires, dans des centres de santé, dans des centres de circoncision, auprès de travailleuses du sexe et par une diffusion secondaire), 83 % des autotests distribués l’ont été par des agents communautaires, ce qui n’a pas permis d’établir une comparaison solide entre les différents modèles.

Premier enseignement toutefois : l’acceptabilité des autotests, et ce quelque soit le modèle de diffusion, est bonne. Parce qu’il permet à l’utilisateur de se tester seul, où et quand il le désire, l’autotest possède des atouts majeurs pour le respect du consentement et de la confidentialité du test. « L’autotest VIH augmente l’accès au dépistage pour des groupes auparavant non testés, particulièrement les hommes et les adolescents : entre 42 et 49 % des kits distribués à travers le modèle de diffusion communautaire dans les trois pays [Malawi, Zambie, Zimbabwe, ndlr] l’ont été à des hommes » note le rapport d’évaluation du programme STAR. Ainsi les autotests seraient un moyen d’atteindre la population masculine qui, dans ces trois pays ne représentaient que 37 % des personnes testées au cours des douze derniers mois, d’après des données de 2016. Les femmes ont plus souvent accès au dépistage dans le cadre de la santé maternelle et infantile.

Même constat pour les adolescents : les autotests les atteindraient plus que les autres modes de dépistage. Toutefois, le pourcentage de personnes ayant eu recours pour la première fois de leur vie à un dépistage grâce à un autotest distribué dans le cadre de la phase 1 du programme STAR semble assez similaire à celui des primo-dépistés quelquesoit le mode de dépistage.

D’après l’ONUSIDA, en 2018, 85 % des habitants d’Afrique australe et de l’Est connaissaient leur statut sérologique et 64 % en Afrique centrale et de l’Ouest, avec des taux variant d’un pays à l’autre. Au Mali, on estime que seuls 33 % des hommes de plus de 15 ans connaissent leur statut. Alors que l’objectif des 90-90-90 appelle à faire passer cette part au dessus des 90 %, l’amélioration de la stratégie de dépistage et sa diversification est indispensable.

Dans un contexte épidémiologique différent de celui de l’Afrique australe et de l’Est, le programme ATLAS fait le pari en Afrique de l’Ouest d’une « dispensation secondaire », « c’est-à-dire de pouvoir remettre des tests à des personnes pour qu’elles les redistribuent », explique Joseph Larmarange, le coordinateur scientifique du programme ATLAS, démographe au Ceped (Centre population et développement) de l’IRD.

« Pour les travailleuses du sexe, ça peut le faire pour une partie de leurs collègues et pour certains de leurs partenaires réguliers, par contre c’est beaucoup plus compliqué par rapport à leurs clients » décrit-il, en s’appuyant sur les premiers retours de terrain. « Par contre, on a vu des choses se faire de manière assez naturelle avec par exemple dans certains sites, des agents dispensateurs qui donnent des autotests au patron d’un hôtel ou du bar, qui va en redonner aux clients. »

Le lien difficile vers les soins

Un travail préliminaire a consisté a adapté et traduire les notices des tests au contexte local, diffuser des vidéos d’information et renforcer des lignes téléphoniques à disposition des testeurs. Lancée en 2019, et ralentie par la crise actuelle liée au Covid-19, la dispensation d’autotests a pour l’instant suscité « peu d’appels mais finalement les raisons pour lesquelles on en a eu peu, d’après les retours de terrain, c’est que les gens arrivent plutôt bien à se débrouiller avec l’autodépistage » d’après Joseph Larmarange.

« C’est un vrai changement de mentalité de dire qu’on accepte de ne pas savoir ce que va devenir l’autotest parce qu’on part du principe que c’est justement cela qu’il apporte, cet anonymat, donc on ne traque pas les gens » soutient le démographe. De fait, il est encore trop tôt pour tirer des enseignements du programme ATLAS, et notamment observer dans quelle mesure cette diffusion en cascade pourrait se traduire à terme par une augmentation des personnes sous anti-rétroviraux dans les zones de déploiements des autotests, l’un des indicateurs que les chercheurs prévoit de scruter.

« Comme un second test est nécessaire pour confirmer le diagnostic, les politiques d’autodépistage doivent inclure des mesures pour connecter les auto-testeurs vers une confirmation du test, un diagnostic et un traitement lorsque nécessaire » souligne l’ONUSIDA. La nature même de l’autodépistage fait qu’il est difficile de s’assurer de cette bonne connexion vers le soin. L’évaluation de la phase 1 de STAR conclut à des preuves limitées et nuancées en terme d’accès au traitement ou à de la prévention suite à un autodépistage. Les résultats de la phase 2 qui s’achève en 2020 permettront certainement d’avoir une meilleure connaissance des effets de la diffusion massive d’autotests en Afrique australe et de l’Est, avec une interrogation qui reste entière quant à la pertinence d’élargir les résultats à d’autres contextes.

Notes

[1] http://lawsandpolicies.unaids.org/topicresult?i=13&o=195,219

[2] Mid-term evaluation of the PSI HIV self-testing Africa (STAR) project, réalisé par Cambridge Economic Policy Associates (CEPA) pour Unitaid, 16 mars 2018.

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