vih « Les épidémies ont profondément transformé la structure sociale et démographique de l’Europe »

15.07.20
Cécile Josselin
7 min
Visuel « Les épidémies ont profondément transformé la structure sociale et démographique de l’Europe »

De la peste à la variole en passant par le choléra et la grippe espagnole, de nombreuses épidémies ont touché l’humanité. Qu’est-ce que la Covid-19 a en commun avec elles et en quoi elle s’en différencie ? Patrick Zylberman, historien de la santé, professeur émérite à l’École des hautes études en santé publique de Rennes (EHESP) et auteur du livre Tempêtes microbiennes (Gallimard), nous éclaire.

On parle beaucoup de la Covid-19, mais ce n’est pas la première épidémie à toucher l’humanité…

Patrick Zylberman : tout à fait. La première épidémie réellement bien documentée est la peste de Justinien. Elle a sévi du VIème au VIIIème siècle dans tout le bassin méditerranéenDiverses épidémies de variole et de typhus ont ensuite jalonné les siècles. Il y eut la peste noire du XIVème siècle qui tua entre 25 à 50% de la population européenne. Citons ensuite le Choléra qui est revenu par vagues en Europe occidentale jusqu’à la fin du XIXème siècle, puis la tuberculose. À la fin du XIXème siècle et au XXème siècle, ce fut le tour des grandes épidémies grippales. Ces dernières n’ont pas attendu l’époque contemporaine pour apparaître mais jusque là, nous ne savions pas les identifier. La première pandémie de grippe qui a été étudiée scientifiquement est la grippe russe de 1889-1890. En 1918-1919, l’épidémie de grippe espagnole survient puis la grippe de 1968-1969 et celle de 2009… Dans les années 1980 arrive le VIH-Sida, puis viennent les épidémies au coronavirus comme le SRAS et la Covid-19… 

Quelles sont les causes identifiées des principales épidémies ?

Patrick Zylberman : un des facteurs facilitant la survenue d’épidémie est la grande densité de la population associée à la mobilité humaine. C’est manifeste dans le cas de la grippe russe de 1889-1890 qui serait apparue dans le sud de l’Oural en 1889 avant de se propager en suivant les routes et voies navigables. Un autre élément à considérer est le transfert de maladie de l’animal à l’homme. On appelle cela la zoonose. À peu près 60% de nos maladies infectieuses viennent des animaux comme c’est le cas de la Covid-19, MERS, Ebola et, avant cela, la peste. 

Comment est-on venu à bout de ces grandes épidémies ?

Patrick Zylberman : la meilleure façon de venir à bout d’une épidémie est de trouver un vaccin afin d’immuniser la population. Après, il convient de savoir pour combien de temps les personnes sont immunisées. Certaines immunisations sont très longues, comme dans le cas de la variole, tandis que d’autres comme la grippe ne courent que durant quelques mois. Pour la peste noire, c’est un peu différent. Les populations y ont été soumises pendant plusieurs siècles. Cela a pris énormément de temps avec de nombreuses récurrences mais à la fin, le virus s’est épuisé car il avait touché une très large part de la population. Il s’est produit la même chose pour la grippe de 1918-1919 pour laquelle aucun vaccin n’a été trouvé mais pour laquelle faute de nouveaux hôtes potentiels, le virus a cessé de se diffuser.

Les personnes âgées sont les plus touchées par la Covid-19, est-ce aussi le cas des autres grandes épidémies ?

Patrick Zylberman : pas toujours. Il est vrai que ce sont souvent aux deux « extrémités » de la vie que les humains sont les plus touchés, à savoir les bébés et les personnes âgées. C’est le cas des épidémies saisonnières de grippe, mais ce n’est pas non plus une règle absolue. La grippe de 1918-1919 par exemple a d’abord touché les 15-45 ans, dont faisaient partie les soldats.

Comment se situe la Covid-19 en terme de mortalité et de contagiosité ?

Patrick Zylberman : le critère le plus utilisé pour déterminer la dangerosité d’un virus est le taux de reproduction, c’est à dire le nombre de personnes qu’un individu infecté peut contaminer à son tour. C’est ce qu’on appelle le R0. Ce dernier mesure la vitesse de transmission de la maladie. Quand ce taux est inférieur à 1, l’épidémie décroît. S’il est supérieur, elle progresse. Parmi les grandes épidémies que le monde a connu, la rougeole fait partie des maladies les plus contagieuses (R0 = 15-18). Citons aussi le choléra (R0 autour de 9,4) et la variole (5). En comparaison, la Covid-19 se situait au début entre 1,5 et 3,5 [i]. Le taux de létalité est un autre facteur important. Il est de 1% dans le cas de la Covid-19 avec de fortes variations en fonction de l’âge des patients. Chez les plus de 65 ans, ce taux atteint la dizaine. C’est un taux dix fois supérieur à celui de la grippe pandémique (0,2%) mais bien plus faible que d’autres maladies. Je pense notamment à la peste dont la forme hémorragique ne laisse aucune chance au malade [ii]. La variole avait aussi un taux de létalité très important [iii] avant que l’on dispose d’un vaccin grâce auquel la maladie a été totalement éradiquée.

Et le VIH, comment se classe-t-il par rapport aux autres grandes épidémies ?

Patrick Zylberman : la pandémie du VIH-Sida est active depuis une quarantaine d’années et perdure toujours. C’est une pandémie dont la structure est assez différente des autres. Les coronavirus, comme les grippes constituent des crises explosives qui, bien qu’elles soient très fortes, finissent par disparaître. Après avoir connu un pic aigu, le VIH-Sida est devenu au fil du temps, grâce aux traitements, une « crise » ralentie, qui perdure malgré tout faute de vaccin.

Le monde craint beaucoup une deuxième vague pour la Covid-19. Est-ce le cas le plus fréquent pour les grandes épidémies ?

Patrick Zylberman : la deuxième vague est un phénomène connu. La grippe russe a par exemple connu des récidives à la fin du XIXème  siècle durant cinq ans. La grippe espagnole a sévi en trois vagues avant de disparaître. Le choléra de 1832 par contre n’a connu primitivement qu’une seule vague. Il est revenu ensuite en France en 1848 et en 1892, mais je ne sais pas si on peut parler de deuxième et troisième vague tant ces crises sont espacées.

Quels retentissements économiques, sanitaires et sociétaux peut-on attendre de cette crise ? Que nous apprennent les crises découlant des épidémies précédentes ?

Patrick Zylberman : plusieurs schémas sont possibles. La sortie de crise de la peste noire au XIVème siècle a par exemple révolutionné l’ensemble de la société. Certains historiens en font même la préface à la Renaissance. C’est peut-être un peu exagéré, mais il est clair qu’elle a profondément transformé la structure sociale et démographique de l’Europe, ne serait-ce que parce qu’elle a réduit de 30 à 60 % sa population. Elle a eu également un impact culturel très important avec la formation de nouveaux cultes et formes de représentation de la mort. Et puis à l’inverse, vous avez la grippe espagnole de 1918-1919. Dès le moment où l’épidémie a cessé, la vie a repris son cours et le monde a totalement oublié ce qui s’était passé. C’est un oubli que je qualifierais de nietzschéen dans le sens où Nietzsche a dit : « Sans oubli, pas de présent ». Et c’est tout à fait ça. Pour que la vie recommence, il fallait reprendre les activités là où on les avait laissées et oublier ce qui s’était passé. Personnellement, je pense que l’épidémie de Covid-19 sera oubliée dès qu’elle sera terminée parce que c’est une des conditions sine qua non pour que la vie et les activités de la culture, au sens anthropologique du terme, se remettent à fonctionner.

Notes

[i] Selon le Centre chinois de prévention et de contrôle des maladies.

[ii] La peste est mortelle à 60%. C’est le cas aussi d’Ebola qui sans traitement tuait une personne sur deux.

[iii] Environ 30%.

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