vih Les Français ont-ils encore peur du VIH ?

01.07.22
Cécile Josselin
6 min

Dans les années 1980, le VIH était un objet de terreur. Synonyme de mort à court terme, il flottait dans tous les esprits comme une menace aussi invisible qu’implacable. Cette peur du virus existe-t-elle encore aujourd’hui en France ? Et quelles formes prend-elle ?

Dans l’histoire du VIH, il y a un avant et un après, une transition clairement définie, quoique progressive, qui a pour nom « les trithérapies ». Ces dernières ont incontestablement changé la donne en faisant d’une infection mortelle une maladie chronique.

Et si nous n’avons toujours pas trouvé le vaccin qui éviterait la contamination, nous savons « gérer » l’infection par le VIH et la « contenir », c’est-à-dire la maintenir à un état résiduel. C’est ce qu’on appelle l’« indétectabilité » et cela constitue une énorme avancée.

Une avancée qui a trois conséquences majeures à même de nous rassurer. La première de ces conséquences est que presque plus personne ne meurt du VIH en France. La deuxième est que l’espérance de vie d’une personne séropositive suivie régulièrement est la même que celle d’une personne séronégative. Enfin, la troisième conséquence est que, grâce aux traitements, les personnes vivant avec le VIH dont la charge virale est devenue indétectable ne risquent plus de transmettre le virus à leur(s) partenaire(s), et ce, même sans préservatif.

Alors, comment expliquer que nous sommes encore si nombreux à avoir peur de ce virus ? Il existe sans nul doute un phénomène générationnel. Tandis que nombre de cinquantenaires restent très marqués par cette maladie qui a coïncidé avec leur entrée dans la vie sexuelle, la génération Y, née après l’arrivée des trithérapies, en a une conscience plus distancée et théorique. Conséquences : selon le dernier sondage réalisé par l’Ifop pour Sidaction auprès de jeunes âgés de 15 à 24 ans [i], 37 % des interrogés déclarent ne pas avoir (vraiment) peur du VIH et seuls 34 % utilisent systématiquement un préservatif lors d’un rapport sexuel (9 points de moins qu’en 2020).

À chacun sa peur

Chaque personne réagit différemment à ses angoisses. Ainsi, si certaines (heureusement peu nombreuses) refusent par fatalisme de prendre la moindre précaution, d’autres tombent dans l’extrême inverse en associant PrEP, capote et rejet de partenaires séropositifs à partir d’indices plus ou moins hasardeux. D’autres encore sont tellement éloignées du soin, les personnes migrants par exemple, que la peur du VIH est tout simplement ensevelie sous l’urgence de trouver de quoi se nourrir et se loger.

Un deuxième élément à prendre en compte est l’évolution de la phobie chez la personne qui apprend sa séropositivité. « Aujourd’hui encore beaucoup de gens nous appellent juste après leur dépistage, terrorisés, car ils pensent qu’ils vont en mourir, rapporte la Dr Radia Djebbar, coordinatrice médicale à SIS Association. Même si un médecin leur a soutenu le contraire, certains mettent du temps à vraiment intégrer l’information. » 

Une fois cette phase de sidération et de profond désarroi passée à force de patientes explications, les formes que revêt la peur évoluent : « La crainte de ne pas pouvoir avoir d’enfant et l’appréhension des effets indésirables du traitement restent très présentes », note Radia Djebbar, qui peut les rassurer sur ces deux points.

Ensuite, c’est la stigmatisation induite par la maladie qui effraie, plus que la maladie elle-même. Le regard de l’autre devient très vite l’enjeu majeur. Pour certains, la situation semble même si ingérable qu’ils envisagent le suicide. Comme ce musulman âgé de 35 ans qui, l’année dernière, confiait à un écoutant de SIS Association qu’il ne pouvait pas parler de « ça » à son entourage, sa vie sexuelle « mouvementée » n’étant pas « acceptable » dans sa communauté. « J’ai été en prison… On m’a tiré dessus, on m’a kidnappé. Je n’ai jamais eu peur, mais là…, oui, j’ai vraiment peur », expliquait-il.

De plus, après le premier mouvement de panique arrive l’angoisse de la suite. Celle qui s’installe dans le temps : à qui puis-je/dois-je le dire ? et à qui puis-je/dois-je le taire ? Une femme doit-elle en parler à son époux au risque d’être répudiée, battue et privée de tout moyen de subsistance ? Un salarié doit-il prévenir son employeur au risque d’être placardisé ? Doit-on le dire à son banquier au risque de se voir refuser un prêt ? Comment le dire ? Comment le cacher ? Avec quels risques ? La vie d’une personne vivant avec le VIH est ponctuée de ce genre de dilemmes qui peuvent vite devenir profondément anxiogènes.

Quand la peur se meut en rejet

Le troisième aspect à considérer concerne le poids et les conséquences de l’ignorance collective à l’égard des personnes séropositives. En un mot, la sérophobie, qui s’appuie sur des idées reçues qui ont la vie dure, surtout chez les plus jeunes : selon le sondage Ifop, 23 % des 15-24 ans pensent par exemple que le VIH peut se transmettre en embrassant une personne séropositive (6 % pour l’ensemble de la population [ii]) et 17 % en buvant dans son verre (4 % des Français).

Il y a quelques mois, une femme de 43 ans a ainsi appelé SIS Association au sujet de son fils qui venait d’être testé positif avec cette interrogation qui semble d’un autre temps : «  Il est effondré et moi aussi. Je m’inquiète pour lui, mais aussi pour ma fille de 12 ans. Pouvons-nous continuer à manger et boire dans la même vaisselle ? »

Plus sournoise, la peur du VIH peut enfin avoir un effet pervers, celui du déni qui se traduit par des retards dans le recours au dépistage. Comme le raconte Daniel [iii], qui n’a découvert sa séropositivité que l’année dernière, à l’âge de 60 ans, bien des années après avoir contracté le virus. « J’ai toujours eu une peur viscérale du VIH, du sida et de tout ce qui tournait autour. Refusant d’y penser, j’ai fait l’autruche. Je ne pouvais pas me résoudre à me faire dépister tant j’étais terrifié à l’idée d’un résultat positif. Ce n’est que quand les premiers signes cliniques du stade sida se sont manifestés que je m’y suis résolu. J’ai bien failli mourir juste parce que j’avais une trouille absolue d’assumer ce diagnostic », confie-t-il, en espérant que son exemple servira de déclic à d’autres.

Notes

[i] « Les jeunes, l’information et la prévention du sida ». Suivi barométrique Ifop pour Sidaction, février 2022.

[ii] « Le rapport des Français au VIH/sida 40 ans après son apparition : évaluation des connaissances et des perceptions », CSA Research pour le Crips Île-de-France, octobre 2021.

[iii] Le prénom a été modifié pour respecter l’anonymat.

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