vih Les grandes attentes du quinquennat

15.06.18
Vincent Michelon
9 min
Visuel Les grandes attentes du quinquennat

La première prise de contact avec les associations illustre l’ambiguïté de ce début de quinquennat. Après avoir brillé par son absence lors de la 9e Conférence scientifique sur le VIH, en juillet 2017 à Paris, Emmanuel Macron a reçu les chercheurs et les acteurs de la lutte contre sida. Il s’est notamment engagé sur le sujet de la santé des migrants, souhaitant garantir « une digne prise en charge des personnes les plus fragiles et les plus exposées au virus ». À l’échelle internationale, le chef de l’État a aussi repris à son compte la promesse de porter l’aide publique au développement de la France (APD), qui finance notamment les organisations multilatérales comme le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, de 0,38 % à 0,55 % du PIB d’ici à la fin du quinquennat. Promesse réitérée le 28 novembre, lors d’un discours à Ouagadougou, au Burkina Faso.

« On est face à un Président qui a envie de travailler sur le dossier », se réjouissait Aurélien Beaucamp, le président de Aides, tandis que Florence Thune, directrice générale de Sidaction, saluait « l’honnêteté » du chef de l’État qui, tout juste élu, « souhaitait travailler en amont le dossier et discuter avec nous pour bien comprendre les enjeux ». Autres signaux positifs, les premières prises de position de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, issue du monde médical, immunologue de formation, qui s’était positionnée en faveur d’une prévention renforcée auprès des adolescents ou encore d’un travail sur la réduction des risques en milieu carcéral.

Un an après, tout reste à faire… Pressé de réformer le travail et la fiscalité, le gouvernement a pris son temps sur d’autres chantiers. La nouvelle stratégie nationale de santé 2018-2022, qui fixe les grandes lignes du quinquennat, a été adoptée fin décembre après une phase de concertation. Elle reprend en grande partie, sur le plan de la prévention, de la santé sexuelle, de la lutte contre les inégalités dans l’accès aux soins ou de la prise en charge des pathologies chroniques, des objectifs fixés antérieurement.

APD : vers un engagement pluriannuel

Si la page est encore blanche, les premiers arbitrages budgétaires du quinquennat ont eu de quoi susciter quelques interrogations. Première alerte : la contribution au financement de la santé mondiale. À peine l’engagement présidentiel sur l’APD prononcé que l’exécutif l’avait amputée de 141 millions d’euros sur l’exercice budgétaire 2017, afin de répondre aux exigences européennes de maîtrise du déficit public. Si la majorité a finalement relevé les crédits d’environ 100 millions pour 2018 (2,7 milliards au total), le compte n’y était pas : la France devait augmenter sa participation de 1,2 milliard d’euros par an pour honorer les engagements pris sur l’APD.

« La tendance est à la stagnation, voire à la baisse », jugeait Philippe Jahshan, le président de Coordination Sud, en pointe sur ce plaidoyer, après l’adoption du projet de loi de finances. « Ce qui est en jeu, c’est la construction d’un nouveau modèle de société. L’APD et toutes les dépenses solidaires sont des investissements de fond qui ne peuvent être soumis à des objectifs de rigueur. » Diagnostic confirmé par Bruno Rivalan, le directeur France d’Action santé mondiale : « La hausse d’environ 100 millions sera absorbée par la contribution au Fonds européen de développement (FED). Au rythme actuel, il faudrait mobiliser 4 milliards d’euros supplémentaires, ce qui semble peu réaliste. » Pour ce dernier, les 385 millions d’euros décaissés pour le Fonds mondial sur 2017-2018 constituent tout juste « un rattrapage partiel du reliquat des promesses » faites sous le quinquennat Hollande.

Le pouvoir a finalement donné des gages plus précis en février 2018, en présentant une trajectoire budgétaire pluriannuelle pour l’APD. La contribution passera ainsi de 0,44 % du PIB en 2019 à 0,47 % en 220, pour atteindre l’objectif de 0,55 % à la fi n du quinquennat. Une hausse saluée par Coordination Sud, qui appelle toutefois à une « concrétisation » dans le budget 2019.

Quel financement ?

Reste à savoir en effet de quelle manière l’État honorera ces promesses internationales. L’exécutif et les députés se sont privés d’une ressource potentielle en enterrant en octobre dernier, au nom de l’attractivité, le projet d’extension de la taxe française sur les transactions financières (TTF), dont la moitié des recettes alimentent déjà l’aide au développement. Beaucoup y voyaient le moyen de respecter tout ou partie de l’engagement présidentiel, soit par un élargissement de l’assiette de cette taxe, en y intégrant les transactions infrajournalières (« intraday »), soit par une hausse de sa part dédiée à l’APD. Sur ce sujet, Emmanuel Macron n’a pas fermé la porte, plaidant pour ce projet de taxe européenne sur les transactions financières qui dort depuis plusieurs années dans les cartons de l’Union européenne. Mais pour Bruno Rivalan, c’est une façon « de remettre à plus tard et à un autre échelon des décisions qui pourraient être prises tout de suite », alors que « la France doit jouer un rôle moteur ».

Pour Pierre Jacquemot, président du Gret-Professionnels du développement solidaire, chercheur associé à l’IRIS et ancien directeur du développement au Quai d’Orsay, la piste d’une TTF européenne était la seule solution pour permettre à la France d’honorer ses engagements. « Avec des ressources budgétaires classiques, on se tire une balle dans le pied. La piste d’une taxe européenne est logique : elle est acceptable par l’opinion et elle permet d’éviter ce biais dans la concurrence que peut constituer une taxe nationale. D’autant que l’Allemagne ne semble pas fermée sur le sujet. »

Quid des populations vulnérables en France ?

Les premières décisions budgétaires sur le plan intérieur suscitent également des interrogations, notamment chez les acteurs de la lutte contre le sida. Alors que la feuille de route de la stratégie nationale de santé sexuelle présentée en avril 2018 par Agnès Buzyn se fixe notamment pour objectif, dans les trois ans, l’expérimentation de centres de santé sexuelle d’approche communautaire « dans les villes à forte prévalence du VIH et des autres IST » et promet un soutien « au développement associatif » dans l’outre-mer, les associations ont connu une autre réalité sur le terrain, avec la perspective de nouveaux coups de rabot budgétaire.

La réduction progressive des emplois aidés, rebaptisés « parcours emploi compétences » à la suite du rapport remis par Jean-Marc Borello en décembre dernier, affecte déjà les structures les plus fragiles. Au total, ces emplois devraient plafonner au mieux à 200 000 en 2018, en France, contre 460 000 en 2016. À titre d’illustration, pas moins de 38 associations, sur les 70 soutenues par Sidaction, sont concernées par ce type d’emplois. Parmi elles, Grisélidis, association toulousaine de santé communautaire, au sein de laquelle trois postes sur onze sont touchés. Son modèle économique fragile l’oblige à jongler, sans visibilité, avec une vingtaine de financeurs. « Ces postes sont cruciaux, plaide la codirectrice, Krystel Odobet, car ils concernent des salariés ayant une expérience de la prostitution. En outre, les emplois aidés ont toujours montré leur capacité à ramener vers des emplois stables des personnes très éloignées du monde du travail. » Le coup de rabot pèse également sur les structures de soins : selon la Fédération hospitalière de France, ce sont 25 000 emplois directement menacés dans les établissements de santé, dont la moitié dans les Ephad, secoués d’ailleurs par des mouvements de grève au printemps pour dénoncer les manques de moyens alloués.

Ce début de mandat sur fond de grogne sociale n’épargne pas les usagers du système de soins eux-mêmes. Si Emmanuel Macron a promis, et engagé, une revalorisation des minimas – minimum vieillesse et allocation adulte handicapé (AAH), allocation dont bénéficient certaines personnes vivant avec le VIH – en vue de les faire converger à partir de 2018, pour certains d’entre eux, le compte n’y est pas. La revalorisation de 90 euros de l’AAH, portée à 900 euros d’ici à 2020 ne profi tera réellement qu’à 900 000 bénéficiaires sur 1,1 million au total. Pourquoi ? Parce que, nous détaille Alain Rochon, le président de l’Association des paralysés de France (APF), la majorité a instauré « en même temps » un plafond de ressources pour les couples et fusionné deux revenus complémentaires de l’AAH – le complément de ressources et la majoration pour la vie autonomie –, en retenant les critères d’éligibilité du moins-disant des deux. Bilan : « 200 000 bénéficiaires ne gagneront rien à cette revalorisation, quand ils ne subiront pas une perte sèche de 90 euros par mois. » « Nous ne sommes pas très enthousiastes, conclut Alain Rochon, d’autant que cette revalorisation maintient l’allocation en dessous du seuil de pauvreté. »

Autre sujet d’inquiétude : le projet de loi asile-immigration, voté fin avril à l’Assemblée nationale, qui, selon de nombreuses associations, en réduisant les délais de demande d’asile et en prolongeant la durée de rétention, aura un impact négatif sur la législation protectrice en vigueur relative à l’expulsion des personnes malades.

Pour l’heure, sur le plan national, les associations restent plus que jamais inquiètes face aux risques pesant sur les plus vulnérables en matière d’accès aux soins. À l’international, elles s’en tiennent aux promesses face aux enjeux de santé. Mais les promesses appellent des preuves. Le 16 mai dernier, Emmanuel Macron annonçait sa décision d’accueillir en France, en 2019, la conférence du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Un début de preuve ?

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