Chez les moins de 25 ans, il reste encore de lourdes barrières à lever pour espérer atteindre les objectifs énoncés par le Programme National de Santé Sexuelle. Notre enquête.
Pour Miguel, 17 ans, apprenti dans les cuisines dans un restaurant, être en bonne santé sexuelle, ça se résume surtout à “être à jour au niveau des MST”. Pourtant, l’OMS dans la définition qu’elle a adoptée en 2010 décrit un programme bien plus vaste, promettant « un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité ». Une finalité qui requiert « une approche positive et respectueuse de la sexualité » et sous-entend plaisir, absence de risque, de coercition, de discrimination ou de violence. Voilà pour la théorie. Mais en pratique, et pour les plus jeunes, comment garantir un accès à une sexualité épanouie, informée et protégée ?
Des compétences psychosociales indispensables
En France, depuis les années 2000, l’âge médian au premier rapport sexuel est presque le même pour les garçons (17 ans) et les filles (17,6 ans), mais la sexualité reste une expérience marquée par le genre. Près de 50 % des femmes vivent leur première expérience sexuelle avec une personne déjà initiée et plus âgée qu’elles – contre seulement 19 % des hommes1. Elles sont également plus nombreuses à être exposées aux violences sexuelles (18,9 % des femmes de moins de 29 ans déclaraient en effet, en 2016, avoir été confrontées à des rapports forcés ou des tentatives de rapports forcés)2. Et si le préservatif est bien connu de tous3, il n’est pas toujours accessible et les pratiques à risques se développent4. Les 15-24 ans représentent 40 % des cas d’IST constatés5, et les femmes, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les migrants restent des populations très vulnérables6. Les sources d’information ont beau se multiplier, la compréhension n’est pas toujours au rendez-vous. « Il est essentiel de parler aux jeunes de santé sexuelle en général, explique Sandrine Fournier, directrice des programmes France de Sidaction. Consentir, se respecter, respecter l’autre, ses différences, son désir, etc. Nous ne sommes pas tous égaux sur ces sujets-là. C’est pour cela qu’il faut développer les compétences psychosociales des plus jeunes, et ce le plus tôt possible dans le cursus scolaire ».
Une éducation à la sexualité qui peine à exister
Depuis 2001, l’article 312-16 du code de l’éducation impose « aux écoles, collèges et lycées » trois séances annuelles d’information et d’éducation à la sexualité. Elles peuvent être assurées par le personnel de l’établissement, des intervenants extérieurs, des associations ou des élèves, et les problématiques qui y sont traitées sont évidemment adaptées au niveau des classes. Mais malheureusement, et malgré la circulaire venue rappeler en 2018 leur existence aux chefs d’établissement, celles-ci ne sont que trop rarement mises en place. Quand on demande aux moins de 25 ans où ils vont pêcher leurs informations sur le sujet, ils sont nombreux à citer d’abord « leurs copains, leurs copines, leurs partenaires », puis internet où les recherches peuvent se faire plus anonymes. Mais rarement, ils évoquent l’école. Et pour cause. Seulement 10 à 21 % des élèves assistent bien à ces trois séances obligatoires par an7, et sur un sujet comme le VIH, 26 % d’entre eux s’estiment mal ou pas du tout informés, un chiffre qui augmente dangereusement depuis 20098.
« On nous appelle parfois après qu’il se soit passé un incident, il est pourtant essentiel que l’établissement réfléchisse à un projet pédagogique dédié, en amont des éventuels problèmes. Les directions doivent être aidantes, mais certaines d’entre elles sont encore réfractaires », explique Léa Vanbuckhave, chef de projet au CRIPS, qui intervient dans différents établissements d’Île-de-France pour animer ces séances. Souvent, les infirmières assurent presque seules ce rôle-clé autour des questions liées à la sexualité, et l’équipe pédagogique est rarement armée pour aborder ces sujets avec les élèves. « Même quand on veut bien faire les choses, c’est compliqué, car personne ne nous a appris à parler de sexualité, de sentiments ou de discrimination avec eux », remarque Marie Dubayle, professeure de SVT dans un collège parisien prioritaire. Comme de plus de plus de professeurs qui se sentent concernés, elle et l’une de ses collègues, suivent une formation pour devenir des référents plus compétents en matière de santé sexuelle. « L’essentiel, c’est de créer un espace de parole », précise Alexandre Chevalier, sexologue et président de l’ALS à Lyon, qui travaille depuis 20 ans sur la santé sexuelle des jeunes. « Pour faire passer un message, il faut d’abord lever les blocages, qu’ils soient d’ordre médical, psychologique ou social, et comprendre pourquoi les jeunes continuent à prendre des risques ».
Confusion et représentations à déconstruire
Malgré une diffusion plus large des informations, et des progrès indéniables en matière de prévention, les jeunes sont parfois perdus. Ils sont encore 15 %, par exemple à penser que la pilule contraceptive protège du VIH9, et 25% des jeunes filles ne savent pas qu’elles ont un clitoris10. L’accès à la pornographie vient semer un peu plus le trouble quand les savoirs de base ne sont pas acquis. Et même dans les collèges où le nombre de séances est respecté, « on remarque que l’information a du mal à s’ancrer d’une année sur l’autre, note MarieDubayle. Certaines filles commencent à être bien informées, mais pour la majorité, ça reste encore tabou, il y a un gros travail à faire au niveau de la réappropriation et la compréhension des corps ». Le mouvement MeToo a permis de réveiller le débat autour des violences sexuelles, du consentement, mais les représentations sont encore ancrées et douloureuses. « Ce qui est complexe, c’est de ne pas se sentir à l’aise avec son corps, d’avoir des stéréotypes en tête qui formatent les relations sexuelles, de se demander si ses désirs sont normaux, de ne pas réussir à s’exprimer », confie Clara, 22 ans, étudiante en architecture. Les lignes bougent, mais comme pour l’homophobie, le travail à accomplir est encore colossal.
Mieux protéger les plus fragiles
« Aujourd’hui, malgré les espaces de parole qui se multiplient et les nouveaux modèles qui émergent, c’est toujours aussi compliqué d’être un jeune homosexuel en France », souligne Alexandre Chevalier. Souvent isolés, confrontés à la différence, au rejet et donc aux prises de risques, ils représentent un public fragilisé lors de l’entrée dans la sexualité. Pour que les lois comme celle qui condamne l’homophobie, protègent mieux, pour qu’elles soient appliquées, pour qu’elles avancent et assurent une meilleure santé sexuelle aux plus jeunes, il y a une véritable bataille du droit à mener : veiller à l’application des séances obligatoires, établir un cadre plus sécurisé pour les dépôts de plainte et les jeunes victimes de violences sexuelles, et mettre à l’abri les populations les plus vulnérables, dans lesquelles être jeune représente un facteur de risque accru. Laurence qui accompagne des migrants mineurs dans le cadre du collectif Hébergeurs Solidaires, raconte : « ils sont informés sur le VIH et le préservatif, mais de là à avoir une sexualité épanouie, on n’y est pas ! Ils ont d’autres priorités : se remettre de leur parcours migratoire, s’intégrer, batailler pour leurs titres de séjour. ».
Réseaux, paire éducation et courage politique
Pour améliorer la situation, internet et les réseaux sociaux semblent indispensables. Des sites dédiés à la santé sexuelle des jeunes comme Onsexprime.fr aux initiatives féministes telles les récentes Glorieuses.fr, en passant par l’ALS à Lyon, qui assure une permanence de prévention sur les applications de rencontre gays, ils offrent de nombreuses ressources pour qui sait les chercher. « Ça m’aide beaucoup en ce moment d’écouter des podcasts qui traitent de ces questions avec beaucoup de respect, mais si on consulte les mauvais sites, ça peut nous enfermer dans certains modèles », explique Mélodie, 19 ans, étudiante en lettres. Un moyen d’information et de communication qui peut donc être à double tranchant. Marie Dubayle rapporte au moins une fois par an un problème de diffusion d’images sexuelles concernant des élèves. Pour Alexandre Chevalier, « on a encore du mal à faire le lien entre l’écran et à la réalité. Quand un jeune a besoin de suivi, d’accompagnement pour faire face à une difficulté, est-ce qu’il fait le pas jusqu’au centre de santé sexuelle ? Je pense que l’on peut mieux faire ». Les lieux d’accueil et de parole au sein des établissements, comme à l’extérieur, sont bel et bien indispensables, et comme partout dans le monde, l’éducation par les pairs s’avère être un moyen très efficace pour informer et prévenir les jeunes. « Ça évite de leur coller nos représentations, ils sont les plus à mêmes de toucher leurs camarades avec les bons mots, les bons codes », souligne Léa Vanbuckhave.
En définitif, nombreuses sont les pistes pour améliorer la santé sexuelle des jeunes, mais encore faut-il les mettre en place de façon effective. Et tordre le cou à ces polémiques inutiles, qui voudraient que l’on enseigne des pratiques sexuelles à des enfants de maternelle, quand il ne s’agit que de leur apprendre à mieux se respecter et se protéger. « Il y a un début de changement, la parole se libère, c’est maintenant qu’il faut s’en saisir, pour se mobiliser et renforcer enfin les compétences psychosociales des plus jeunes », rappelle Sandrine Fournier.
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1, 2 – Baromètre Santé Publique France, 2016 « Genre et Sexualité, d’une décennie à l’autre ».
3 – « 85% des personnes interrogées déclarent avoir utilisé un préservatif lors de leur premier rapport sexuel », Santé sexuelle des jeunes : Etat des lieux, CRIPS 2019
4 – « 10% des jeunes de moins de 25 ans admettent avoir été exposés au moins une fois à un
risque d’être contaminés par le VIH/sida (contre 8 % en 2019) », Sondage Ifop et Bilendi pour Sidaction / « 54 % des étudiants n’utilisent pas systématiquement un préservatif et 48 % d’entre eux ne se font jamais dépister », Etude Smerep, 2017
5 – « Les jeunes âgés-es de 15 à 24 ans représentent environ 40% des IST (VIH, syphilis, gonocoque, et chlamydia) rapportées en 2013-2014 », Santé sexuelle des jeunes : Etat des lieux, CRIPS 2019
6 – Découvertes de séropositivité VIH chez les jeunes en France, 2003-2013
7 – HCE, Rapport relatif à l’éducation à la sexualité, 2016
8 et 9 – Sondage Ifop et Bilendi pour Sidaction, 2020
10 – « Un quart des filles de 15 ans ne savent pas qu’elles possèdent un clitoris et 83 % d’entre elles ignorent sa fonction érogène », HCE, 2016.