vih Les jeunes et le VIH, le grand malaise

29.11.21
Pierre Bienvault
8 min

Aujourd’hui, les personnes de moins de 25 ans représentent près de 14 % des nouvelles découvertes de séropositivité. Un chiffre largement ignoré par les jeunes générations pour lesquelles le VIH/sida ne semble plus être un sujet de préoccupation. La faute peut-être, en partie, à une éducation à la sexualité qui reste largement insuffisante ou pas toujours adaptée en milieu scolaire.

C’était le 23 novembre 1991. Un simple communiqué signé du chanteur Freddy Mercury : « À la suite d’importantes conjectures parues dans la presse ces deux dernières semaines, je souhaite confirmer que j’ai été testé positif au VIH et que je suis atteint du sida. J’ai jugé correct de garder secrète cette information jusqu’à ce jour afin de préserver la vie privée de mon entourage. Cependant, l’heure est venue pour mes amis et fans de par le monde de savoir la vérité et j’espère que chacun se joindra à mes médecins et leurs collègues du monde entier dans leur combat contre cette terrible maladie ». Le lendemain, le monde entier apprenait la mort du leader du groupe Queen. Fauché par le sida à l’âge de 45 ans.

« Ces derniers jours, on a beaucoup parlé de Freddy Mercury dans les médias ou les réseaux sociaux à l’occasion du 30ème anniversaire de sa mort », constate Bastien Vibert, responsable des programmes VIH au sein du Crips Île-de-France [i]. « Pour les quadragénaires de ma génération, Freddy Mercury représente quelque chose de très fort, intimement lié à l’histoire du sida. Et ces derniers jours, je me suis demandé ce qu’il pouvait incarner pour les jeunes d’aujourd’hui. Pour tous ces adolescents ou jeunes adultes qui, peut-être, ont l’impression qu’on ne meurt plus du sida aujourd’hui ou qui n’imaginent pas qu’un chanteur très connu puisse être infecté par le VIH ».

Le VIH éclipsé par la Covid-19

Que pensent les jeunes du sida ? Et est-ce qu’ils se sentent encore mobilisés ou préoccupés face à une infection qui, l’an passé, a encore tué 680 000 personnes à l’échelle de la planète ? Ces questions apparaissent aujourd’hui presque un peu décalées. Comme si la question du sida avait presque entièrement disparu de la sphère publique face à ce bulldozer médiatique qu’est devenue la Covid-19. 

Et c’est de nouveau dans une atmosphère un peu étrange que se déroule, ce 1er décembre à un moment où l’actualité sanitaire est exclusivement braquée sur la 5ème vague du coronavirus et les risques liés aux nouveaux variants. « On peut d’ailleurs s’interroger sur la focale mise par les médias sur la Covid-19 au détriment de la question du sida qui tend à être éclipsée. Les résultats de l‘enquête publiée en mars dernier par le Sidaction tend à montrer que cela n’a pas été sans effets sur le niveau d’information des jeunes sur le VIH », indique Anne-Cécile Bégot, sociologue à l’université Paris-Est Créteil.

Cette enquête a été réalisée par l’Ifop auprès de 1 002 jeunes âgés de 15 à 24 ans. Et ses résultats font figure de cri d’alarme : 33 % des jeunes interrogés estiment être mal informés sur le VIH/sida, soit une augmentation de 22 points par rapport à 2009. Par ailleurs, seulement 34 % des jeunes sexuellement actifs déclarent avoir utilisé systématiquement un préservatif lors d’un rapport sexuel, soit une baisse de 9 points par rapport à 2020. Autre constat : 63 % des sondés expriment une peur du VIH/sida, soit une baisse de 16 points en deux ans. Enfin, il apparait que ces jeunes continuent de développer le « syndrome du super héros » comme s’ils se sentaient invincibles face au sida : 41 % des sondés estiment ainsi qu’il y a de moins en moins de contamination chez les 15-24 ans. Ce qui est faux. 

En 2019, comme au cours des années précédentes, les personnes âgées de moins de 25 ans ont représenté 13 % des nouvelles découvertes de séropositivité. De manière plus spécifique, le chiffre est de 13 % chez les jeunes hétérosexuels et de 18 % chez les jeunes hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). « Les jeunes entendent peu parler du VIH, notamment à l’école. Les séances d’éducation à la sexualité sont obligatoires en théorie, mais dans la pratique leur mise en place est insuffisante », a alerté Florence Thune, directrice générale de Sidaction dans un communiqué sur la journée du 1er décembre.

Une éducation « parcellaire » en milieu scolaire

Des nombreux acteurs de la prévention en milieu scolaire font le même constat : la loi de 2001 reste très mal appliquée. Cette loi, c’est celle du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception prévoit. Elle prévoit qu’une « information et une éducation à la sexualité » soient dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène. Or, le compte n’y est pas comme le soulignait le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans un rapport publié en 2016. « Quinze ans après l’obligation légale d’assurer l’éducation à la sexualité auprès des jeunes, le constat est unanime et partagé : l’application effective des obligations légales en matière d’éducation à la sexualité en milieu scolaire demeure encore parcellaire, inégale selon les territoires car dépendante des bonnes volontés individuelles », soulignait alors le Haut conseil.

Quand elles ont lieu, ces séances ne sont pas uniquement centrées sur la seule question du VIH/sida. « Il faut arriver à parler du VIH mais sans rien imposer au départ. Il faut partir des besoins exprimés par ces jeunes, de leurs questions, ajoute Bastien Vibert. Aujourd’hui, spontanément, ils ne vont pas parler du VIH mais plutôt des notions de consentement, de respect, de relation à l’autre. Et c’est progressivement qu’on peut parler de VIH ou d’infections sexuelles transmissibles (IST), sans rien brusquer, ni rien s’interdire ».

« Un discours prémâché ou des stéréotypes de genre »

Avec plusieurs de ces collègues, Anne-Cécile Bégot a travaillé sur ces séances d’éducation à la sexualité en milieu scolaire. « Il est essentiel que les animateurs ou animatrices de ces séances tiennent effectivement compte des préoccupations des jeunes, explique-t-elle. On en voit encore qui arrivent avec un discours prémâché ou qui véhiculent des stéréotypes de genre. Avec un discours affirmant par exemple que les filles sont plutôt dans un rapport affectif dans la sexualité alors que chez les garçons, il s’agirait avant tout d’un besoin naturel. Un des enjeux, en fait, est de cibler tous les publics et non de se concentrer sur l’un d’entre eux, en fonction des représentations qu’en ont celles et ceux qui organisent ces séances ».

Selon Anne-Cécile Bégot, il conviendrait aussi que ces séances abordent le problème des rapports sociaux de sexe. « C’est-à-dire des rapports de domination pouvant exister entre deux partenaires, indique-t-elle. Certaines études ont montré que les infections à chlamydia, par exemple, touchent davantage les jeunes femmes les moins diplômées. C’est la même pour les HSH. Et l’hypothèse qu’on peut faire est que ces jeunes femmes ou ces jeunes hommes ont peut-être plus de mal à imposer le port du préservatif s’ils sont dans un rapport de dominant à dominé notamment en raison d’une situation précaire. Quand on est en vulnérabilité sociale, on est plus en difficulté pour imposer quoi que ce soit ».

Pour sa part, Bastien Vibert s’interroge sur l’image du VIH que renvoie l’entourage des jeunes, les encadrants scolaires mais aussi les parents. Il avoue avoir été frappé par certains chiffres d’un sondage CSA research, dévoilé en novembre par le Crips Île-de-France. Cette enquête montre que les parents restent particulièrement mal à l’aise face au VIH : 36 % d’entre eux seraient mal à l’aise si la personne qui garde leur enfant était séropositive. Et le chiffre est de 27 % si un enseignant de leur enfant vivait avec le VIH. « Comment voulez-vous que les jeunes appréhendent sereinement la question du VIH dans un monde où les adultes, qui les encadrent, sont eux mal informés sur le sujet ou sont même sérophobes ? », s’interroge Bastien Vibert.

Il reconnait aussi que la jeunesse actuelle baigne dans un univers culturel où le VIH/sida brille par son absence. « Dans les années 1990, beaucoup de jeunes avaient l’impression de faire partie d’une génération sida. Car le VIH était très présent dans le discours ambiant. Un exemple tout bête : à la fin de chacune de ses émissions, Christophe Dechavanne lançait :’et surtout, sortez couverts’. Aujourd’hui, on n’imagine pas que l’animateur de Danse avec les stars achève l’émission en disant :’N’oubliez qu’il existe le préservatif, la PrEP, le TASP et surtout faite-vous dépister…’ ».

Notes

[i] Centre régional d’information et de prévention du sida et pour la santé des jeunes

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