vih Les migrants : ces grands oubliés de la PrEP

21.12.20
Cécile Josselin
7 min
Visuel Les migrants : ces grands oubliés de la PrEP

Comme les femmes ou les hommes hétérosexuels multipartenaires, les migrants sont encore rares à bénéficier de la PrEP. Ils représentent pourtant une des populations fortement exposées au VIH en France. Une situation à laquelle certaines structures tentent de remédier.

Si la PrEP est largement connue et utilisée par les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) nés en France, il n’en est pas de même pour les migrants qui, en 2018, représentaient 56 % des découvertes de séropositivité en France.

En 2019, 6,7 millions de personnes vivant en France étaient immigrées, dont 17 % originaires d’Afrique subsaharienne, la région la plus touchée par la pandémie [i]. Et selon l’étude ANRS-Parcours, cette population est particulièrement exposée au moment de son arrivée sur le sol français : 42 % des migrants subsahariens séropositifs ont contracté le VIH après leur installation dans le pays. Une proportion qui monte à 63 % chez les HSH [ii].

L’hétérogénéité, un frein à la PrEP

La première difficulté pour appréhender cette population est son extrême hétérogénéité, autant géographique qu’économique. En effet, le terme « migrants » englobe aussi bien des expatriés très bien insérés que des réfugiés ayant dû fuir leur pays. Nombre de ces derniers n’ont pas de numéro de Sécurité sociale. Ils sont donc difficiles à identifier et sont ainsi oubliés des études scientifiques qui en font un critère d’éligibilité. 

L’hétérogénéité s’exprime également par une population très diverse, constituée d’HSH, de travailleuses du sexe, d’hommes hétérosexuels ayant des partenaires multiples sans avoir recours au préservatif, de femmes soupçonnant leur conjoint d’infidélité ou encore de femmes primoarrivantes en situation de vulnérabilité sexuelle… Or chaque situation revêt son lot de spécificités qui implique des stratégies d’approche différentes.

Même si nous ne disposons pas de chiffres sur la proportion des personnes migrantes utilisatrices de la PrEP, les remontées du terrain laissent penser que celle-ci est faible. Infectiologue au CHU Henri-Mondor (Créteil), le Dr José Luis Lopez Zaragoza estime qu’elles ne composent pas plus de 3 % de sa file active. Les plus représentées sont certainement les HSH. C’est du moins ce que laisse entendre l’enquête menée par Nicolas Vignier pour l’Afravih, en 2018 : sur 192 migrants suivis en PrEP interrogés, 127 étaient identifiés comme HSH et 38 étaient des femmes travailleuses du sexe [iii].

L’exemple des travailleuses du sexe

Parmi les structures les plus actives dans la délivrance de la PrEP auprès de migrants, le CeGGID de Cayenne suit plus particulièrement les travailleuses du sexe originaires de la République dominicaine. L’hôpital Ambroise-Paré (Paris) est connu pour recevoir des femmes transgenres, originaires d’Amérique latine. Et le CeGGID de Montreuil accompagne des travailleuses du sexe africaines. De petits réseaux se constituent ainsi où ces femmes sont accueillies dans leur langue maternelle.

À l’hôpital de Cayenne, où travaille la Dr Aude Lucarelli, près de 100 travailleuses du sexe sont ainsi suivies pour la PrEP. L’association Entr’Aides Guyane effectue des maraudes la nuit pour les sensibiliser aux risques du VIH et des ateliers de prévention sont organisés dans le quartier où elles travaillent. Et cela fonctionne. « Elles viennent nous voir par le bouche-à-oreille avant de commencer à travailler, dans les 15 jours à trois semaines suivant leur arrivée en Guyane », se réjouit Aude Lucarelli. Et de préciser : « Le CeGGID leur délivre les médicaments gratuitement. Nous n’attendons pas qu’elles aient des droits ouverts, car c’est au moment où elles arrivent sur le territoire qu’elles sont les plus précaires et les plus vulnérables vis-à-vis du VIH. »

Des difficultés spécifiques

D’après Nicolas Vignier, la première des difficultés rencontrées par les migrants éligibles à la PrEP est leur méconnaissance du dispositif. « Pour les toucher, il faut faire des actions de communication spécialement à leur intention et se saisir des endroits où nous sommes déjà en contact avec eux pour les informer et les sensibiliser, estime-t-il. Les Pass (permanences d’accès aux soins de santé) pourraient à cet égard constituer un bon relai. » La campagne lancée par Vers Paris sans sida et relayée par l’association Afrique Avenir dans les lieux de vie communautaires (coiffeur afro, boutiques alimentaires exotiques, foyers de travailleurs migrants) va également dans le bon sens.

Autre difficulté : l’accès au soin. Les personnes en situation irrégulière ont tendance à limiter leurs déplacements et à éviter les lieux où elles pourraient être repérées. Du fait de mauvaises expériences dans leur pays d’origine, elles n’associent pas naturellement les hôpitaux où est dispensée la PrEP à des lieux de prévention et préfèrent autant que faire se peut les fuir, d’où l’intérêt de mettre en place des CeGGID communautaires et des CeGGID hors les murs. 

« À Cayenne, le CeGGID est également un centre de vaccination. Or comme la vaccination contre la fièvre jaune est obligatoire, la plupart des primoarrivants s’y présentent spontanément, et l’équipe se saisit de cette opportunité pour faire de la prévention contre le VIH », note Nicolas Vignier. Il souhaiterait que la PrEP puisse être délivrée pour trois mois, car cette population a des difficultés pour se rendre à l’hôpital. Les obliger à venir tous les mois conduit fréquemment à des ruptures de suivi. 

« Les personnes se trouvent souvent loin des structures de soin, sans voiture ni toujours un ticket de métro pour se déplacer. C’est parfois compliqué de les joindre au téléphone pour leur fixer des rendez-vous », observe ainsi le Dr Dorian Rollet, qui accueille au Checkpoint-Paris les HSH étrangers orientés par Afrique Avenir.

Nombre d’HSH ayant souffert de discrimination dans leur pays d’origine, ils ont souvent peur de la stigmatisation que pourrait induire un suivi lié à leur orientation sexuelle. Ils sont donc plus difficiles à atteindre et ont moins le réflexe de parler de sexualité que les HSH nés en France.

Enfin, il s’agit d’une population qui doit se démener chaque jour pour trouver une chambre d’hôtel, de quoi manger et gagner sa vie, et dont les priorités sont autres que la prévention. « Les femmes dont nous nous occupons sont en grande précarité économique, surtout après le confinement. Beaucoup d’entre elles ont même du mal à se nourrir », nous confie par exemple le Dr Anaenza Freire Maresca, infectiologue à Ambroise-Paré.

Pour ces raisons, les migrants restent encore peu concernés par l’outil de prévention qu’est la PrEP. Il est pourtant primordial de ne pas oublier ce public, d’autant que ces initiatives démontrent que des solutions existent à condition d’aller à leur rencontre.

Notes

[i] Selon l’Insee, 46,5 % des personnes immigrées sont nées en Afrique, dont 12,6 % en Algérie, 12 % au Maroc et 4,5 % en Tunisie.

[ii] A. Gosselin et al., for the PARCOURS Study Group, « When and why? Timing of post-migration HIV acquisition among sub-Saharan migrants in France »Sex Transm Infect 2020; 96:227–231.

[iii] N. Vignier et al., « La PrEP chez les “migrants” ou le chemin à parcourir », Afravih, 2018 ; Selon un récent article du Point, 52 % des travailleuses du sexe sont étrangères, dont 10,5 % originaires d’Afrique, 10,3 % d’Asie et 6,9 % d’Amérique et des Caraïbes.

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