vih Les outils dont nous disposons nous permettraient de contrôler l’épidémie

08.03.18
Neijma Lechevallier
8 min

La professeure Françoise Barré-Sinoussi, codécouvreuse du VIH et prix Nobel de médecine en 2008, a été nommée à la présidence de Sidaction le 14 novembre dernier. Pasteurienned’origine, l’ancienne directrice de recherche lnserm et présidente de l’International AIDS Society dresse un panorama des grandes avancées de la lutte contre le sida, des pistes de recherche les plus prometteuses et des défis de demain en santé.

Si les traitements permettent aux personnes séro­positives de vivre et de contrôler le VIH, celui-ci ne peut être délogé de l’organisme. En effet sous traitement, la quantité de virus dans le sang (charge virale) baisse au point de devenir indétectable, mais il reste latent dans des cellules appelées « cellules réservoirs ». Pour l’heure, en cas d’arrêt des traitements, le virus dormant se multiplie à nou­veau avec, en conséquence, un rebond de la charge virale.

Pour résoudre le problème des réservoirs, plusieurs stratégies sont actuellement étudiées. La première consiste à essayer de réactiver le virus dormant dans les réservoirs viraux par des drogues, en espérant purger ces réservoirs, et d’y associer une immunothérapie afin d’optimiser la réponse immunitaire et de tuer immédia­tement les réservoirs réactivés.

La seconde est la thérapie génique : il s’agit d’utiliser des nucléases comme CRISPR/Cas9 afin de reproduire le « patient de Berlin » en modifiant le récepteur majeur du virus (CCR5) et empêcher ainsi la dissémination du virus ou encore d’optimiser la réponse immunitaire grâce à l’ex­pression de récepteur chimérique d’antigène (CAR) par exemple. La thérapie génique permet aussi d’envisager l’excision du virus intégré dans les cellules réservoirs à l’aide de ces ciseaux moléculaires que sont ces nucléases. Une troisième stratégie, qui en est à ses balbutiements, consiste au contraire à essayer de bloquer définitivement le virus dans le génome des cellules réservoirs. Des molé­cules, notamment des inhibiteurs de la transcription, comme la didehydrocorstatin (dCA), un inhibiteur de l’acti­ vité de la protéine Tat du VIH, ou encore la curaxin 100, un agent empêchant la transcription du génome viral latent en l’emprisonnant dans la chromatine cellulaire, ont été étudiées. Les résultats in vitro sont encourageants, mais nous sommes encore loin de données chez l’humain.

Pourquoi ne guérit-on toujours pas du VIH?

Les défis dans la lutte contre le VIH sont tout d’abord politiques, sociaux et comportementaux. 

Quelles sont les avancées sur le plan de la recherche vaccinale?

Aujourd’hui, aucun candidat vaccin n’a fait ses preuves. L’essai Thaï, le plus encourageant de tous, n’a eu que 31,2 % d’efficacité. Mais cet essai nous a appris plu­sieurs choses : en particulier, que la protection était en partie liée à des anticorps un peu différents de ce que nous pensions et dirigés contre des régions de l’enveloppe virale autres que celles imaginées au départ. Certes, nous n’avons pas de vaccin contre le VIH, mais cette recherche vaccinale a eu l’immense mérite de nous apprendre com­bien nous étions finalement ignorants des mécanismes que les vaccins en général devaient induire dans le corps pour obtenir une protection efficace. Pendant des années, le dogme était que tout vaccin efficace produisait des anti­corps neutralisants et que la protection s’expliquait par ces anticorps. Eh bien, même si ces anticorps sont très probablement importants, nous nous trompions, tout du moins en partie, sur l’ensemble des mécanismes de pro­tection ! La communauté scientifique est donc obligée de réviser ses stratégies de recherche vaccinale, au-delà du VIH. Des équipes se réinterrogent, par exemple, sur les mécanismes responsables de l’efficacité de certains vac­cins, comme celui de la fièvre jaune. Si nous réussissons à comprendre les processus qui sous-tendent véritable­ment l’efficacité des vaccins, nous arriverons à en déve­lopper pas seulement contre le VIH, mais aussi contre la malaria, l’hépatite C et de nombreuses maladies contre lesquelles il n’existe pas de vaccin. Je suis beaucoup plus optimiste aujourd’hui qu’il y a dix ans sur le vaccin parce que nous sommes revenus aux questions fondamen­tales, qui nous apporteront la clé du développement des vaccins dans le futur.

Quelles sont les autres approches les plus promet­teuses de la recherche?

L’utilisation d’anticorps dirigés contre certaines par­ties de l’enveloppe du VIH est justement une piste thé­rapeutique prometteuse. Plusieurs études, y compris des études menées chez l’humain, montrent des résultats très encourageants afin de contrôler le virus à l’aide d’an­ticorps extrêmement efficaces. Une publication récente a montré chez le singe qu’une immunisation passive à l’aide d’un anticorps, conçu par des chercheurs américains et sud-africains, protégeait efficacement contre l’infection chez les animaux préalablement immunisés.

D’autres stratégies d’immunothérapie, utilisées contre le cancer notamment avec des anticorps anti-PDl ou anti­ CTLA4, font l’objet d’études en France et aux États-Unis chez des patients infectés par le VIH sous traitement anti­rétroviral qui ont développé des cancers et ne répondent pas bien à la chimiothérapie anticancéreuse classique. Les chercheurs veulent savoir si ces traitements diminueront, comme ils le pensent, la quantité de cellules réservoirs du VIH qui, comme les cellules tumorales, expriment ces régulateurs négatifs de la réponse immunitaire que sont les molécules PDl et CTLA4. En décembre dernier, une publi­cation a fait état d’un premier résultat intéressant chez un patient français séropositif atteint d’un cancer du poumon et traité par un anti-PDl. Une forte diminution de la taille des réservoirs viraux a été observée, ainsi qu’une augmentation de sa réponse CDS anti-VIH; mais ces résultats doivent bien évidemment être confirmés chez d’autres patients.

Quels sont les blocages sociaux et politiques qui demeurent et avec quelles conséquences?

Les personnes vivant avec le VIH témoignent se sen­ tir fortement discriminées et stigmatisées par rapport à la population générale. Elles en souffrent toujours aujourd’hui, à des niveaux différents selon les pays. C’est l’une des rai­ sons pour lesquelles elles attendent énormément de la recherche sur les traitements du futur, qui pourraient leur permettre de stopper la prise quotidienne et à vie de médi­ caments pour essayer de se sentir moins discriminées par leur entourage. Ce rejet s’ajoute à des manques de volonté politique, à des systèmes de soins parfois désor­ ganisés, au manque de ressources humaines en santé qui tous se conjuguent pour faire que les outils que nous avons aujourd’hui entre les mains ne nous permettent pas de contrôler l’épidémie à l’échelle mondiale. Ces outils thé­ rapeutiques et préventifs, s’ils étaient tous correctement utilisés et à large échelle au niveau mondial, nous permettraient de le faire. Certains pays, comme le Cambodge, dont je reviens, s’approchent de l’objectif des « 3 x 90 » de l’Onu­ sida. D’autres, comme en Europe de l’Est et en Asie centrale se situent à l’opposé. Tant que nous n’aurons pas dépassé l’ensemble de ces problèmes au niveau mondial, nous n’y arriverons pas. Mais les choses avancent, les leçons du VIH commencent à être tirées, comme nous avons pu le voir lors des épidémies Ebola et Zika. L’importance de la prise en charge communautaire pour une réponse efficace, apprise avec le VIH, se diffuse à d’autrespandémies

Quels sont les prochains défis à relever pour continuer à avancer?

Les défis dans la lutte contre le VIH sont tout d’abord politiques, sociaux et comportementaux. Pour faire reculer les discriminations, l’éducation sera particulièrement importante. Les jeunes n’ont pas une vision correcte de ce qu’est la vie avec le VIH sous traitement. Les pairs de leur âge infectés sont les mieux à même de parler de leur vécu quotidien à ces jeunes.

Les défis sont évidemment aussi scientifiques avec la recherche d’un vaccin préventif et des traitements du futur. Les patients attendent les avancées thérapeutiques qui leur permettront de cesser de prendre des antirétro­viraux et de contrôler durablement leur infection sans transmettre le virus aux autres. Ces nouveaux traite­ments seront probablement aussi la réponse aux cancers, aux maladies cardio-vasculaires, aux désordres neurolo­giques et aux anomalies métaboliques que développent une petite proportion de personnes séropositives encore jeunes sous traitement antirétroviral à long terme. Enfin nous devrons rester vigilants face à l’augmentation du nombre de personnes nouvellement infectées qui sont porteuses de souches résistantes du VIH. Au Vietnam, par exemple, ce taux est passé de 5 % à 15 % en cinq ans, et cette hausse est observée dans de nombreux pays.

Pour relever ces défis, nous devrons renforcer les collaborations entre le VIH et d’autres pathologies comme le cancer, les maladies auto-immunes ou Alzheimer pour une approche globale encore plus efficace de santé publique.

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