vih Les plaquettes, une voie alternative de dissémination du VIH

30.03.20
Nora Yahia
5 min
Visuel Les plaquettes, une voie alternative de dissémination du VIH

Les travaux menés par le Dr Fernando Real et ses collègues de l’équipe du Dr Morgane Bomsel à l’institut Cochin et les cliniciens de l’hôpital Ambroise Paré, révèlent que les plaquettes sanguines de personnes vivant avec le VIH sous traitement efficace hébergent du virus capable de se répliquer. L’équipe et le jeune chercheur, tous deux soutenus par Sidaction, viennent de publier leurs résultats dans la revue scientifique Science Translational Medecine.

Les plaquettes sont de petits composants cellulaires sans noyau qui circulent dans le sang. Elles ont un rôle essentiel dans la coagulation. Des études scientifiques ont montré que ces plaquettes participent aussi à la réponse immunitaire [i] et peuvent interagir avec les pathogènes in vitro notamment des virus [ii]. L’équipe du Dr Morgane Bomsel (Institut Cochin, Paris), en collaboration avec celles des Prs. Rouveix et Cramer-Bordé (Hôpital Ambroise Paré, Boulogne), s’est intéressée à ces plaquettes dans le contexte de l’infection VIH. Pour leur étude [iii], l’équipe a analysé les plaquettes de 80 personnes vivant avec le VIH (PvVIH) sous traitement antirétroviral (ARV), présentant ou pas une charge virale indétectable.

Les plaquettes : un abri pour le virus VIH

Les chercheurs ont obtenu des résultats [iv] très prometteurs : ils ont pu détecter in vivo des particules virales dans les plaquettes des participants de l’étude, notamment ceux ayant une charge virale indetectable depuis plus d’un an. Ces particules virales sont retrouvées à l’intérieur de la plaquette au sein de vacuoles, les rendant inaccessibles aux cellules immunes ou au traitement. De plus, ces particules virales sont infectieuses avec des capacités réplicatives, c’est-à-dire qu’elles peuvent produire à nouveau des virus en infectant d’autres cellules. En effet, les plaquettes n’ayant pas de noyau elles ne peuvent produire elles-mêmes du virus.

Les chercheurs ont voulu comprendre comment ces plaquettes pouvaient héberger du virus réplicatif, malgré que les personnes aient une charge virale indétectable dans le sang. Ils se sont alors intéressés aux mégacaryocytes de la moelle osseuse, qui sont les cellules à partir desquelles les plaquettes sont fabriquées (processus de thrombopoïèse). L’analyse de mégacaryocytes isolés de la moelle de onze PvVIH sous ARV avec charge virale indétectable a révélé que chez neuf de ces personnes, les mégacaryocytes étaient infectés par le VIH (présence d’ADN viral intégré). De plus, chez quatre de ces neuf personnes, pour qui les analyses ont été réalisées, de l’ARN ainsi que des protéines virales ont été détectés dans les plaquettes. Ces données suggèrent donc que le virus est séquestré dans les plaquettes lors du processus de thrombopoïèse.

En condition physiologique les plaquettes en fin de vie sont phagocytées par les macrophages tissulaires. Dans le cas présent, le virus hébergé dans les plaquettes peut-il alors infecter les macrophages ? Les expérimentations menées in vitro vont dans ce sens puisque les virus contenus dans les plaquettes sont retrouvés à l’intérieur des macrophages après phagocytose des plaquettes. De plus, cette infection est dite ‘productive’ car de l’ADN viral est retrouvé dans le génome de ces macrophages et va par la suite permettre de produire de nouveaux virus. Cette infection est bloquée par l’Abciximab, un anti plaquettaire utilisé en clinique. 

Autre résultat de l’étude important d’un point de vue clinique, la présence de virus dans les plaquettes est associée à ce que l’on appelle « l’échec immunologique » ou « mauvaise restauration immunitaire », c’est-à-dire au fait que les patients sous ARV ne puissent pas retrouver un taux normal de lymphocytes T CD4 malgré un traitement efficace sur une longue période. Dans la cohorte étudiée, 80% des personnes sous ARV ayant des plaquettes avec virus sont en échec immunologique contre seulement 15% pour les PvVIH dont les plaquettes ne contiennent pas de virus. Le risque de ne pas pouvoir récupérer un nombre de cellules T CD4 supérieur à 350 cellules/ul de sang est vingt fois plus élevé chez ces personnes que chez celles dont les plaquettes ne contiennent pas de virus.

Pour conclure, ce travail montre que les plaquettes servent d’abri transitoire au VIH chez les individus sous ARV avec une charge virale indétectable et une mauvaise récupération des lymphocytes T CD4. Ce virus infectieux séquestré au sein de vacuole est protégé contre les attaques des ARV et du système immunitaire. Ces plaquettes porteuses du VIH peuvent constituter une voie alternative pour la dissémination du VIH. Elles contribuent également à la mauvaise restauration immunitaire de ces individus. Cet échec immunologique qui affecte environ 20 à 30% de patients sous traitement efficace pose problème car aucun traitement n’est accessible à ce jour pour y remédier, les mécanismes en action n’étant pas totalement compris. L’identification des plaquettes porteuses de virus comme facteur impliqué dans l’échec immunologique ouvrent des pistes de recherche. C’est notamment le cas avec l’anti-plaquettaire utilisé dans l’étude qui, repositionné dans ce cadre, pourrait aider à la restauration immunitaire de ces patients.

Cette étude apporte des données importantes concernant l’implication des plaquettes dans la physiopathologie de l’infection VIH. De nouvelles études vont être menées pour venir approfondir les résultats obtenus et comprendre l’ensemble des mécanismes cellulaires et moléculaires mis en jeu. 

Un rôle dans la mauvaise restauration immunitaire

Notes

[i] https://www.nature.com/articles/nri2956

[ii] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/2337668

[iii] Cette étude a été financée par Sidaction et l’ANRS

[iv] https://stm.sciencemag.org/content/12/535/eaat6263.short

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