Fabriqués par notre système immunitaire, les anticorps sont des boucliers contre les infections. Pourtant, certains virus réussissent à passer au travers, obligeant nos cellules à redoubler d’efforts afin de fournir des anticorps plus performants. C’est le cas du VIH : pour avoir un espoir de le neutraliser, mieux vaut produire des superanticorps.
Première complexité, et pas des moindres, le VIH s’attaque directement aux cellules du système immunitaire : les lymphocytes T CD4. Bien que ces lymphocytes ne soient pas la source directe d’anticorps, ils participent à leur production. Résultat : la production d’anticorps (contre le VIH, mais aussi plus généralement) est affectée. S’ajoute à cela la diversité génétique du VIH. Un virus aux multiples visages que les anticorps ont du mal à reconnaître sur la durée, donc à maîtriser. Avec des anticorps moins performants et perdus face à cette diversité, la bataille ne semble pas gagnée. Pourtant, certains anticorps semblent relever le défi. Appelés« bNAbs » (« broadly neutralizing antibodies » pour, littéralement,« anticorps neutralisants à large spectre»), ces anticorps sont des armes prometteuses contre le VIH.
Qui sont-ils?
Tout d’abord, il faut comprendre que la production d’anticorps anti-VIH est un processus long et non universel. Deux à quatre ans après l’infection, environ 20 % de patients seulement produisent des anticorps capables de reconnaître et de neutraliser des souches hétérologues du VIH (qui ne sont pas à l’origine de l’infection). Les bNAbs, produits par moins de 1 % des patients, ont un potentiel encore plus incroyable : cibler un très large spectre de souches du VIH. Leur secret ? Ils reconnaissent des régions vulnérables du virus. « Le site qui permet au virus de se fixer à la molécule CD4 sur les lymphocytes est par exemple très conservé, car indispensable à sa fonction», explique le Pr Francis Barin, de l’université François-Rabelais (Tours). D’autres sites vulnérables ont été identifiés et ont souvent la particularité d’être bien cachés pour en limiter l’accès. Là encore, les bNAbs ont contourné la difficulté : leur structure (une partie variable de leur chaîne lourde inhabituellement longue) leur permet d’accéder facilement à ces sites du VIH.
Il faut développer un vaccin composé des bons morceaux de virus pour mimer le processus immunitaire qui permet de produire les anticorps neutralisants à large spectre.
Vers de nouvelles stratégies
Les recherches menées sur la caractérisation des bNAbs ont permis de produire synthétiquement ces anticorps et de les administrer aux patients afin de contrôler la charge virale et de limiter la progression de la maladie. Il est cependant souvent nécessaire de combiner plusieurs bNAbs afin de couvrir le plus large spectre de virus possible. De récents travaux ont d’ailleurs démontré l’efficacité d’un anticorps trispécifique chez le macaque.
Enfin, les bNAbs ouvrent sur des stratégies prophylactiques contre le VIH. Selon Francis Barin, « le processus immunitaire qui permet de produire les bNAbs est très complexe. D’après nos connaissances, tout commence par la stimulation de la bonne cellule productrice d’anticorps, qui sera éduquée par un virus se diversifiant progressivement. Il faut donc développer un vaccin composé des bons morceaux de virus pour pouvoir mimer ce processus». Des travaux ont ainsi récemment réussi à prédire l’antigène à l’origine de l’activation du précurseur du bNAb VRCOl (un nom est généralement attribué à chaque bNAb identifié) et de l’utiliser pour immuniser des souris contre le VIH.