vih Les résultats de l’Enquête EGaLe-MG posent « le problème de la formation des médecins généralistes » aux spécificités des homosexuel.le.s

06.03.17
Propos recueillis par Sandrine Fournier
9 min

Dans le but d’évaluer les obstacles aux soins des gays et proposer des pistes de solutions, Thibaut Jedrzejewski a mené, dans le cadre de sa thèse de médecine générale soutenue en 2016, l’« Enquête Gays et Lesbiennes – Médecine Générale ». Interview.

Retrouvez Thibaut Jedrzejewski au colloque « La santé des LGBT » le vendredi 10 mars, à 15H.

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L’enquête permet de partir d’un premier constat : chez les personnes ressentant un désir pour des personnes de leur sexe et qui ont un suivi par un médecin généraliste unique, encore 40,5% des hommes et 48,7% des femmes n’ont jamais parlé de leur orientation sexuelle avec lui. Ces chiffres sont un peu moins important (respectivement 36,8% et 44,1%) lorsque les répondants consultent plusieurs médecins généralistes mais globalement, les médecins généralistes sont insuffisamment conscients des rapports homosexuels de leurs patient.e.s. Nous avons essayé de comprendre pourquoi.

Dire à son médecin généraliste que l’on est homosexuel n’est pas aisé, les personnes peuvent être confrontées à des réactions négatives, voire délétères pour leur prise en charge. Plus globalement, parler de sexualité lorsqu’on est homosexuel reste compliqué : les répondants de notre enquête sont 57,5% pour les femmes et 44,1% pour les hommes à avoir peur d’être discriminés ou jugés s’ils parlent de leur sexualité à un médecin généraliste. Par ailleurs, l’orientation sexuelle n’est pas toujours considérée comme une information à partager avec son médecin, cela reste, pour environ un quart des répondant.e.s, inutile ou peu important.

Notre enquête fait apparaitre clairement que les personnes qui consultent un médecin spécifiquement pour leurs problèmes sexuels ou un médecin identifié comme gay, lesbienne ou « friendly » ont parlé de leurs relations gays ou lesbiennes dans la quasi-totalité des cas. Nous avons donc de très bonnes raisons de penser que le fait de se sentir préalablement rassuré par la bienveillance d’un médecin sur ce sujet facilite le coming-out.

Aussi, nous avons remarqué dans nos résultats que lorsque le médecin généraliste avait posé la question à son ou sa patiente, très peu d’entre eux avaient menti en retour : la quasi-totalité des personnes qui ont un médecin généraliste qui leur a posé la question de l’orientation sexuelle ont un médecin conscient du sexe de leurs partenaires.

Selon les résultats de ton enquête, est-il aisé de dire à son médecin généraliste que l’on est homosexuel ?

Les médecins généralistes sont insuffisamment conscients des rapports homosexuels de leurs patient.e.s. Nous avons essayé de comprendre pourquoi.

Enfin, pour que tout le monde soit à l’aise, il faut savoir pourquoi on parle d’orientation sexuelle. Pour le médecin comme pour le patient, il est important de connaître les raisons de cette question dans une consultation liée à une demande ou une plainte qui n’est pas forcément en rapport.

Tout homosexuel n’a pas la même facilité à dire son homosexualité. Dans le contexte médical, il reste probablement plus aisé de la dire lorsque le médecin généraliste pose la question, que les appréhensions concernant la discrimination, le risque de stigmatisation ou encore le respect du secret médical ont été levées ou que le médecin a été préalablement identifié comme un médecin capable de l’entendre.

Le questionnaire a été construit à partir d’un travail bibliographique et d’une pré-enquête qualitative. Des études assez similaires ont été réalisées dans les pays anglo-saxons mais souvent, elles se limitaient aux questions de discrimination, de stigmatisation et du manque de connaissances des spécificités de santé. J’ai voulu, en ancrant mon enquête quantitative dans un travail socio-historique, réfléchir sur les questions plus globale de « différence » et de « norme » en médecine au travers du prisme de l’homosexualité. Plus loin, cela posait la question de la réconciliation de la « médecine universelle » et de la « médecine communautaire ». Pour moi, il était essentiel de s’atteler à ces questions avant d’interroger les gays et les lesbiennes sur leurs parcours de soins, leurs expériences en médecine générale (prise en charge, prévention, relation médecin-patient…) et leurs connaissances des spécificités de santé. Mon objectif était de mettre en évidence les difficultés rencontrées par les gays et lesbiennes en médecine générale mais aussi d’avoir les clés pour y apporter des solutions réalistes.

Au delà du travail théorique, j’ai rencontré plusieurs acteurs de terrain pour guider ma réflexion et préciser le sujet. J’ai aussi interrogé 8 gays et lesbiennes sur leurs expériences avec la médecine générale pour avoir un aperçu des difficultés spécifiquement françaises et rendre mon questionnaire plus pertinent.

Au final, j’ai construit les questionnaires – un pour les femmes, un pour les hommes – en focalisant sur plusieurs thèmes. D’abord il me fallait caractériser la population que j’interrogeais : il est essentiel de le rappeler pour ne pas voir les résultats extrapolés sans nuances à tous les gays et lesbiennes. Ensuite, j’ai cherché à évaluer quelques expériences et connaissances de la santé gay et lesbienne (notamment en matière de prévention). Enfin, j’ai exploré la relation médecin-patient en prenant en compte les différents parcours de soin (un seul médecin traitant, consultation de plusieurs médecins généralistes, un médecin généraliste spécifique pour les problèmes d’ordre sexuel…).

Tu as réalisé une enquête par questionnaire auprès d’hommes et de femmes homosexuel.le.s, comment as-tu construit ce questionnaire ?

L’orientation sexuelle est une information utile si le médecin sait ce qu’il peut faire avec.

L’orientation sexuelle est une information utile si le médecin sait ce qu’il peut faire avec. C’est tout le paradoxe de la prise en charge actuelle des gays et des lesbiennes. À la fois nous savons qu’il est important de parler de son orientation sexuelle avec un médecin pour pouvoir prendre en considération les spécificités de santé, les risques plus particuliers à ces deux populations mais nous savons aussi que cette information peut être délétère, c’est le cas par exemple pour les lesbiennes qui n’ont pas de relations avec des hommes et à qui l’on ne conseille pas de se faire dépister pour le cancer du col de l’utérus. L’orientation sexuelle permet aussi de diriger le diagnostic : des gays se sont vus par exemple diagnostiqué une rectocolite hémorragique alors qu’ils étaient simplement infectés au niveau rectal par une bactérie sexuellement transmissible. Par ailleurs l’orientation sexuelle n’est pas toujours bien claire, notamment chez les jeunes qui la découvrent seulement. Le médecin est alors dans une situation différente où les spécificités de santé arrivent avant même la question de l’orientation sexuelle : un.e adolescent.e qui est embêté à l’école ou qui se sent mal du fait de sa sexualité (parfois future !) peut vite se retrouver isolé. La relation de soin est ici primordiale. Au final, pour que l’information soit utilisée ou même simplement exprimée, il faut que les médecins aient un minimum de connaissances sur la santé gay et la santé lesbienne. Il faut aussi qu’ils sachent faire avec cette différence qui va s’imposer au patient : qu’est-ce que cela implique d’être gay ou lesbienne d’un point de vue médical ? Cela pose le problème de la formation des médecins généralistes : il reste difficile de demander à tous les médecins de se former aux spécificités de santé d’une population minoritaire.

L’orientation sexuelle d’un.e patient.e est-elle une information utile pour le médecin généraliste ?

En conclusion de notre étude nous proposons deux formations parallèles. Une pour tous les médecins généralistes qui pourrait les initier à la fois aux discriminations et stigmatisations rencontrées par les homosexuels et aux différences qu’impliquent le fait d’être gay ou lesbienne pour le soin ou pour la relation médecin-patient. Une autre pour des médecins généralistes désireux d’approfondir leurs compétences dans ce domaine, avec une sorte de « spécialisation » socio-médicale rentrant dans le détail des spécificités de santé et des connaissances en sociologie en lien avec le soin. Nous pourrions avec ces formations améliorer à la fois la prise de conscience de la situation par les médecins généralistes et le parcours de soin des personnes homosexuelles. Il est nécessaire de renforcer la création et le soutien de centres dédiés à la santé gay et/ou lesbienne. Plusieurs exemples de centres de santé sexuelle ou de CeGIDD montrent le besoin d’espaces bienveillants et ayant du personnel formé pour ces populations. Mais ils restent insuffisants car ils ne permettent que trop peu souvent de réaliser un suivi de long terme comme on peut le faire en médecine générale. Plusieurs questions m’ont déjà été adressées par des médecins autour de ces propositions. Comment se débarrasse-t-on du sentiment de stigmatisation qui risque de naître chez un patient à qui l’on va parler de VIH parce qu’il est gay ? Comment propose-t-on à des patient.e.s gays ou lesbiennes de voir un médecin « spécialisé » en santé gay et lesbienne ? Il me semble qu’à partir du moment où les choses sont expliquées, elles ne posent pas nécessairement problème. Il me parait aussi clairement que tout le travail sociologique et éthique qu’il reste à faire sur les implications de la « différence » en médecine, c’est à dire questionner le soin intriqué à un potentiel jugement, une potentielle dépréciation, pourra nous aider à mieux soigner.

Pour finir, une autre idée, portée par Michel Ohayon, mon directeur de thèse, est celle de la création d’une sorte de « société savante » qui permettrait à la fois la mise en commun des connaissances et des projets de recherche mais aussi d’émettre des avis sur la base d’une expertise solide. Nous ne savons pas encore si ce type de projet pourrait voir le jour mais nous y travaillons…

Dans le cadre de ta thèse, tu proposes des solutions qui te semblent pouvoir répondre aux difficultés rencontrées par les homosexuels dans leur relation à la médecine générale. Quelles sont-elles ?

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