De quelle manière s’est construite et évolue l’épidémie en Asie centrale ?
L’épidémie est arrivée par les usagers de drogues par injection pendant la guerre d’Afghanistan, entre les années 1990 et 2005, plus tard que dans le reste du monde. Elle est arrivée par surprise dans la région, qui n’était socialement, socio-économiquement et médicalement pas prête à l’affronter. Elle s’est propagée chez les partenaires sexuels des usagers de drogues par injection, puis chez des personnes marginalisées, notamment les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes et les travailleuses du sexe, qui ne recourent pas aux soins. Même si les chiffres absolus sont bas, l’Europe de l’Est et l’Asie centrale sont les seules régions du monde où l’épidémie continue de croître. Je reste prudent, car si on mesure le nombre de nouvelles infections révélées, en Asie centrale, il se passe souvent cinq, huit, voire dix ans avant que les personnes infectées ne soient identifiées.
Quelles sont les principales difficultés pour l’Asie centrale ?
Les gouvernements ne savent pas comment mettre en œuvre une politique publique qui se heurte à la stigmatisation. Par exemple, au Kirghizistan, il existe très peu de statistiques sur les usagers de drogues. Ce n’est ni par manque de plaidoyer ni par manque de compétences. Mais il n’y a pas de volonté politique ; les obstacles religieux et socioculturels sont trop nombreux. Au Kirghizistan, environ 40 % de toutes les personnes qu’on estime infectées ont accès au traitement antirétroviral, un chiffre trop faible pour avoir un effet préventif.
Le Kazakhstan fait beaucoup d’efforts afin d’accélérer l’accès au traitement, mais la situation reste d’une grande fragilité. Il s’en est fallu de peu que la méthadone, comme solution de remplacement pour les usagers de drogues par voie intraveineuse, ne soit arrêtée. Le désaccord est grand entre les progressistes et les conservateurs. La transition avec le nouveau président sera peut-être un bon atout.
Les bailleurs internationaux se retirent-ils au fur et à mesure de la région ?
Le Kazakhstan est plus riche ; les aides internationales se sont quasiment entièrement retirées. Ils ont accepté de passer par un achat groupé avec les Nations unies plutôt que d’acheter en direct les traitements. Ils ont donc deux fois plus de médicaments pour le même prix. Le pays a avancé très vite ces dernières années, on espère que cela paiera sur le plan épidémiologique.
Au Kirghizistan, il y a un retrait progressif des bailleurs internationaux ; le pays commence à acheter lui-même le traitement. S’ils passaient aussi par les Nations unies, ils pourraient avoir plus de médicaments, et la lutte contre l’épidémie avancerait plus vite. Mais la loi qui aurait permis cela a été rejetée, elle arrivera en plénière dans les prochains mois. Je pense qu’il y a des intérêts privés et aussi une défiance vis-à-vis des organismes internationaux et occidentaux.