Les violences sexuelles subies par les femmes multiplient par trois leurs risques de contracter le VIH. Pire, la découverte de leur séropositivité les expose à de nouvelles violences comme l’a montré le dernier colloque du Corevih(1) en actions le 8 décembre dernier. Transversal y était.
Le chiffre a de quoi inquiéter. Il est pourtant implacable : une femme sur cinq a été ou sera victime de viol au cours de sa vie selon les estimations de l’OMS. Un chiffre particulièrement inquiétant : en effet, les femmes hétérosexuelles ont deux fois plus de risque, sur le plan physiologique, que les hommes hétérosexuels de contracter le VIH. Un risque qui augmente notablement dans le cadre d’un viol sans préservatif ou d’une excision, ces derniers pouvant occasionner des plaies qui sont plus contaminantes que les sécrétions sexuelles.
Comme le soulignent les intervenants du colloque organisé par les Corevih* en actions, le risque est encore plus net chez les migrantes qui représentent les deux tiers des contaminations par le VIH des femmes en France. Selon l’enquête ANRS PARCOURS parue fin 2017, les violences sexuelles subies dans notre pays par ces femmes multiplient par quatre leur risque d’infection par le VIH.
Cette surreprésentation de la violence dans cette communauté s’explique par différents facteurs : la forte prévalence du virus en Afrique subsaharienne d’où beaucoup sont originaires, les risques accrus de violence durant leur parcours de migration mais aussi la grande précarité de leur condition de vie à leur arrivée en France. Souvent sans-papiers, elles ont beaucoup de mal à se loger et dépendent d’hommes qui exigent en contrepartie d’un hébergement des faveurs sexuelles pour lesquels elles ne peuvent pas toujours négocier l’usage d’un préservatif.
Les travailleuses du sexes particulièrement touchées
En France, les travailleuses du sexe, à 93 % étrangères, sont aussi plus exposées que les autres femmes à des violences physiques. Selon le Ministère des familles, de l’enfance et des droits des femmes (2010-2012) [i] plus de la moitié (51 %) ont subi des violences physiques au cours des douze derniers mois et 38 % ont subi un viol au cours de leur vie (contre 6,8 % pour les femmes en population générale).
« La pénalisation des clients sensée les protéger et la Covid a considérablement précarisé leur situation et pour continuer à exercer elles sont souvent obligées d’accepter des relations sexuelles sans préservatif qui les exposent de facto plus à la contamination », note Giovanna Rincon, directrice de l’Association Acceptess-T avant d’ajouter que c’est encore plus vrai pour les femmes trans d’origine étrangère travailleuses du sexe qui souffrent d’un stigmate supplémentaire.
Si nous ne disposons pas de chiffres récents pour ces dernières, une méta-analyse publiée en 2013 précisait que la prévalence du VIH des femmes trans dans les pays à revenu élevé était de 21,6 % [ii]. Celle-ci montait même à 44 % parmi celles qui se prostituaient selon l’étude INVS ProSanté de 2013.
Craignant la police du fait de leur situation irrégulière et des préjugés dont elles font l’objet, ces femmes n’ont pas le réflexe de porter plainte ni de se faire dépister, se privant ainsi souvent de la possibilité d’accéder au TPE (traitement post-exposition) pourtant indiqué en cas de viol.
Moins préoccupées par leur santé en raison de problèmes plus urgents à résoudre, « les femmes migrantes se dépistent également moins d’autant qu’elles ont très peur si elles découvrent leur séropositivité d’être battues, rejetées et/ou victimes de chantage », note Carine Favier,co-présidente du planning familial d’Occitanie.
Le VIH accroit les violences subies par les femmes
Autre constat du colloque, la violence des réactions à l’annonce d’une séropositivité. Quand il est mis au courant, il n’est pas rare que le partenaire d’une femme migrante ait tendance à réagir de manière violente « Certaines ont été presque séquestrées par leur compagnon qui les accusait d’avoir ‘ introduit le VIH à la maison’ alors même que c’est souvent lui qui les avait contaminées. Elles peuvent aussi craindre d’être quittées et/ou dénoncées à leur communauté, comme cela est arrivé à une femme que j’ai rencontrée. Son compagnon a mis au courant tout le village de sa récente contamination », nous confie Carine Favier.
Une étude aux États-Unis révélait ainsi que 21 % des femmes avaient subi des violences physiques de le la part de leur partenaire ou d’un proche après leur diagnostic. Parmi ces personnes, 45 % avaient l’impression que ces violences étaient en lien avec leur séropositivité [iii].
Aussi, pour ne pas être exposées à ces risques, beaucoup de femmes se taisent. Elles trouvent des stratagèmes pour prendre discrètement leur traitement, ce qui les expose à des défauts d’observance préjudiciables à leur santé. Une méta-analyse a ainsi montré que les femmes subissant des violences de leur partenaire étaient 21 % moins susceptibles de suivre un traitement et que leur observance thérapeutique était inférieure de 52 % [iv].
Par ailleurs, alors que leur séropositivité pouvait jusqu’à récemment les protéger contre une expulsion du territoire français, c’est de moins en moins le cas. Comme l’indique Carine Favier lors du colloque : « ce sont désormais des médecins de l’OFFI (Office français de l’immigration et de l’intégration) sous la direction du Ministère de l’intérieur qui donnent leur avis et non des médecins de l’ARS (Agence régionale de santé), qui étaient plus bienveillants. »
Quelles solutions ?
Evoquée lors du colloque, la première solution passe à l’évidence par une meilleure sensibilisation des acteurs qui reçoivent les femmes survivantes de violence, pour ne plus passer à côté d’opportunités de prise en charge. Même si des progrès ont été faits, on observe toujours un manque de formation de la part de la police et de la gendarmerie lors des dépôts de plainte pour viol.
« Il faudrait aussi sensibiliser les médecins en maladie infectieuse à investiguer la question de la violence lors de leur consultation VIH », note Carine Favier qui déplore que « cela ne soit actuellement pas le cas ». Conscients de l’importance de cette détection qui constitue un préalable à toute prise en charge, le planning familial, le CeGIDD (Centre gratuit d’information, de diagnostic et de dépistage) de Montreuil et HP prévention posent systématiquement cette question aux femmes qui viennent les consulter. « Et cela marche, note Pauline Penot, médecin responsable du CeGIDD de Montreuil, car si les femmes n’en parlent pas spontanément, elles le font quand on elles y sont invitées. »
« Les groupes de parole sont également efficaces car ils leur permettent de recevoir un soutien de leurs pairs », note Caroline Rebhi, autre intervenante du colloque, qui ajoute qu’« elles ont avant tout besoin d’être crues. Il faut leur offrir un accompagnement psychologique et les aider à se réapproprier leur corps et à retrouver une vie sexuelle plus apaisée. Nous pouvons aussi les diriger vers des centres régionaux de psychotraumatisme, mais les listes d’attentes sont longues ».
« La PrEP (Prophylaxie pré-exposition) est enfin une option à court terme, mais celle-ci doit être impérativement accompagnée d’un suivi pour les sortir des violences », conclut Carine Favier.
* Comités de coordination régionale de lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine
[i] Chiffres cités lors de la présentation de Stéphanie Estève Terré, psychologue sociale lors du colloque Corevih en actions 2021.
[iii] Zierler S, Cunningham WE, Andersen R et al. Violence victimization after HIV infection in a US probability sample of adult patients in primary care. American Journal of Public Health. 2000 Feb;90(2):208-15, cité par Catie.
[iv] Hatcher AM, Smout EM, Turan JM et al. Intimate partner violence and engagement in HIV care and treatment among women: a systematic review and meta-analysis. AIDS. 2015 Oct 23;29(16):2183-94, cité par Catie.