vih Les anticorps neutralisants à large spectre : la véritable solution contre le VIH ?

29.08.18
Nora Yahia
6 min

Depuis leur découverte dans les années 1990, les anticorps neutralisants à large spectre sont étudiés sous toutes leurs coutures par les équipes de recherche. Leur caractérisation a permis de mettre en lumière leurs potentielles applications, en exploitant les deux mécanismes principaux par lesquels ils contrent le virus : ils peuvent en effet neutraliser directement les virus, et aider les cellules du système immunitaire à éliminer les cellules infectées. Des mécanismes qui font de ces bNAbs des outils particulièrement intéressants, pouvant être utilisé aussi bien en thérapie qu’en prévention. 

L’utilisation des bNAbs en thérapie et prévention

Les avancées technologiques permettent aujourd’hui de produire ces anticorps ex vivo. De nombreux essais sont menés pour tester leur efficacité thérapeutique chez les personnes infectées, en complément ou en remplacement de leur traitement ART. Le Dr Michel Nussenzwieg (Université Rockefeller, USA) a présenté les résultats d’un essai2 de phase Ib évaluant l’innocuité, la pharmacocinétique et les effets antirétroviraux d’une thérapie associant deux bNAbs en remplacement du traitement ART. Les participants à cette étude ont reçu trois injections, par voie intraveineuse, d’un cocktail associant les anticorps neutralisants à large spectre 3BNC117 et 10-1074. Cette stratégie, qui combine deux anticorps, voit ainsi son rayon d’action élargi à de nombreuses souches virales différentes. L’administration de cette bithérapie d’anticorps a permis de maintenir un contrôle de la charge virale de plus de 40 semaines chez deux participants. Les rebonds observés chez les autres participants peuvent s’expliquer par plusieurs raisons: une résistance des virus à l’un des anticorps ou un faible contrôle de la charge virale sous ART pour les rebonds précoces, et une réduction importante de la concentration en anticorps pour les rebonds tardifs.

Les bNAbs peuvent également être utilisés en prévention de l’infection. Récemment, deux essais de vaccin préventif d’un nouveau genre ont été lancés par deux organismes américains reconnus, le HIV Vaccine Trial Network (HVTN) et le HIV Prevention Trial Network (HPTN). Les participants à ces essais recevront des perfusions d’anticorps anti-VIH. Il n’est plus question ici d’aider le corps à produire ses armes pour lutter contre le virus, mais de les lui fournir directement. L’anticorps utilisé dans ces essais n’a pas été choisi au hasard. Il s’agit du VRCO1, un anticorps neutralisant à large spectre capable de neutraliser environ 90 % des souches virales testées en laboratoire. Le 1er essai, HVTN 704/HPTN085, recrutera 2.700 hommes et transgenres séronégatifs ayant des relations sexuelles avec des hommes, dans quatre pays : le Pérou, le Brésil, les États-Unis et la Suisse. Le second essai, HVTN703/HPTN081, recrutera 1.500 femmes séronégatives et sexuellement actives, dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. Ces essais de phase 2b3, nommés également « AMP studies », vont évaluer la sécurité d’emploi et l’efficacité de l’anticorps VRC01 pour réduire les risques d’infection au VIH chez les populations à risque.

bNAbs et vaccins…

Être en mesure de produire ces anticorps neutralisants à large spectre grâce à un vaccin représenterait une grande avancée. Malheureusement, hormis les travaux prometteurs récemment menés par les équipes de recherche du NIAID4, les différentes tentatives réalisées jusqu’ici se sont heurtées à des échecs. De nombreuses étapes doivent être franchies avant de pouvoir développer un vaccin capable de produire des bNAbs. Il faut notamment déchiffrer les mécanismes à l’origine de la production de ces anticorps, et trouver les bons immunogènes qui permettront de les induire avec un vaccin. Ce qu’il faut savoir, c’est que les bNAbs n’apparaissent pas instantanément en réponse à un antigène, mais sont le fruit d’un processus très complexe nécessitant plusieurs années. Lors de l’infection, une véritable « course-poursuite évolutive » s’engage entre le virus et le système immunitaire, chacun évoluant pour pouvoir contrer l’autre. C’est ainsi que les bNAbs sont produits. Les chercheurs continuent d’étudier ces anticorps pour comprendre quels facteurs sont impliqués dans leur production. Les travaux du Dr Alexandra Trkola (Université de Zurich, Suisse), présentés au cours de cette session, ont apporté des éléments de réponse. Elle a cherché, dans une bio-banque de plasmas d’individus infectés, ceux qui contenaient des bNAbs. Parmi les 4.484 plasmas testés, 239 contenaient des anticorps neutralisants à large spectre. Leur analyse a permis d’identifier quatre paramètres impliqués dans leur production : la durée d’infection, la diversité virale, la charge virale et l’origine ethnique des individus.

Afin d’induire ces anticorps avec un vaccin, il faut également utiliser le bon immunogène. Suite aux observations des conditions naturelles de production de ces anticorps, les chercheurs ont développé trois stratégies pour optimiser ces immunogènes.

1)Pour être capable d’induire la production de bNAbs, ces immunogènes doivent être sous forme trimérique native.

2)Du fait de la constante évolution du virus, pour induire des anticorps similaires à ceux produits chez les individus infectés, il faut utiliser une série d’immunogènes d’enveloppe.

3)Ces immunogènes doivent être capables de cibler spécifiquement les lignées germinales de lymphocytes B qui synthétisent ces bNAbs.

Le Dr Rogier Sanders (AMC, Pays-Bas) a présenté les différents candidats vaccins à base de trimères d’enveloppe utilisant ces stratégies indépendantes, actuellement à l’essai chez l’homme. Ces stratégies, qui pourraient d’ailleurs être combinées dans des essais de vaccination en prime-boost, ouvrent la voie d’un vaccin capable de produire des bNAbs.

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