Evanne Jeanne-Rose, corapporteur de l’avis du Conseil économique, social et environnemental sur l’Evras, aborde la nécessité de cette démarche, encore mal connue, et déconstruit le discours de désinformation de ses opposants.
Transversal : Qu’est-ce que l’Evars, selon l’avis du Cese ?
Evanne Jeanne-Rose : Evras, pour « éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle », est la nomination que l’on a retenue dans l’avis et qui est généralement employée, notamment par l’Éducation nationale. Cet enseignement est dispensé sur trois plans : social, biologique et psychoaffectif.
L’aspect social concerne la vie relationnelle, avec l’éducation à la question des stéréotypes sociaux et, de façon générale, à la relation aux autres. Plus précisément, il se penche sur la manière dont les « autres » entrent en relation avec nous, dont ils peuvent nous assigner un genre, un rôle social, etc.
La partie affective aborde tout ce qui touche aux relations amicales et amoureuses. Pour les enfants, cela commence par les liens qu’ils entretiennent avec leurs parents, avec leurs copains et leurs copines, et, progressivement, avec leurs futures relations amoureuses – comment se gèrent les rencontres, les ruptures, comment s’accordent les envies respectives, etc.
Enfin, l’aspect biologique traite de l’éducation au corps. L’enfant doit arriver à mieux le comprendre, à savoir nommer les choses. On commence par cet aspect avec les plus petits, en travaillant sur leur relation à leur anatomie et ce qui, dans ce cadre, est autorisé aux autres. À ce stade, on introduit la notion de consentement : est-ce que les autres ont le droit de toucher mon corps ? est-ce que j’ai le droit de toucher le corps des autres ?
L’Evars pose ces éléments et, petit à petit, avec l’avancée en âge de l’enfant, évoque la question de la santé sexuelle de façon générale. Ensuite, vient le temps de répondre aux interrogations des enfants sur les différentes pratiques sexuelles qu’ils et qu’elles ont en tête ou ont vues, parce que l’exposition à ces dernières débute de plus en plus tôt, notamment via les images pornographiques.
T. : Pourquoi est-ce important de mettre en place l’Evars, et ce, dès le plus jeune âge ?
E. J.-R. : L’Evars permet à l’enfant, dès le plus jeune âge, de se protéger de toutes les formes d’agression, celles du quotidien (les bisous, les câlins dont il n’a pas envie) comme les agressions sexuelles les plus traumatisantes, telles que l’inceste.
Un autre intérêt est de mieux pouvoir repérer les victimes de violences. Quand l’enfant apprend à nommer son corps, il devient capable de dire exactement ce qu’il vit. C’est là où l’intervenant peut repérer qu’un oncle ou qu’un père – c’est malheureusement très souvent des membres masculins de la famille ont touché, caressé, pénétré… Même si c’est avec ses propres mots, l’enfant sait formuler ce qu’il a subi, il ne se contente pas de dire « il m’a touché en bas ». Comme le précise le rapport de la Ciivise [Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, rapport publié en novembre 2023, ndlr], l’Evars est un moyen pour détecter les victimes de violences sexuelles.
Par ailleurs, l’Evars permet d’introduire très vite la notion de consentement, d’aborder les questions d’égalité entre les genres, d’insister sur le fait que l’on n’est pas obligé de faire certaines choses parce que l’on est une fille ou parce que l’on est un garçon. C’est pourquoi il est intéressant de commencer tôt dans les parcours scolaires, en posant des bases pour plus tard.
Cette éducation ne doit pas se cantonner à l’école ou lors de séances dirigées. L’Evars peut s’inscrire dans des moments quotidiens de vie. L’avis du Cese propose ainsi d’élargir son accès aux accueils de loisirs, du sport, etc. Il n’est pas nécessaire d’organiser des séances d’Evars pour que les enfants se retrouvent à se questionner sur certains sujets et, donc, tout le monde a potentiellement un rôle à jouer.
En outre, le Conseil insiste sur le nécessaire soutien à apporter aux parents dans leur activité éducative. Comment ? En luttant contre la désinformation, en proposant des rendez-vous afin de les aider à mieux comprendre leur enfant et à entrer en relation avec lui sur certains sujets délicats. Car, on le sait, certains sujets ne sont pas faciles à aborder avec son enfant.
T. : Justement, pourquoi autant de résistance face à l’Evars ?
E. J.-R. : Il faut d’abord préciser qu’il n’en existe pas tant que ça. Une minorité s’agite, mais c’est une minorité très visible et qui agit de façon coordonnée. On le sait parce que ce sont les mêmes éléments de langage qui sortent, ce sont les mêmes angles d’attaque, la même désinformation.
Par exemple, dans l’avis, on indique qu’à partir du collège, il faudrait avoir 30 heures d’enseignement proposées aux enfants sur les compétences psychosociales et l’égalité. Cela a été transformé en « le Cese veut imposer 30 heures d’éducation à la sexualité dès la maternelle ». Ce n’est absolument pas ce que l’on propose.
Ces mécanismes de désinformation visent à faire peur aux parents. Les opposants à l’Evars essaient de faire croire que l’on voudrait « s’attaquer » à leurs enfants. Ils pensent qu’elle ne se résume qu’à apprendre des pratiques sexuelles aux jeunes enfants, ce qui est complètement faux et ne correspond pas aux choix collectifs qui ont été faits.
Dans le projet de programme de l’Éducation nationale qui va, on l’espère, bientôt sortir, le sujet de l’Evars en maternelle s’attache simplement à essayer de faire acquérir à l’enfant le bon vocabulaire pour parler de son corps, de ses émotions et de sa relation aux autres. Cela ne va pas plus loin.