vih L’infection à VIH : un facteur aggravant pour la Covid ?

08.06.21
Kheira Bettayeb
9 min
Visuel L’infection à VIH : un facteur aggravant pour la Covid ?

Les personnes vivant avec le VIH font-elles plus de formes graves de Covid-19 ? En meurent-elles plus ? Et quid du « Covid long » ? Réponses du Dr Olivier Robineau, infectiologue au centre hospitalier de Tourcoing, et coordinateur de travaux sur le Covid et le Covid long.

Transversal : L’infection par le VIH expose-t-elle à un plus grand risque de contamination et/ou de mortalité par la Covid-19 ?

Dr Olivier Robineau : A ce jour, il n’existe pas d’arguments forts allant dans ce sens. Du moins en ce qui concerne les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) efficacement traitées ; soit la grande majorité de celles vivant en France – et dans les autres pays développés. De fait, les résultats des travaux disponibles ici, sont assez discordants. Par exemple, parmi 6 études examinées dans le cadre d’une méta-analyse chinoise publiée en mai 2021 [i], une seule suggérait une mortalité plus importante chez les PVVIH, comparées aux patients non PVVIH ; et encore, ce sur-risque était très faible : de + 0,04%… Ceci dit, les données disponibles à ce jour, sont à prendre avec beaucoup de pincettes. Car les études publiées comportent beaucoup de biais méthodologiques et ne sont pas assez comparatives. Donc, comme le précisent les auteurs de la méta-analyse citée précédemment, des études de meilleure qualité sont encore nécessaires pour conclure…

T. : Oui, mais en théorie l’infection par le VIH n’altère-t-elle pas l’immunité et ne rend-t-elle pas, de ce fait, plus vulnérable face au SARS-CoV-2 (agent de la Covid-19) ?

O. R. : Effectivement, le VIH détruit les lymphocytes T CD4, des acteurs clés de l’immunité cellulaire. Or celle-ci est susceptible de jouer un rôle dans la lutte contre la Covid-19. Par conséquent, la Covid-19 pourrait induire des symptômes plus sévères ou plus intenses chez les PVVIH. Mais il est probable que ce type de risque concerne surtout les PVVIH non efficacement traitées, chez qui la fonction immunitaire CD4 est très affaiblie du fait de la multiplication du VIH. Chez les PVVIH qui suivent correctement leur traitement, l’altération de l’immunité existe aussi, mais elle est moindre. D’où l’hypothèse d’un sur-risque plus faible. En tout cas pour l’instant, ce potentiel sur-risque ne saute pas aux yeux… et si influence il y a de l’infection par le VIH sur la sévérité de la Covid-19, cet impact ne semble pas, pour l’instant, majeur. Surtout comparé aux facteurs désormais bien établis pour être des facteurs de risque majeurs qui augmentent fortement le risque de forme grave de Covid-19.

T. : Quels sont ces facteurs de risque majeurs ?

O. R. : L’âge et certaines pathologies chroniques, dont le diabète de type 2, l’obésité, l’hypertension et les maladies cardiaques ou pulmonaires (angine de poitrine, insuffisance respiratoire, etc.)… comme en population générale. Sachant que le risque de présenter une ou plusieurs de ces conditions est plus important chez les PVVIH qu’en population générale. La méta-analyse parue en mai 2021 [ii], citée plus haut, suggère que les PVVIH présentant un diabète, ou une hypertension ou une maladie cardiaque chronique, ont un risque de mortalité 5 et 4 fois plus important, respectivement, que les personnes séronégatives avec ces mêmes troubles. Donc en cas de co-infection par le SARS-CoV-2, ces facteurs sont probablement plus à craindre que l’infection par le VIH même.

T. : Les antirétroviraux anti-VIH protègent-ils contre le SARS-CoV-2 ?

O. R. : Jusqu’ici, aucune des molécules testées ne s’est avérée efficace. Par exemple, lors d’une étude parue en mai 2020 [iii], des médecins chinois de l’hôpital Jin Yin-Tan à Wuhan ont administré à 99 patients présentant une forme sévère de la Covid-19, une combinaison de lopinavir-ritonavir, en plus des soins standards. Au final, ils n’ont observé « aucun bénéfice supplémentaire » comparé au traitement standard. Ceci dit, d’autres essais sont encore en cours pour d’autres combinaisons d’ARV. Par exemple, au CHU de Caen le Pr Jean-Jacques Parienti dirige une étude qui vise à déterminer si le Truvada (Emtricitabine/Ténofovir disoproxil) peut diminuer l’importance des symptômes en cas cette fois, de forme bénigne de la Covid-19, traitée à domicile. Cependant, en attendant les résultats de cet essai et des autres menés ailleurs dans le monde, il est crucial que toutes les PVVIH continuent à respecter l’ensemble des mesures préventives visant à éviter toute infection (port du masque, etc.). 

T. : Quid maintenant du Covid long ?

O. R. : Précisons tout d’abord qu’il est plus juste de parler ici de « symptômes post-covid » que de « Covid long », car cette dernière expression renvoie surtout aux symptômes déclarés par des personnes prises en charge en ambulatoire pour une forme non sévère de la Covid ; or ce type de troubles peut également concerner des personnes hospitalisées pour des formes graves. Ensuite, rappelons qu’il y a « symptômes post-covid » en cas de persistance de symptômes pendant plus d’un mois après l’infection par le Sars-CoV-2 – alors que la plupart des personnes présentant une forme bénigne de la maladie se rétablissent en quelques jours. Les 5 symptômes les plus souvent rapportés ici sont la fatigue, l’essoufflement, les douleurs diffuses, la persistance de troubles de l’odorat (anosmie) et du goût (agueusie), et le « brouillard cérébral », à savoir une diminution des capacités cérébrales, dont notamment la concentration et la mémoire. Ces symptômes oscillent beaucoup au fil du temps et peuvent, par exemple, se manifester un jour, disparaître le suivant, puis revenir le surlendemain.

T. : Ce type de trouble est-il plus courant ou plus intense chez les PVVIH ?

O. R : Ici aussi nous n’avons pas encore suffisamment de données tangibles pour répondre rigoureusement. De fait, comme le VIH altère l’immunité, les PVVIH pourraient avoir des symptômes post-Covid plus sévères et/ou plus longs. Cependant, cette altération de l’immunité pourrait aussi diminuer le risque d’inflammation chronique (une réaction impliquant l’immunité qui peut être exacerbée en cas de Covid), et entrainer, au contraire, des symptômes moins importants et moins longs… Mais impossible de trancher pour l’instant. Et pour cause : pour pouvoir tirer une quelconque conclusion, il faudrait constituer une cohorte de PVVIH présentant des symptômes post-Covid suffisante, incluant plusieurs centaines de personnes. Or il n’existe encore aucune cohorte de ce type. Par contre, fait rassurant, dans mon service, spécialisé dans la prise en charge des PVVIH et doté d’une consultation spéciale « Covid long », aucune PVVIH n’a encore demandé à bénéficier de cette dernière ! Ce qui suggère que les symptômes post-Covid ne touchent pas spécialement plus les PVVIH.

T. : L’étude Coco-late sur le « Covid long » que vous coordonnez au centre hospitalier de Tourcoing, inclut-elle également des PVVIH ?

OR : Non, pas encore. Lancée en janvier 2021dans une vingtaine d’hôpitaux partout en France(Lille, Nice, Paris, Ajaccio, Cayenne, etc.), et destinée à mieux comprendre les symptômes post-Covid et leurs causes physiopathologiques, cette étude vise à recruter à terme un millier de patients en population générale, dont potentiellement des PVVIH. Cependant, en Francela prévalence de l’infection par le VIH reste – heureusement – relativement faible [selon Santé publique France, les PVVIH représentent 0,4% des 15 à 49 ans, Ndlr]. Donc il n’est pas certain que l’on pourra faire un sous-groupe « PVVIH ». Les éléments de réponses viendront sûrement des grandes cohortes de PVVIH, comme l’étude ANRS C04 FHDH (« French hospital database on HIV », pour « Base de données hospitalières française sur l’infection à VIH ») qui inclut 200 000 PVVIH. Mais cela devrait nécessiter encore au moins plusieurs mois.

D’ici fin juin, devraient être communiqués les premiers résultats de l’étude « Covid-HIV ». Coordonnée par le Dr Antoine Chéret, infectiologue à l’hôpital du Kremlin Bicêtre (94), et impliquant une trentaine de CHU, dont ceux de la Guadeloupe et de la Réunion, cette cohorte porte uniquement sur des PVVIH co-infectées par la Covid-19 (400 au total), contrairement par exemple à la cohorte French Covid, qui concerne la population générale.Le projet comprend deux grands volets. Le premier, d’ordre biologique et clinique, vise 3 buts : « déterminer l’impact, sur le plan immuno-virologique, de l’infection par le VIH sur la Covid-19, et réciproquement, pour voir s’il existe un sur-risque d’hospitalisation ou de forme sévère ; évaluer si le virus SARS-CoV-2 persiste plus longtemps chez les PVVIH ; et constituer une ‘biothèque’ contenant les échantillons biologiques recueillis (sang, etc.), pour les mettre à la disposition d’autres chercheurs », développe le Dr Chéret. Le second volet, de sciences sociales cette fois, est destiné lui, à « évaluer les répercussions psycho-sociales de l’épidémie chez les PVVIH, l’impact sur leur qualité de vie et l’état de leurs connaissances sur le sujet ». Les résultats attendus en juin concernent ce second volet. Les premières données biologiques et cliniques devraient être publiées elles, à partir de septembre 2021.

Bientôt de nouvelles données sur les liens entre VIH et Covid

Notes

[i] Min Liang et col. Infect Dis Ther. 1er mai 2021. doi: 10.1007/s40121-021-00447-1. 

[ii] Alfonso C Hernandez-Romieu et col.BMJ Open Diabetes Res Care. 5 janvier 2017 J. doi: 10.1136/bmjdrc-2016-000304.

[iii] Bin Cao et col., N Engl J Med. 7 mai 2020. doi: 10.1056/NEJMoa2001282.  

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