vih Living by numbers, AIDSmonument Amsterdam – Vivre à la merci des nombres

03.05.20
Yves Jammet
6 min
Visuel Living by
numbers,
AIDSmonument Amsterdam – Vivre à la merci des nombres

Après New York, Durban et Munich, la rédaction de Transversal propose à ses lecteurs de découvrir le monument qui, dans le port d’Amsterdam, rend hommage aux victimes de la pandémie du VIH/sida.

Une grande visibilité nous entoure. / Le monde n’a pas changé. / Il est simplement plus clair / dans sa nudité dévoilée / ni plus ni moins affreux / il est désillusionné et fragile. / Le monde est comme il n’a jamais été, / prêt à jouer carte sur table, / seules restent les marques de nos colliers.

Jean-Michel Othoniel, 1997

Paris, place de la Bastille, 28 juin 1997, Europride 1997. Lors de la performance collective Beau comme un camion, Jean-Michel Othoniel offre à ceux qui montent dans la remorque Le Collier cicatrice et photographie, toutes celles et tous ceux qui le portent, en plan rapproché. Ce collier en perles de verre de Murano rouges est un multiple tiré à mille et un exemplaires. « Il symbolise, pour moi, la blessure que chacun porte au fond de lui-même. Selon notre propre histoire, nous nous construisons à partir d’une faille que nous essayons de transcender » déclarait alors l’artiste.

Dur, fragile et transparent

Ce collier est un double hommage. A l’artiste américain d’origine cubaine mort du sida, Félix Gonzalez-Torres (1957-1996), dont les œuvres les plus célèbres prennent la forme de multiples que le public emporte avec lui : bonbons (spills), posters ou booklets (stacks). Ainsi qu’à la patronne des musiciens, sainte Cécile (200-230), dont l’entaille autour du cou, gravée dans le marbre blanc par le sculpteur Stefano Maderno, rappelle la décollation (Eglise Santa Cecilia in Trastevere, Rome, 1599).

A Paris et à Versailles, deux commandes publiques témoignent de la passion d’Othoniel pour le verre. Depuis 1992, après la cire et le soufre, l’artiste explore les spécificités techniques et poétiques d’un matériau paradoxal. Dur et fragile, à la fois. Dans l’espace public, il interroge l’excellence des formes, des couleurs et… des transparences. Ainsi, devant la Comédie française, Le Kiosque des noctambules (2000), bouche du métro Palais-Royal, associe l’aluminium (anneaux des garde-corps, sphères des six colonnes) et le verre (coupole de perles rouges et jaunes, coupole de perles bleues et violettes). Pour Le Bosquet du Théâtre d’eau, dans le parc du château de Versailles, Les Belles danses (2015) font dialoguer trois sculptures-fontaines en perles dorées, au milieu de trois bassins ovoïdes, dessinés par le paysagiste Louis Benech. Référence et révérence à Raoul-Auger Feuillet et à André Le Nôtre, respectivement maître à danser et jardinier du roi Louis XIV. Courbes et contre-courbes de verre et d’eau, ces œuvres relèvent d’une esthétique baroque, illustrant à la lettre la perle irrégulière que désigne le mot « barroco ». 

2030

C’est le 1er décembre 2016, Journée mondiale de la lutte contre le Sida, qu’a été inauguré le monument Living by numbers (Vivre en comptant) dont le titre renvoie, entre autres, aux premières pages de A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie d’Hervé Guibert (1990). « Les dernières analyses, datées du 18 novembre, me donnent 368 T4, un homme en bonne santé en possède entre 500 et 2000. Les T4 sont cette partie des leucocytes que le virus du sida attaque en premier, affaiblissant progressivement les défenses immunitaires. »

Situé sur la rive sud de la rivière Ij, un boulier géant surplombe cinq montants métalliques de 7 mètres de haut. Des perles de verre, dont la couleur rouge sang fait écho au sol rouge sur lequel se dresse le monument, font office de boules disposées selon le modèle des bouliers chinois, 13 tiges verticales comportent chacune 5 + 2 perles. Le sens de la lecture va de droite à gauche – la première tige représente les unités, la seconde les dizaines, la troisième les centaines, la quatrièmes les milliers, etc. – et ne prend en compte que les perles activées, c’est-à-dire celles qui sont placées près de la barre centrale. Le boulier conçu par Jean-Michel Othoniel devant donner à lire un nouveau nombre tous les ans. « Depuis toutes ces années, nous ne faisons que compter : nos jours depuis l’arrivée du sida, nos amis morts, nos jours gagnés sur la maladie, nos espoirs, nos thérapies, nos nombres de malades, nos heures de joie » explique l’artiste.

Pour l’inauguration, le boulier de Living by numbers indiquait le nombre 2030, c’est-à-dire l’année que se fixe l’ONU comme horizon pour mettre fin à l’épidémie de VIH/Sida.

Exigence de sens

C’est Max Weber qui, au début du XXe siècle, a analysé la naissance de la pensée calculante dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905). Pour le sociologue, Amsterdam et, son double, New York, ont joué un rôle primordial dans ce processus historique. Ville la plus riche du monde au siècle d’or de la République des Provinces-Unies, Amsterdam, qui commerçait avec les Indes occidentales et orientales, était alors au centre du réseau du commerce maritime mondial. Porte de la révolution industrielle ainsi que du nouvel ordre économique, le « miracle hollandais » a contribué à façonner le monde dans lequel nous vivons. Depuis les bords de l’Ij, le monument de Jean-Michel Othoniel témoigne de l’histoire d’une mondialisation économique qui – on s’en rend de plus en plus compte – est, inséparablement sociale, culturelle et… sanitaire. Comme le rappellent le SIDA, le SRAS, la fièvre Ebola et, aujourd’hui, le Covid-19.

C’est pourquoi on peut regretter que le boulier ne soit pas actualisé. La Aids memorial Foundation déclare : « 2030 est effectivement l’année envisagée par l’ONU pour atteindre l’éradication du virus du sida. L’idée de Jean-Michel Othoniel était de changer le chiffre tous les ans. Mais la fondation a décidé de garder ce chiffre car il est tellement important ». Privé de son usage et de son enjeu, ce superbe boulier n’est-il pas réduit à une fonction mémorielle à un moment où chacune et chacun mesure la nécessité de penser l’histoire du virus, de l’épidémie, pour faire face aux défis sanitaires contemporains ?

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