En juillet 2023, un rapport sur la médiation en santé a été rendu au ministre de la Santé, avec pour ambition de pérenniser le statut d’une profession qui vise à améliorer l’accès de tous à la santé.
« Nous ne devons plus accepter que certains de nos concitoyens soient en moins bonne santé notamment en raison d’un handicap, d’une situation de précarité ou d’isolement social, d’une situation de protection, ou encore de situations particulières à certains territoires, comme en Outre-mer, qui les maintiennent éloignés du système de santé. » Ainsi commence la lettre envoyée en janvier dernier par François Braun, ex-ministre de la Santé et de la Prévention, et Jean-Christophe Combe, ex-ministre des Solidarités et des Familles, à la mission interministérielle sur la médiation en santé, chargée de « formuler une stratégie d’action dite d’aller vers ».
Un « aller vers » le soin
Encore méconnue et peu valorisée, la médiation en santé a une fonction d’interface entre les acteurs de santé (médecins, infirmiers, etc.) et les personnes éloignées du système de soins à cause de facteurs de vulnérabilité, tels que la précarité, une méconnaissance du système de santé, la barrière de la langue française ou encore des difficultés à utiliser les outils numériques. Concrètement, les médiateur·rices en santé interviennent dans des lieux de soins (hôpitaux, centres et maisons de santé, etc.) et/ou lors d’actions spécifiques d’aller vers qui visent à ramener des personnes vers le système de soins et de prévention. Leurs missions consistent à informer, écouter, orienter et accompagner les patients dans leurs parcours de santé. Et ce, dans une logique de « faire avec » et non de « faire pour » : l’objectif est d’aider les personnes à se remettre sur les rails de leur parcours de santé et non de faire les démarches à leur place.
Née au début des années 1990 dans le champ du VIH, la médiation en santé a gagné, depuis, d’autres domaines de santé, comme la diabétologie ou la psychiatrie. Si, initialement, elle concernait surtout des publics spécifiques (personnes vivant avec le VIH, travailleur·euses du sexe, gens du voyage, etc.), elle peut désormais toucher tout le monde. À l’avenir, les besoins dans ce domaine devraient même significativement augmenter, à cause du développement des maladies chroniques (diabète, maladies cardiaques ou respiratoires, obésité, etc.), mais aussi de la progression de facteurs socioéconomiques qui tendent à compliquer l’accès aux soins (précarité, situation de handicap, complexité du système de soins, difficultés et délais d’accès, etc.).
Une officialisation du statut…
Bien que la médiation en santé ait démontré sur le terrain son utilité et son efficacité contre les inégalités sociales de santé, plusieurs obstacles entravent son déploiement sur tout le territoire. Dans leur rapport[i], les membres de la mission sur la médiation en santé [ii] identifient trois freins majeurs. Tout d’abord, la médiation en santé pâtit de « l’absence de reconnaissance statutaire qui entretient l’ambiguïté sémantique autour de ce qu’[elle] recouvre et qui limite sa bonne appréhension tant par les publics concernés que par les acteurs institutionnels et partenaires des médiateurs ». Le « cumul de rapports de pouvoirs professionnels et institutionnels défavorables » constitue un second frein. Ici, les auteurs pointent notamment le « désintérêt, voire la défiance, de certains professionnels mus par la crainte, consciente ou inconsciente, de réinterroger ou partager leurs pratiques professionnelles », ainsi que le « fonctionnement institutionnel cloisonné du monde sanitaire, médicosocial et social qui complique le positionnement d’interface de la médiation en santé ». Enfin, la médiation en santé souffre aussi des « financements publics complexes et non pérennes » qui limitent la capacité des acteurs de cette profession à faire des projets sur le moyen terme et à recruter des professionnels sur « des emplois perçus comme précaires tant matériellement que symboliquement ».
En effet, « excepté ceux du dispositif Un chez-soi d’abord [qui propose un logement stable aux sans-abris qui souffrent de troubles psychiques sévères, ndlr], les postes de médiateurs en santé ne bénéficient pas de financements prévus au niveau national. Tout dépend du bon vouloir des Agences régionales de santé et du montant de leurs crédits. Par exemple, les sept médiateur·rices employé·e·s par mon association sont financés via des crédits non reconductibles et donc, non garantis d’une année à l’autre », illustre Véronique Latour, directrice générale du Caarud La Case, qui a pour but de soutenir l’accès à la santé et aux droits des personnes vulnérables et précaires. Et de souligner : « Le métier de médiateur en santé doit être reconnu comme indispensable pour les établissements médicosociaux et autres qui s’occupent de populations vulnérables. Ce qui implique qu’il soit financé de façon pérenne. »
… qui passe par une formation spécifique
Pour surmonter ces obstacles et accélérer le déploiement de la médiation en santé, la mission conseille aux pouvoirs publics « d’agir prioritairement sur ces trois freins ». Pour ce faire, elle décline pas moins de 10 propositions concrètes, détaillées dans son rapport.
Prioritairement, la mission recommande d’« achever la professionnalisation et la reconnaissance des métiers de la médiation en santé en l’inscrivant dans le code de la santé publique » et « dans les répertoires idoines (référentiel des métiers de la fonction publique hospitalière, répertoire opérationnel des métiers et des emplois de Pôle emploi, etc.) ». Seconde recommandation forte, la mission préconise de « bâtir des voies d’accès et de formation inclusives au métier de médiateur·rices en santé ». Elle précise que « si des formations et diplômes universitaires existent déjà, elle considère que la reconnaissance d’un métier spécifique exige la structuration d’une filière de formation susceptible de garantir une professionnalisation adéquate ». Concrètement, la mission recommande de créer « un diplôme de médiation en santé de niveau licence, également accessible par la validation des acquis personnels et professionnels » et « une certification professionnelle de médiation en santé enregistrée au répertoire national des certifications professionnelles permettant d’accéder au métier par la formation continue ou la reconnaissance d’une VAE [validation des acquis de l’expérience] ».
Enfin, parallèlement au chantier statutaire, la mission préconise un financement pérenne « dévolu par l’État à la médiation en santé » afin d’éviter l’actuel « financement émietté et majoritairement perçu comme précaire ».
De fait, ces recommandations correspondent à celles énoncées dès la fin 2022 dans un plaidoyer émis par le Collectif pour la promotion de la médiation en santé [iii], animé par Sidaction, en lien avec la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tziganes et les gens du voyage, et qui rassemble une soixantaine d’acteurs concernés par cette profession (associations de patients ou de santé, centres sociaux et de santé sexuelle, sociétés savantes, chercheurs, etc.).
Le statut de la médiation en santé sera-t-il enfin renforcé pour de bon ? « Les évolutions que nous avons préconisées ne sont pas de minces affaires. Mais comme tous les acteurs du domaine, à la fois sur le terrain et dans les institutions, sont d’accord sur les constats décrits dans notre rapport et sur les priorités, je suis optimiste pour la suite », répond Émilie Henry, membre de la mission et directrice du pôle Qualité et recherche en santé de Sidaction.
Les membres de la mission attendent désormais la mise en place d’un comité chargé de piloter l’avancement concret de leurs recommandations. « Dans notre rapport, nous avions préconisé la création de cette structure dès septembre 2023. Cependant, les deux ministres qui nous ont missionnés ont quitté leur fonction dans le cadre du remaniement ministériel survenu le 20 juillet 2023… Depuis, nous nous battons pour que les nouveaux ministres reprennent la suite », explique Émilie Henry. Les choses commencent malgré tout à bouger : début octobre, les membres de la mission ont été conviés à une audience sur ce sujet, programmée courant novembre. De quoi espérer, enfin, de passer de simples déclarations d’intention à la pratique ?
[i] « La médiation en santé : un levier relationnel de lutte contre les inégalités sociales de santé à consolider », juillet 2023 : https://www.santementale.fr/medias/2023/07/IGAS_mission-mediation.pdf
[ii] Alexandre Berkesse, codirecteur du Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public ; Philippe Denormandie, chirurgien neuro-orthopédiste au CHU de Poitiers ; Émilie Henry, directrice du pôle Qualité et recherche en santé de Sidaction et Nolwenn Tourniaire, patiente partenaire à la Structure régionale d’appui de coordination pour l’amélioration des pratiques professionnelles en santé de Bretagne et à l’université Paris-Sorbonne. Ils ont été accompagnés par Farida Belkhir, inspectrice à l’Inspection générale des affaires sociales.
[iii] « Reconnaissance et sécurisation professionnelle du métier de médiateur·rice en santé » : http://www.fnasat.asso.fr/CPMS_Reconnaissance-du-m%C3%A9tier-de-m%C3%A9diateur-en%20sant%C3%A9-signataires-au-26012023.pdf