vih Mélanie Perez, sociologue : « L’atteinte de la charge virale indétectable ne suffit pas à supprimer la peur de contaminer »

05.12.16
Vincent Douris
8 min

Mélanie Perez est doctorante en sociologie au sein de l’équipe de recherche SantÉSIH de l’Université de Montpellier. Sa thèse est intitulée Les homosexuels et le VIH : sociologie des expériences de la séropositivité à l’heure de l’indétectabilité.

Vincent Douris : La thèse sur laquelle tu travailles porte sur l’expérience de la séropositivité chez les homosexuels en France à l’heure de l’indétectabilité – c’est-à-dire à l’heure où il est désormais reconnu qu’une personne dont la charge virale est durablement indétectable n’est pas en mesure de transmettre le VIH à ses partenaires. Quel en est, selon toi, l’impact sur la découverte de la séropositivité ?

Mélanie Perez : L’objet de la thèse est avant tout l’impact des avancées biomédicales sur le vécu de l’annonce et ses effets sur les expériences de la séropositivité au sein des différents espaces qui composent le monde social des hommes homosexuels diagnostiqués entre 2012 et 2014. Cette recherche s’appuie sur un matériau constitué essentiellement d’entretiens réalisés avec ces hommes durant les deux premières années qui suivent l’annonce de la séropositivité au VIH, des entretiens répétés dans le cadre d’une étude longitudinale.

La question posée est complexe compte-tenu de l’hétérogénéité des situations au moment du diagnostic et des trajectoires biographiques des hommes rencontrés au sein desquelles s’inscrivent les expériences de la séropositivité. Plusieurs éléments traversent néanmoins leurs expériences.

Désormais les traitements sont à la fois soins et prévention. Ils permettent aux personnes séropositives de « Vivre avec le VIH » (1) et d’avoir des rapports sexuels sans risquer de transmettre le VIH. On pourrait alors penser que l’annonce de la séropositivité au VIH s’apparente aujourd’hui à celle d’une quelconque maladie chronique. Mais ce n’est pas le cas. La découverte de la séropositivité au VIH s’accompagne encore de la peur de mourir et de voir son corps se dégrader, à cause du VIH et/ou de la prise du traitement, et ce, malgré les avancées biomédicales. De plus, s’entremêlent dans les vécus de l’annonce, à la fois responsabilité, culpabilité et honte liées à la contamination, mais également à l’homosexualité en tant que telle. À l’approche de la journée d’étude Sidaction le 7 décembre prochain, je repense à celle organisée en 2010 alors intitulée « C’est un monstre qu’il nous faut regarder ! ». Aujourd’hui, ce « monstre » auquel sont confrontés ces hommes lors de la découverte de leur séropositivité est toujours présent. Si les traitements et les outils de mesure permettent de rendre indétectable, invisible, le VIH, toutefois, le diagnostic réactualise, ou fait émerger, un questionnement moral sur l’homosexualité. De la même façon que le VIH, ce questionnement peut s’avérer indétectable, indécelable ou indicible, et, dans tous les cas, difficile à aborder.

Alors si, effectivement, la perspective d’une charge virale indétectable constitue du côté des acteur-rice-s qui se retrouvent en situation d’annoncer le résultat positif du diagnostic (les médecins mais également les troders), un argument permettant de rassurer les personnes au sujet de leur avenir avec la séropositivité, du côté des hommes homosexuels venant d’apprendre leur séropositivité, elle ne change pas fondamentalement le vécu de la découverte.

Entretien à l’occasion de la journée Homosexualité et VIH : rapport aux risques et prévention médicalisée organisée par Sidaction le 7 décembre 2016.

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VD : Dans nos cercles de travail, on voit ces dernières années un enthousiasme important se développer, sur les succès de la prise en charge et sur la prévention. Mais avec tes travaux, on se dit qu’on a sans doute oublié le potentiel de stigmatisation que le VIH emporte. Dans les récits que tu recueilles, comment cela s’exprime ? Quelles sont les ruptures que le VIH continue de provoquer ?

MP : La publication de l’Avis Suisse en 2008 (2), sujette à controverses dans un premier temps puis finalement approuvée par le Conseil National du Sida en avril 2009, amorce avec le traitement comme prévention, de nouvelles orientations stratégiques en termes de politiques de santé publique dans le domaine du VIH, pensées et déployées à partir de cette nouvelle donne. Le dépistage est renforcé (notamment auprès des hommes homosexuels avec la mise en place du TROD) et une mise sous traitement dite précoce qui permet d’atteindre le plus rapidement possible une charge virale indétectable.

À partir de ce nouveau paradigme, ce projet de recherche en sociologie soulève différentes questions. Finalement, aujourd’hui, à l’heure du traitement comme prévention et du contrôle de la charge virale, est-ce que les expériences de la séropositivité se réduisent à la découverte diagnostique, médicale, puis à la prise du traitement ? L’indétectabilité de la charge virale permet-elle de régler les problématiques de la contamination, dont la peur de contaminer, et le stigmate lié au VIH ?

Ce qui ressort de ces entretiens avec des hommes homosexuels interviewés durant cette thèse est que les expériences de la séropositivité ne se structurent pas (uniquement) à partir de cette temporalité de la prise en charge biomédicale, une temporalité biologique, même si le premier niveau de discours de ces hommes, reprenant les termes techniques « charge virale indétectable », « CD4/T4 » peut, en apparence, laisser penser que c’est le cas. La durée des entretiens de type récit de vie et leur répétition pendant les deux premières années qui suivent le diagnostic, permettent la mise en lumière à la fois du maintien d’un rapport stigmatisant à la séropositivité, mais également d’un questionnement moral au sujet de l’homosexualité.

Si durant les premières semaines, voire les premiers mois, qui suivent le diagnostic médical, le traitement et les avancées biomédicales contribuent à dissiper les peurs liées à la mort et à la dégradation du corps, l’atteinte de la charge virale indétectable ne suffit pas à supprimer la peur de contaminer, que ce soit lors des rapports sexuels (cette affirmation n’est pas toujours valable au sein des couples où le partenaire est également séropositif), mais également lors des actes de la vie quotidienne (cuisiner, boire dans le même verre, partager une brosse à dent ou un rasoir, etc.). Même « indétectabilisé » biologiquement, le VIH a un impact sur les pratiques et les usages du corps. Aussi, les entretiens permettent de rendre compte du fait que l’invisibilité de la séropositivité renforce le cantonnement du VIH à la sphère intime. L’information au sujet du statut sérologique n’est pas partagée avec les acteurs du monde professionnel (elle peut l’être pour certaines personnes s’engageant, suite au diagnostic, dans des carrières militantes au sein d’associations de lutte contre le VIH), et rarement avec les membres de la famille (elle l’est lorsque les personnes cohabitent). L’information au sujet de la séropositivité peut également faire l’objet de stratégies de dissimulation dans les relations entre hommes au sein des réseaux socio-sexuels. La peur d’être jugé moralement, rejeté, discriminé et le devoir de justification, sont alors évoqués.

Le stigmate du VIH semble d’autant plus lourd à porter dans un contexte de responsabilisation et de culpabilisation des hommes homosexuels largement avertis des risques d’infection, et soumis à l’injonction d’un devoir de précaution, et in fine de santé. Dans l’apprentissage de la séropositivité, cette culpabilité, liée également à l’homosexualité, reconfigure profondément les trajectoires biographiques de ces hommes.

Finalement, aujourd’hui, le stigmate n’est plus uniquement celui d’un corps habité par un virus malfaisant et destructeur – contrôlé aujourd’hui biologiquement mais qui a toutefois marqué durablement l’histoire de l’homosexualité – ; il est aussi associé à un homosexuel « hors de contrôle » (3) qui s’est fait prendre, non seulement par le virus, mais également par un diagnostic exigeant désormais qu’il en maitrise la charge à la fois biologique et sociale, pour un monde « sans sida ».

Notes
  1. En 2006, deux ouvrages au titre identique traduisent du point de vue des personnes concernées, les changements dans le vécu et les expériences du VIH suite à l’arrivée des trithérapies : Mendès-Leite R. & Banens M., (2006), Vivre avec le VIH, Paris, Calmann-Levy ; Pierret J., 2006, Vivre avec le VIH. Enquête de longue durée auprès de personnes infectées, Paris, PUF.
  2. « Les personnes séropositives ne souffrant d’aucune autre MST et suivant un traitement antirétroviral efficace ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle » (Vernazza et al., 2008).
  3. Les « HSH (…) demeurent le seul groupe au sein duquel l’épidémie de sida semble être hors de contrôle » (Le Vu et al., 2010).
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