Que ce soit dans le pays d’origine, lors du parcours migratoire ou en France, nombreuses sont les femmes migrantes à avoir subi des violences sexuelles. Source de grande souffrance psychique, ces traumatismes les précarisent encore plus, et les exposent à un risque élevé d’infection par le VIH.
Que ce soit dans le pays d’origine, lors du parcours migratoire ou en France, nombreuses sont les femmes migrantes à avoir subi des violences sexuelles. Source de grande souffrance psychique, ces traumatismes les précarisent encore plus, et les exposent à un risque élevé d’infection par le VIH. Fondés par des professionnels de santé, les dispositifs Parcours, actuellement au nombre de deux en France (hôpitaux Bichat et Avicenne), aident ces femmes à se reconstruire.
Viols, prostitution imposée, mariages forcés, mutilations génitales féminines… chez les personnes migrantes, jusqu’à 30 % des femmes et 4 % des hommes présentent des antécédents de violences sexuelles, selon une étude menée par le Comité pour la santé des exilés (Comede). S’ajoutant à la précarité financière, sociale et administrative, de telles expériences traumatiques, qu’elles soient survenues dans le pays d’origine, lors du parcours migratoire ou en France, sont source de nombreux risques sanitaires. Toujours selon l’étude du Comede, 59 % des femmes ayant subi ces violences souffrent de troubles psychiques graves (contre 11,1 % des migrant.e.s sans antécédent de violences sexuelles), et leur prévalence d’infection par le VIH s‘élève à 5,1 % (contre 3,5 %).
Or malgré cette détresse, rares sont les dispositifs proposant un accompagnement spécifique des personnes exilées ayant subi des violences sexuelles. En la matière, deux hôpitaux franciliens font figure de pionniers : en 2017 pour le premier, en 2018 pour le second, les services des maladies infectieuses des hôpitaux Bichat-Claude Bernard (Paris 18e) et Avicenne (Bobigny, Seine-Saint-Denis) ont chacun mis en place un « dispositif Parcours », consacré à la prise en charge sanitaire et sociale de ces personnes. Fondée en 2017, d’abord dans l’objectif d’épauler les femmes victimes d’excision, l’association « Mille Parcours » coordonne et soutient financièrement ces dispositifs, et propose des formations aux professionnels intervenants auprès des survivant.e.s en situation de migration.
A l’origine des dispositifs Parcours, les travaux de la Dre Claire Tantet, médecin infectiologue à l’hôpital Avicenne, qui s’est penchée au cours de sa thèse sur le sujet des mutilations génitales féminines. Un travail qui, au-delà de la question de l’excision, a mis en lumière la précarité multiforme de ces femmes, très souvent en situation irrégulière et en grande précarité financière. C’est après prise de contact avec le Dr Denis Mukwege, gynécologue en République démocratique du Congo et récipiendaire en 2018 du prix Nobel de la paix pour son action auprès des femmes victimes de mutilations génitales, qu’est né le premier dispositif Parcours, à l’hôpital Bichat.
Des dispositifs uniques en France
Pour Bettina Ghnassia-Petit, juriste accès aux droits et aux soins du dispositif Parcours de l’hôpital Avicenne, et secrétaire de l’association Mille Parcours, « il existe des ‘maisons des femmes’, mais elles sont avant tout orientées vers les violences actuelles, plutôt que celles déjà vécues. Ces lieux s’adressent aux personnes pas nécessairement étrangères, confrontées à des violences conjugales ou intrafamiliales. Sur la question spécifique des personnes exilées victimes de violences sexuelles en lien avec le parcours migratoire, les dispositifs Parcours de Bichat et d’Avicenne sont les deux seuls qui existent à ce jour ». Au fil des formations proposées par l’association, « nous avons rencontré des professionnels de santé, notamment des internes en médecine, qui ont pour projet de monter des unités comparables », indique Bettina Ghnassia-Petit.
A ce jour, les deux dispositifs Parcours comptent une file active d’environ 500 personnes, des femmes pour 90 % d’entre elles. Principaux pays d’origine, ceux d’Afrique de l’ouest et du centre, tels que la Guinée équatoriale, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Nigéria, la République démocratique du Congo. D’autres viennent du Pérou, d’Egypte, d’Inde. Parmi les besoins premiers, ceux de l’hébergement, de la régularisation et des soins. « La porte d’entrée peut être une découverte d’infection par le VIH, ou le besoin de soutien dans les démarches sociales et juridico-administratives. Dans tous les cas, ces personnes trouvent dans ce dispositif un moyen de rompre leur isolement », ajoute Bettina Ghnassia-Petit.
Selon elle, « la première porte d’entrée d’une personne dans le dispositif, ce sont d’autres patientes qu’elle rencontre, notamment dans des lieux d’hébergement, ou bien des amies qu’elles retrouvent en France. Il existe des dynamiques communautaires : par exemple, beaucoup de femmes que nous suivons sont d’origine ivoirienne ». D’autres sont orientées vers les dispositifs Parcours par Médecins du monde, la Maison des femmes de Saint-Denis, l’antenne du Planning familial de l’hôpital Avicenne, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Offi), ainsi que des médecins généralistes de Seine-Saint-Denis.
Associant notamment médecins, psychologues et médiateurs de santé, les dispositifs Parcours proposent un « accompagnement holistique », comportant un bilan de santé général, associant dépistage et suivi VIH/IST, mise à jour vaccinale, évaluation et suivi psychologiques, sexologiques, gynécologiques et des douleurs, proposition de plastique clitoridienne pour celles qui ont été mutilées. Une aide à l’accès aux droits (Aide médicale d’Etat, Protection universelle maladie) et une mise en contact avec des avocats, par exemple en vue d’une demande d’asile ou d’un titre de séjour pour soins sont également proposées,.
Surtout, les dispositifs proposent divers ateliers thérapeutiques, allant de l’afro-fitness à la musicothérapie, en passant par la pratique du vélo et une « acclimatation à l’eau », éventuellement pour apprendre à nager. Ou bien de la psycho-socio-esthétique, atelier au cours duquel « nous travaillons sur le toucher, l’estime de soi, la réassurance, afin de restaurer un climat de confiance », explique Bettina Ghnassia-Petit.
Une vulnérabilité élevée au VIH
Déjà très élevé chez les personnes exilées en situation irrégulière, le risque d’infection par le VIH l’est encore plus chez celles victimes de violences sexuelles. Comme l’a montré l’étude Parcours, menée en 2012-2013 sur 2.500 migrant.e.s, « l’arrivée en France dans des conditions de vie très précaires impose souvent à ces personnes de se faire héberger contre échange de services, et les expose donc à un risque élevé d’infection par le VIH », rappelle Bettina Ghnassia-Petit. Chaque année, « deux à trois » personnes intègrent l’un des deux dispositifs Parcours après la découverte d’une infection par le VIH contractée en France.
Alors que le gouvernement durcit le ton sur l’immigration, et prévoit une prochaine réforme de l’aide médicale d’Etat (AME), la situation de ces personnes pourrait encore s’aggraver. Promulguée le 26 janvier, et bien que largement censurée par le Conseil constitutionnel, « la loi sur l’asile et l’immigration nous préoccupe. Elle va considérablement dégrader les conditions de vie et d’accueil des personnes étrangères, quel que soit leur statut administratif, et donc avoir un impact sur leur état de santé. Cela va forcément interférer avec notre accompagnement », craint Bettina Ghnassia-Petit (voir encadré).
Quid de la sortie du dispositif Parcours ? « Nous nous fixons une limite de quatre ans d’accompagnement : c’est généralement le temps qu’il faut pour que ces personnes aient trouvé un médecin traitant en ville, disposent de droits à la sécurité sociale, qu’elles aient obtenu un droit au séjour ». Toutefois, « il n’est pas évident, pour les personnes accompagnées comme pour l’équipe, de se dire au revoir. Certaines peuvent avoir peur de devoir faire la place à autre chose, d’autres le voient comme un nouveau chapitre. Notre porte leur reste grande ouverte ». Pour ces « anciennes » du dispositif Parcours, l’association songe à trouver une solution pour qu’elles puissent continuer à se retrouver, que ce soit dans un lieu de rencontre ou via une association.
-
La loi asile-immigration, une « atteinte aux droits fondamentaux »
Dans une déclaration écrite, l’association Mille Parcours estime que la loi du 26 janvier 2024 « signe un recul historique des droits des personnes étrangères en France, quel que soit leur statut administratif. Si ce texte a été présenté par le Gouvernement comme un équilibre entre mesures répressives et mesures progressives, il n’en est rien, ce qui a été largement dénoncé par les personnes concernées et les organisations de soutien (collectifs, syndicats, associations, etc.) ».
« La loi promulguée – qui consiste en un retour au texte initialement présenté par le Gouvernement, suite à la censure d’un tiers du texte adopté en CMP [Commission mixte paritaire, ndlr] par le Conseil constitutionnel – vient d’ores et déjà profondément dégrader les conditions d’accueil et de vie des personnes étrangères. Cette loi, qui porte atteinte aux droits fondamentaux, renforce encore l’arbitraire préfectoral, amenuise les garanties des justiciables, systématise les mesures d’éloignement et précarise toujours plus les personnes étrangères ».
« En tant que professionnelles soutenant au quotidien des personnes exilées en situation régulière ou non, nous sommes donc particulièrement en colère et inquiètes, d’autant que de nouvelles réformes sont en cours, notamment concernant l’AME ».