La flore vaginale jouerait un rôle dans l’infection par le VIH, sa composition favorisant ou non le risque de contamination. Un constat exploré par la recherche, notamment auprès de femmes africaines.
À la différence des hommes, les femmes sont à la fois plus vulnérables au VIH et moins réceptives à la prophylaxie préexposition (PrEP). En plus des facteurs génétiques et de l’influence des hormones sexuelles, le microbiome (populations de bactéries qui recouvrent les muqueuses) semble être en cause. Plus précisément, la composition du microbiome vaginal (également appelé « flore vaginale »), qui peut être très différente d’une femme à l’autre et qui dépend du contexte environnemental ; ce qui pourrait expliquer les taux élevés d’infection par le VIH chez les jeunes femmes africaines.
Le VIH traverse les cellules épithéliales des muqueuses
C’est ce que des chercheurs de l’institut Cochin ont observé par microscopie en temps réel, grâce à la mise au point d’un modèle de tissu muqueux : « Nous avons réussi à reconstituer la barrière muqueuse composée d’une souscouche contenant des cellules immunitaires (cibles du VIH), appelée “stroma”, recouverte d’une couche de cellules épithéliales. Ce modèle in vitro est proche du modèle in vivo et nous a permis d’observer la transmission du VIH depuis des lymphocytes T (présents dans les fluides génitaux infectés en plus de virus libres peu infectieux) à des macrophages (contenus dans le stroma), en passant à travers les cellules épithéliales qui ne s’infectent pas, mais qui servent d’intermédiaires actifs entre les deux autres cellules », explique Morgane Bomsel, qui a dirigé ces travaux publiés début mai dans la revue Cell Report[1]. Ce modèle a été construit à partir de cellules épithéliales de l’urètre masculin (tissu muqueux du pénis, un site de pénétration du virus chez l’homme). La muqueuse vaginale est quant à elle plus riche en cellules de Langerhans (d’autres cellules immunes), connues pour être infectées et largement impliquées dans la dissémination du VIH[2], sans que cela ait été observé en temps réel. Le sujet qui passionne également le monde scientifique ces dernières années concerne un autre composant de cette muqueuse vaginale : non pas des cellules, mais des bactéries ! C’est ce que l’on appelle la « flore vaginale ».
Lactobacillus versus Gardnerella
Ce sont les noms de deux bactéries qui composent la flore vaginale. La première, Lactobacillus, dite aérobie (elle requiert de l’oxygène pour vivre) est majoritaire dans une flore vaginale saine, tandis que Gardnerella, qui fait partie de la famille des bactéries anaérobies (l’oxygène n’est pas nécessaire à sa survie) est responsable des vaginoses bactériennes. Une étude de 2016[3] a mis en évidence que Lactobacillus ne compose qu’un tiers de la flore vaginale des femmes africaines (contre deux tiers chez les femmes nord-américaines), les deux tiers restants étant occupés par des bactéries anaérobies telles que Gardnerella. Ces travaux montrent à la fois le rôle protecteur de Lactobacillus, qui permet une meilleure cicatrisation que Gardnerella, et celui délétère de certaines bactéries anaérobies. La question est de connaître le rôle de cette flore vaginale dans l’infection par le VIH.
Flore vaginale et vulnérabilité au VIH
Présentée lors de la 21e Conférence internationale sur le sida, en 2016 à Durban, l’étude Caprisa, menée sur 120 femmes, révèle qu’une présence accrue de la bactérie Prevotellabivia (de la même famille que Gardnerella) dans la flore vaginale multiplie par 20 le risque de contracter le VIH. En 2017, l’étude Fresh, conduite sur 236 femmes vivant en Afrique subsaharienne, aboutit aux mêmes conclusions[4]. Certaines bactéries anaérobies induisent en effet une inflammation plus importante au niveau des muqueuses, les rendant plus fragiles et donc vulnérables à l’infection par le VIH.
De façon intéressante, une récente étude[5] propose un lien entre la composition de la flore vaginale et les comportements sexuels à risque. En effet, les travailleuses du sexe, ayant de multiples partenaires, présentent un dérèglement de la flore vaginale avec une perte des Lactobacillus, ce qui ralentit la cicatrisation des blessures occasionnées par leur activité.
Parallèlement, des chercheurs suédois et espagnols se sont intéressés au microbiome intestinal et ont découvert une composition particulière chez les patients « contrôleurs du VIH », capables de contrôler naturellement l’infection sans traitement antirétroviral. Un élément supplémentaire qui conforte le rôle de certaines bactéries du microbiome dans la vulnérabilité au VIH. Reste à savoir si des observations similaires seront faites dans le microbiome vaginal.
Impact sur l’effi cacité de la PrEP
Récemment, des chercheurs américains sont allés plus loin en démontrant le rôle de la flore vaginale dans la sensibilité à la PrEP[6]. L’étude analysant 3 334 protéines bactériennes génitales chez 688 femmes sud-africaines montre qu’une flore vaginale saine (avec une proportion dominante de Lactobacillus) joue un rôle dans l’efficacité de l’antirétroviral le ténofovir (64 % de réduction de l’infection, contre seulement 18 % chez les femmes avec un défi cit de Lactobacillus). En effet, les bactéries telles les Gardnerella et les bactéries induisant une vaginose dégradent le ténofovir. Ainsi, en plus de rendre l’organisme plus propice à l’infection par le VIH, certaines bactéries anaérobies rendent l’action de la PrEP moins efficace.
Une prise en charge à adapter
Introduite depuis 2012 aux États-Unis, la PrEP est aujourd’hui un moyen efficace mis en œuvre en Afrique pour limiter la propagation de l’infection et protéger la population. Les résultats de l’essai HPTN082, présentés à la CROI en mars dernier, montrent une adhésion à 90 % des femmes africaines à la PrEP. Une utilisation appropriée des anneaux vaginaux, diffusant localement des antirétroviraux (ARV), permet par exemple de réduire le risque d’infection de plus de 60 %. Au vu des dernières découvertes sur le dérèglement de la flore vaginale, la vulnérabilité à l’infection par le VIH et l’efficacité de la PrEP, il se révèle nécessaire dans le futur de pouvoir analyser la flore vaginale des femmes de façon à adapter la prise en charge et le traitement, ou encore de développer de nouveaux ARV résistant à la dégradation par les bactéries de la flore vaginale. Les technologies actuelles permettent assez simplement d’analyser les gènes microbiens dans diverses muqueuses. Aussi, de plus en plus, des campagnes d’information sont menées afin de mieux comprendre notre microbiome et comment celui-ci peut être influencé par notre alimentation, la consommation d’alcool, etc.
Les muqueuses génitales sont les portes d’entrée privilégiées du VIH. La toute première observation du VIH franchissant ces muqueuses in vitro permet de mieux saisir les mécanismes de l’infection. Mécanismes sur lesquels la flore vaginale semble avoir un impact, en bien ou en mal selon les bactéries qui la composent.
Déjà connu pour son rôle dans des pathologies comme le cancer ou l’obésité, le microbiome révèle peu à peu son implication dans les infections virales. À ce jour, nous en savons davantage sur les liens étroits entre la flore vaginale et le VIH. Le microbiome étant estimé à environ 39 000 milliards de bactéries chez un seul individu (c’est plus que le nombre de cellules dans notre corps, estimé à 30 000 milliards), il reste certainement nombre de secrets à découvrir, notamment en ce qui concerne le microbiome oral, à ce jour peu exploré.
[1] Real F et al, Cell Rep., 8;23(6):1794-1805, mai 2018.
[2] Schwartz O, Nat Med, 13(3):245-6, mars 2017.
[3] Gosmann C et al, Immunity, 46:1-9, 2017.
[4] Klatt NR et al, Science, 356(6341):938-945, 2017.
[5] Wessels JM et al, PLoS One, 12(11), 2017.
[6] Klatt NR et al, Science, 356(6341):938-945, 2017.