En mars dernier, le Conseil national du sida et des hépatites virales a adopté un avis suivi de recommandations sur la notification formalisée aux partenaires. Une première en France.
La notification formalisée aux partenaires (NFP) consiste à contacter les partenaires sexuels d’une personne nouvellement diagnostiquée positive pour une infection sexuellement transmissible (IST : VIH, hépatites B et C, syphilis…) afin de les encourager à se faire dépister. Le but est de permettre la prise en charge précoce des partenaires séropositifs et de lutter contre l’épidémie cachée, liée aux personnes qui ignorent leur statut.
Dans l’étude ANRS-Ipergay menée sur des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, il est apparu que seuls 48 % des participants infectés par au moins une IST ont prévenu leur partenaire principal… Voilà pourquoi l’Organisation mondiale de la santé recommande que la notification ne soit pas réalisée par le patient seul, mais que ce dernier soit assisté par une personne impliquée dans le parcours de soin.
Une notification déjà éprouvée à l’étranger
Le concept même de notification aux partenaires n’est pas nouveau. « Il est né avec la lutte contre la syphilis aux États-Unis dès les années 1930 », raconte Michel Celse, expert du Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS). Et, depuis plusieurs années, « cette approche est complètement intégrée dans la stratégie de lutte contre les IST de plusieurs pays ».
En Suède, au Canada et dans certains États des États-Unis, la NFP est obligatoire. Ainsi, au Texas et en Floride (États-Unis), ne pas informer ses partenaires de sa séropositivité expose à des poursuites judiciaires. Dans d’autres pays, comme au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou au Danemark, la démarche repose sur le consentement du patient. « Cela dit, nous discutons toujours de la NFP avec nos nouveaux patients séropositifs », précise Ceri Evans, conseillère en santé sexuelle au Chelsea and Westminster Hospital de Londres (Royaume-Uni).
En France, il n’existait aucune systématisation de cette pratique. L’adoption d’une préconisation a toujours semblé délicate, car la NFP doit prendre en compte plusieurs droits français fondamentaux : le respect du consentement du patient, le secret médical et le respect de la vie privée de la personne notifiée.
Envie pointe les « écueils » de l’avis du CNS
À Montpellier, cela fait déjà vingt ans que l’association Envie accompagne des personnes vivant avec le VIH dans l’annonce de leur séropositivité à leur entourage. En avril dernier, elle a émis un avis soulignant plusieurs « écueils » dans le rapport du CNS sur la notification formalisée aux partenaires (NFP). « L’impact que peut avoir cette démarche sur l’individu qui informe et sur celles et ceux qui sont informé(e)s est minoré au nom de l’intérêt commun en termes de contrôle des épidémies », peut-on lire. « Notamment, le CNS sous estime l’impact en termes de culpabilisation et de stigmatisation que peut avoir la NFP sur la personne nouvellement diagnostiquée. Par ailleurs, l’entière responsabilité de la prise de risque y semble être le seul fait de cette dernière, alors que le risque est partagé par les deux partenaires », développe Hélène Meunier, médiatrice en santé de l’association. Selon Envie, le moment où doit être effectuée la NFP pose aussi problème, à savoir juste après le dépistage, « autrement dit, au moment le plus traumatisant de la découverte d’une séropositivité ». « Réfléchir à l’idée d’informer ses partenaires nécessite d’avoir déjà assimilé soi-même l’idée d’être contaminé. Or cela demande un certain temps, variable d’une personne à l’autre », précise Nalen Perumal, psychologue de l’association. Hélène Meunier craint qu’une NFP « automatisée » soit contre-productive : « S’il vient à se dire que l’on pousse les patients diagnostiqués positifs à informer leurs partenaires, certains pourraient renoncer au dépistage afin de ne pas devoir en porter la responsabilité morale en cas de résultat positif. » Enfin, Envie souligne qu’outre les CeGIDD, les centres de planification, les professionnels de santé de ville et les associations habilitées au Trod, la démarche de NFP gagnerait à impliquer aussi les associations qui accompagnent les personnes vivant avec le VIH sans proposer du dépistage. « Les associations comme la nôtre sont des espaces d’écoute et de parole importants pour une NFP optimale », insiste Yves Dupont, directeur d’Envie.
Vers une systématisation en France
Suite à la journée Les réseaux sociosexuels : enjeux de recherche, perspectives d’application, organisée le 18 juin 2015 à Paris par Sidaction, lors de laquelle le sujet a été abordé, le CNS a mené une réflexion de fond sur la NFP. Celle-ci a débouché sur l’avis publié en mars dernier à l’attention de la ministre de la Santé et des directeurs des Agences régionales de santé.
Afin de passer d’une pratique disparate, qui dépend du bon vouloir et des priorités des soignants, à une mise en œuvre systématique de la NFP, le CNS préconise d’organiser des services dédiés et de la formaliser, c’est-à-dire de la proposer à tout patient diagnostiqué pour une IST, de manière organisée et encadrée par des recommandations de bonnes pratiques.
Deux grandes approches sont possibles : la notification directe par le patient lui-même, en face à face, par téléphone, courrier, SMS, e-mail ou par les réseaux sociaux ; et la notification par un professionnel de santé. Pour l’instant, le CNS ne recommande pas cette dernière option « en raison des risques encourus en cas de rupture du secret professionnel ». Mais il préconise de créer les conditions légales et réglementaires pour lever cet obstacle.
Selon le CNS, la NFP peut être assistée par des professionnels de santé ou « d’autres personnels intervenant dans le système de santé », notamment des associatifs. Et ce, dans des établissements de soin, des centres de dépistage comme les CeGIDD (centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic), des structures réalisant des tests rapides de dépistage (Trod), telles des associations de patients, ou dans des cabinets de médecins généralistes ou de certains spécialistes (gynécologues, dermatologues…). Afin que sa mise en œuvre soit optimale, le CNS propose de « former à la NFP » les différents professionnels.