Depuis quelques mois, l’attention scientifique est prioritairement centrée sur le Coronavirus. Pour autant la recherche sur le VIH continue : retour sur les derniers progrès en la matière.
L’histoire semble se répéter. Depuis plusieurs mois le monde fait face à un tout nouveau virus. Les chercheurs de toutes disciplines sont sur le pied de guerre pour étudier le coronavirus sous toutes les coutures, en vue de développer un traitement ainsi qu’un vaccin efficace le plus vite possible. Le monde entier semble vivre au rythme des annonces de nouvelles infections et des dernières avancées scientifiques. Avec les mesures de confinement les laboratoires de recherche ont dû restreindre leur activité. La recherche sur les autres pathologies semble en être affectée. Pourtant si l’on y regarde de plus près, on peut constater que la recherche sur le VIH est toujours d’actualité.
Vers un traitement ARV à prise annuelle
L’équipe de recherche menée par les Drs Benson Edagwa et Howard Gendelman (Université du Nebraska) vient de développer ce qui semble être le premier antirétroviral à prise annuelle. Les résultats de leur recherche viennent d’être publiés dans la prestigieuse revue scientifique Nature Materials [i]. Comment sont-ils arrivés à ce résultat ? Les chercheurs sont partis du cabotegravir, un inhibiteur d’intégrase à longue durée d’action, déjà testé en clinique. Ils ont converti le composé en nanocristal, afin qu’une fois injecté il soit lentement métabolisé en forme active par les enzymes de l’organisme. Cette libération prolongée peut durer jusqu’à un an après injection de la prodrogue [ii], comme le prouvent les analyses pharmacocinétiques menées dans des modèles animaux.
Les essais chez l’homme n’ont pas encore démarré. Les chercheurs continuent pour l’instant d’évaluer les propriétés du médicament et sa potentielle toxicité en vue d’un passage à l’homme. Si le médicament vient à passer tous les tests d’efficacité et de sûreté pharmacologiques pour une mise sur le marché, il représenterait une grande avancée thérapeutique pour traiter ou prévenir de l’infection par le VIH. Affaire à suivre.
Entre l’ARN et la particule virale la balance ne tient qu’à un fil
Lors de son cycle viral, le virus VIH utilise la machinerie cellulaire pour fabriquer de nouveau virus. Pour cela il intègre son génome viral à celui de la cellule. Les molécules d’ARN nouvellement synthétisées à partir de la transcription de l’ADN viral vont avoir deux finalités. Ils peuvent être traduits en protéines virales, ou emballés dans de nouveaux virions en tant que génome de descendance. Une balance fine existe entre ces deux formes de transcrits ARN.
Bien que ce processus soit connu depuis longtemps des scientifiques, le mécanisme à l’origine du maintien de cette balance entre les deux formes restait inconnu. L’équipe menée par le Dr Michael Summers (Université du Maryland, USA) vient de dévoiler, dans la prestigieuse revue Science, que cet équilibre ne tient qu’à un seul nucléotide entrant dans la composition de l’ARN produit [iii].
Si le transcrit ARN contient une guanosine au niveau de son extrémité 5’, il servira de génome pour les nouveaux virions. En effet, avec une guanosine l’ARN adopte une conformation qui séquestre la partie requise pour la traduction en protéines mais expose celle nécessaire au recrutement du génome dans la particule virale. Si ce transcrit contient deux ou trois guanosines, la conformation est inversée et il sera traduit pour produire les protéines virales. Cette seule guanosine agit donc comme un interrupteur déterminant le sort des transcrits viraux. Cette région de l’ARN étant peu mutée, elle représente une cible de choix pour le développement de nouvelles molécules thérapeutiques.
Du nouveau pour les réservoirs viraux
Des chercheurs de l’institut de virologie et d’immunologie de Glasdtone à San Francisco ont identifié une population de lymphocytes T CD4 tissulaires exprimant le marqueur CD127 comme potentiel réservoir du VIH. Les expérimentations menées au laboratoire sur des cellules isolées de biopsies d’amygdales ont montré que les cellules exprimant le CD127 bien qu’infectées par le VIH, ne permettaient pas à celui-ci de compléter son cycle viral.
Les chercheurs se sont demandé si cette absence de réplication virale pouvait être due à l’action du facteur de restriction cellulaire SAMDH1. Cette enzyme élimine en effet les nucléotides indispensables à la synthèse de l’ADN viral [iv]. La déplétion de SAMDH1 dans ces cellules n’a pas permis de lancer la réplication virale, excluant dont le rôle de SAMDH1 dans cette absence de réplication. Il semblerait que le mécanisme de blocage de la réplication intervienne plus loin dans le cycle viral. L’ADN viral est bien produit et intégré au génome cellulaire dans ces cellules. La caractérisation phénotypique de ces cellules montre qu’elles sont dans un état de quiescence, contrairement aux autres lymphocytes T CD4 tissulaires. En effet, les voies métaboliques et de signalisation cellulaire impliqués dans la transcription virale, ne sont pas actives.
Ces données suggèrent que les cellules CD127 + peuvent soutenir une infection latente car elles n’expriment pas les multiples facteurs qui permettent une transcription efficace des gènes viraux. Pour finir, la mise en culture de ces cellules avec des agents activant les lymphocytes a entraîné la production de virus. L’ensemble de ces données montre que ces cellules ont toutes les caractéristiques des cellules réservoirs.
Dolutegravir en fin de grossesse : plus efficace dans l’induction d’une charge virale indétectable
Selon les données publiées début mai dans la revue scientifique The Lancet [v], la prise de dolutegravir au cours du dernier trimestre de grossesse permettrait aux femmes naïves de traitement d’avoir une charge virale indétectable au moment de l’accouchement. Ces résultats proviennent de l’essai DolPHIN2, mené en Afrique du Sud et en Ouganda, auprès de 269 femmes enceintes infectées par le virus mais non traitées.
Les investigateurs ont évalué l’efficacité d’un traitement à base de dolutegravir versus efavirenz, administré dans le dernier trimestre de grossesse, dans l’induction d’une charge virale indétectable avant l’accouchement. Les traitements à base de dolutegravir ont déjà montré leur efficacité dans la diminution rapide de la charge virale chez les adultes. La charge virale des participantes a été mesurée avant (J7 – J28 – J36) et après accouchement (J0 – J14). À la naissance de leurs enfants, 74% des femmes sous dolutegravir avaient une charge virale indétectable (inférieur à 50 copies/ml) contre 43% des femmes sous efavirenz. Les traitements étaient bien tolérés par la majorité des participantes. Le groupe sous dolutegravir a tout de même reporté plus d’effets indésirables (22%) que le groupe efavirenz (11%). Il est à noter que trois cas de transmission mère-enfant ont été recensés dans le groupe dolutegravir. Les investigateurs cliniques penchent pour une infection in utero. Pour autant, les nouveau-nés n’ayant pas été testé à la naissance, une contamination péripartum n’est pas à exclure.
Il faut savoir qu’une initiation tardive d’un traitement antirétroviral au cours de la grossesse est associée à un risque sept fois plus élevé de transmission du VIH chez l’enfant et à un doublement de la mortalité infantile au cours de la première année de vie. Dans ce contexte ces données, indiquant que le dolutegravir permet d’arriver à une charge virale indétectable plus rapidement, ont toute leur importance.
[i] https://www.nature.com/articles/s41563-020-0674-z#citeas
[ii] Terme désignant des produits pharmaceutiques sous forme de composé inerte qui seront transformés en une forme active par le corps.
[iii] https://science.sciencemag.org/content/368/6489/413.abstract
[iv] https://www.institutcochin.fr/linstitut/evenements/SAMHD1-est-un-facteur-cellulaire-qui-limite
[v] https://www.thelancet.com/journals/lanhiv/article/PIIS2352-3018(20)30050-3/fulltext