Dans plusieurs pays d’Afrique, les assauts continuent à pleuvoir sur la communauté LGBT. Derniers en date, l’Ouganda et le Burundi. Alors que la lutte contre les discriminations est une condition sine qua non pour lutter efficacement contre le VIH, le recul des droits fait craindre un regain épidémique.
L’Ouganda a longtemps fait figure de bon élève de la lutte contre le VIH, en devenant, en octobre 1996, le premier pays africain à signaler une baisse de l’incidence de son épidémie nationale. Il n’en est pas de même pour le respect des droits humains, en particulier ceux des personnes LGBT+. En la matière, le pays figure parmi les 67 pays criminalisant les relations homosexuelles. En vertu d’une loi coloniale de 1950, alors que le pays était sous tutelle britannique, l’Ouganda interdit les rapports sexuels entre personnes de même sexe, sous peine de prison à vie.
Comme si cela ne suffisait pas, le sujet revient régulièrement sur la table. Tout d’abord en 2000, avec une extension de cette interdiction aux lesbiennes, mais aussi au sexe oral et anal entre hétérosexuels. En 2014, puis en 2019, d’autres tentatives visant à durcir la loi ont vu le jour, sans succès – ce que plusieurs observateurs imputent à la crainte de rétorsions économiques par la communauté internationale. Dernier coup en date, l’Anti-Homosexuality Bill, adopté le 2 mai par la quasi-unanimité des députés (348 voix pour, une contre), encouragé par les églises évangéliques, ravive un vent de haine sur le pays.
Le texte va bien au-delà des seuls rapports sexuels. Il condamne également la « promotion » de l’homosexualité, qui pourrait être punie d’une peine allant jusqu’à 20 ans de prison. Dans le viseur des autorités, les associations de défense de la communauté LGBT+ accusées d’inciter la population, en particulier la jeunesse, à des pratiques jugées déviantes. L’Anti-Homosexuality Bill évoque d’ailleurs la possibilité pour la Cour suprême d’interdire ces associations.
Le texte va jusqu’à prévoir la peine de mort dans les cas d’« homosexualité aggravée », terme visant à assimiler les rapports homosexuels à une forme de violence sexuelle. Parmi les motifs retenus, le viol, les rapports avec des mineurs ou des personnes vulnérables, mais aussi la récidive de rapports homosexuels. Ou encore lorsque ce rapport sexuel engendre, chez la « victime », la survenue d’une maladie, physique ou mentale. Une formulation qui pourrait bien inclure la transmission du VIH, dont la référence explicite a été retirée au cours des débats.
Sur intervention du président ougandais, Yoweri Museveni, le Parlement a dû renoncer à plusieurs autres mesures. Le texte prévoyait initialement l’interdiction pure et simple de s’identifier comme homosexuel (en dehors de tout rapport sexuel), mais aussi l’obligation pour toute personne de dénoncer les actes homosexuels dont elle était témoin. Le délit de non-dénonciation, dont seuls les avocats (mais pas les professionnels de santé) seraient exemptés, a été maintenu pour les cas où la « victime » est jugée vulnérable, avec une peine allant jusqu’à cinq ans de prison.
A ce jour, le texte n’est pas encore entré dans la loi ougandaise. Pour cela, il faudra qu’il obtienne l’aval de la Cour constitutionnelle. Ce qui n’est pas acquis, tant les condamnations internationales, voire les menaces de retombées économiques, se multiplient, émanant aussi bien de pays, d’organismes onusiens que d’ONG. Toutefois, la chasse aux sorcières a déjà commencé, comme l’illustrent le départ d’homosexuels ougandais vers d’autres pays africains (dont le Kenya et l’Afrique du Sud) et l’interdiction, en août 2022, de l’association Sexual Minorities Uganda (SMUG).
La lutte contre le VIH entravée
Sans attendre la promulgation de la loi, ce climat homophobe a déjà des conséquences très nettes sur la lutte contre le VIH. Dans un article publié fin avril dans le Lancet, des militants d’associations communautaires, sous le sceau de l’anonymat, font état de leur difficulté à opérer sur le terrain. Par crainte de raids policiers, voire de lynchage par la foule, nombre de personnes LGBT+ renoncent à se rendre auprès des structures de prévention et de soins, qu’elles soient fixes ou mobiles.
Selon la directrice de l’Onusida pour l’Afrique australe et orientale, Anne Githuku-Shongwe, « l’Ouganda a accompli d’excellents progrès dans la lutte contre la pandémie de sida. Cette nouvelle loi, si elle est promulguée, sabordera ces avancées. Elle éloignera des communautés des services vitaux et empêchera le personnel de santé, y compris des groupes de la société civile, de fournir la prévention, le dépistage et le traitement anti-VIH nécessaires ». « Des études menées en Afrique subsaharienne montrent que dans les pays qui criminalisent l’homosexualité, la prévalence du VIH est cinq fois plus élevée chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes que dans les pays qui ne disposent pas de ce type de lois », ajoute-t-elle.
Comment expliquer un tel regain homophobe en Ouganda ? Contacté par Tranversal, Graeme Reid, directeur de la division droits des personnes LGBT+ de l’ONG Human Rights Watch, y voit « un outil politique bien pratique » pour les autorités. Et une attitude somme toute classique, dès qu’un pouvoir est mis en difficulté : face à la crise économique, la désignation d’un ennemi intérieur permet de « détourner l’attention des échecs réels ». « Les dégâts ont déjà commencé, avec de la violence, de la peur, et des personnes tentant de fuir le pays », observe Graeme Reid.
Au Burundi, la chasse aux associations
Au-delà de l’Ouganda, la communauté LGBT+ fait aussi face à un regain de violence d’Etat au Burundi, pays où les rapports homosexuels sont punis jusqu’à deux ans de prison. Fin février, 25 personnes assistant à un atelier sur l’entreprenariat, organisé par l’association MUCO Burundi, ont été arrêtées, sous le motif de promotion de l’homosexualité. Si sept d’entre elles ont été libérées, les autres demeurent sous les verrous, en attente d’un jugement. Début mars, le siège de trois associations burundaises (Rainbow Candle Light, Transgender Intersex in Action, Together for Women’s Right) subissait une descente d’hommes armés en tenue civile, qui ont interrogé l’agent chargé de la maintenance, embarqué les yeux bandés.
Face à la menace pesant sur leurs vies, plusieurs dirigeants associatifs ont fui le Burundi courant mars. Souvent dans des conditions acrobatiques, que ce soit par voie terrestre vers le Rwanda, ou bien en soudoyant des policiers à l’aéroport de Bujumbura (capitale économique du Burundi). Parmi eux, Saleh Nininahazweh, directeur de Rainbow Candle Light. Réfugié au Bénin, qu’il a pu gagner avec l’aide de l’ambassade des Pays-Bas, il a déjà été emprisonné pendant trois semaines en 2017 pour homosexualité.
Son constat est le même que celui dressé pour l’Ouganda : « quand il y a une crise, les autorités cherchent quelque chose pour distraire la population, pour qu’elle ne vienne pas lui demander des comptes sur les vrais problèmes ». Selon lui, « la religion, la culture, les mœurs » sont autant de facteurs explicatifs à l’homophobie qui règne au Burundi, comme dans d’autres pays d’Afrique. La stratégie nationale de sécurité du pays inclut d’ailleurs l’homosexualité parmi les « atteintes aux valeurs éthiques et morales » menaçant le pays. « A l’école, le seul fait d’être soupçonné d’homosexualité entraîne le renvoi de l’élève, et sa déscolarisation pour l’année en cours. L’année suivante, il lui sera impossible de trouver un autre établissement. Tout cela pour un simple soupçon ! », déplore Saleh Nininahazweh.
Selon lui, ce climat de haine homophobe a déjà des répercussions très nettes sur la lutte contre le VIH/sida au Burundi : « il devient difficile pour les pairs-éducateurs LGBT d’aller sur le terrain, car leur sécurité n’est plus garantie. La distribution des kits de prévention, qui contient notamment des autotests et des préservatifs, ne se fait plus. Les personnes vivant avec le VIH redoutent d’aller dans les structures chercher leurs traitement, de peur d’être identifiées comme homosexuelles ».
Quant à son propre avenir, Saleh Nininahazweh ignore de quoi il sera fait : « pour l’instant, je n’ai aucun plan pour rentrer [au Burundi], toutes les infos que je reçois me découragent d’y aller ». D’autant que sa peine de prison de 2017 n’a pas été menée à terme, et que son dossier n’a pas été classé. Se sentant en sécurité précaire au Bénin, le militant craint, s’il retourne dans son pays, de « disparaître » purement et simplement.