Timothy Brown et Adam Castillejo sont les seules personnes connues à ce jour en rémission durable de leur infection VIH, suite à la greffe de moelle osseuse qu’ils ont subi pour traiter leur cancer. Pourtant ce ne sont pas les seuls à avoir eu recours à ce type de traitement. Malheureusement ces autres patients n’ont pas réussi à éradiquer le virus suite à leur greffe. Les chercheurs du consortium international ICISTEM viennent de mettre à jour une fenêtre de vulnérabilité immunologique post-greffe qui expliquerait en partie pourquoi le virus n’est pas totalement éradiqué chez ces personnes. Les résultats de leur étude viennent d’être publiés dans la revue Science Translational Medecine.
À l’heure actuelle il n’existe aucun traitement permettant d’éliminer le VIH de l’organisme. Pourtant le monde entier a entendu parler des patients de Berlin et de Londres, ces deux cas de rémission du VIH. Comment cela a été possible ? Grâce à la greffe de moelle osseuse effectuée chez ces deux hommes pour traiter leur leucémie. La particularité de ce traitement : la préparation de l’individu avant greffe et la nature des cellules souches hématopoïétiques [i] greffées. En vue d’une greffe, les personnes suivent un traitement pour éliminer les cellules sanguines qui contiennent les cellules cancéreuses. Chez les personnes vivant avec le VIH (PvVIH), cela élimine également les cellules infectées par le VIH. À ce stade de la procédure la majeure partie des cellules porteuses du virus sont détruites. Ensuite vient la greffe de moelle osseuse d’un donneur compatible, qui permet de remplacer les cellules sanguines du patient par les cellules du donneur et ainsi reconstituer un nouveau système immunitaire. Dans le cas des patients de Berlin et Londres, ces donneurs portaient une mutation sur le gène du récepteur CCR5 – utilisé par le VIH pour infecter les cellules. Cette mutation rend les personnes la possédant résistantes à l’infection par les souches de VIH ayant un tropisme CCR5 [ii]. La greffe de cellules souches déficientes en CCR5 reste très rare, le pourcentage de personnes présentant cette mutation étant de 1% à l’échelle mondiale.
Ce type de protocole ne permet malheureusement pas toujours d’éradiquer le virus. Malgré une diminution drastique du nombre de cellules infectées, certaines cellules réservoirs cachées dans les tissus pourront réenclencher une réplication virale dès que le traitement antirétroviral sera stoppé. Identifier les différents facteurs à l’œuvre dans le rebond viral ou la rémission post-greffe est l’objectif du consortium international ICISTEM [iii]. Pour cela ce groupe composé de chercheurs et cliniciens mène depuis 2014 des études observationnelles sur 48 PvVIH ayant subi une greffe de moelle osseuse. L’étude menée par les équipes du Dr Asier Saez-Cirion (Institut Pasteur) et du Dr Julian Schulze zur Wiesch (centre médical universitaire de Hambourg-Eppendorf) vient d’apporter des éléments de réponse concernant ces facteurs [iv].
Les chercheurs ont analysé la cinétique de reconstitution des cellules T chez 16 patients porteurs du VIH ayant subi une greffe de moelle (dont 5 avec des cellules mutées pour le CCR5). Ils ont constaté une reconstitution en lymphocytes T lente (sur plusieurs années) et incomplète (taux inférieur à la normale) suivant la greffe. Dans les premiers temps post-greffe, les cellules nouvellement greffées coexistent avec des cellules du patient encore présentes dans l’organisme. Dans cette étude, une forte activation des lymphocytes T CD4 des patients a été observée. Si ces cellules hébergent du VIH, cette activation pourrait favoriser leur réactivation. Les lymphocytes T CD4 du donneur qui sont en pleine expansion représentent alors la cible idéale pour le siège d’une nouvelle infection. De plus, plusieurs mois après la greffe, une réponse anti-VIH de faible amplitude des lymphocytes T CD8 produits à partir des cellules du donneur a été observée. Ceci indique que ces cellules ont été exposées à des antigènes viraux au moment de leur développement. Les chercheurs ont noté que cette réponse commençait à diminuer au bout de deux ans pour la majorité des personnes de l’étude.
Ces données montrent l’existence d’une fenêtre de vulnérabilité immunologique, où les défenses immunitaires sont trop faibles pour maîtriser le rebond viral causé par les quelques cellules infectées non éliminées, conduisant à l’infection des cellules greffées. Ceci expliquerait pourquoi les allogreffes de cellules souches ne peuvent pas complètement éliminer le virus de l’organisme. Des interventions supplémentaires sont alors à envisager pour tenter de pallier à ce problème de réémergence du virus chez ces patients.
[i] Cellules présentes dans la moelle osseuse à partir desquelles sont produites les cellules sanguines (globules rouges, globules blancs, plaquettes)
[ii] Le tropisme fait référence au type de corécepteurs (CCR5 ou CXCR4) qu’utilise le virus pour infecter les cellules.
[iii] https://www.icistem.org/
[iv] https://stm.sciencemag.org/content/12/542/eaay9355.short