A 37 ans, Patrick Uwimana est directeur du suivi évaluation au sein de l’Association Nationale de Soutien aux Séropositifs et malades du Sida (ANSS) à Bujumbura, au Burundi. Militant de longue date, il se confie sur son parcours et les raisons qui l’ont poussé à s’engager dans la lutte contre le VIH.
Quand on demande à Patrick Uwimana de se présenter en quelques mots, on le sent d’abord un peu gêné à l’idée de devoir parler de lui. « Je suis une personne timide, explique-t-il. Mais j’aime les gens, j’aime voir que les personnes autour de moi se sentent à l’aise et j’aime apporter de l’aide à ceux qui rencontrent des difficultés ». Grand fan de football international, « en particulier du Real Madrid et du Paris Saint-Germain, principalement de Kylian Mbappé », il rêve de voir le Classico au stade Santiago Bernabeu de Madrid.
Il est aussi depuis 8 ans directeur du suivi évaluation au sein de l’Association Nationale de Soutien aux Séropositifs et malades du Sida (ANSS). S’il confie qu’aujourd’hui « tout se passe bien », son parcours ne s’est pourtant pas déroulé sans heurt. « Dès mon enfance, j’ai dû faire face à de grands défis, reconnaît-il. Il y a d’abord eu la guerre, qui a démarré en 1993 et m’a beaucoup affecté, directement ou indirectement. Ensuite, il y a eu le VIH. Apprendre à vivre avec ce virus et à m’adapter a été l’un des plus grands challenges de ma vie ».
Un parcours jalonné de défis
Orphelin de mère à trois ans, Patrick grandit avec son père et deux de ses grands frères. Ballotté de maison en maison, notamment en raison de la guerre, il fréquente quatre établissements différents à l’école primaire, et autant au lycée. Le VIH fait irruption dans sa vie alors qu’il est âgé de 13 ans, lorsque l’un de ses frères tombe malade : après quatre mois d’hospitalisation, les médecins révèlent à sa famille qu’il est porteur du VIH. « C’est à ce moment que j’ai commencé à soupçonner que j’aurais pu moi aussi contracter le VIH, se rappelle Patrick. Ce qui m’a beaucoup interrogé, c’est que j’étais très mince et de petite taille, et que je perdais rapidement mon souffle en jouant au foot. J’ai passé toute une année à me questionner : est-ce que je n’aurais pas contracté le VIH au contact de mon grand frère en m’occupant de lui à l’hôpital ? ». Le jeune garçon se confie à l’une de ses grandes sœurs. Elle lui apprend que leurs parents sont morts du VIH et lui conseille de se faire dépister. Le test se révèle positif.
« Ça a été très difficile pour moi, se souvient Patrick. Je trouvais que c’était tellement injuste d’être séropositif alors que je n’avais pas encore eu de rapports sexuels… Ma grande sœur m’a alors conseillé de prendre contact avec l’ANSS : au sein de l’association, j’ai tout de suite trouvé une équipe qui me comprenait ». A la maison en revanche, les choses ne se passent pas aussi bien. Le jeune homme constate qu’il est considéré et traité différemment depuis que son statut sérologique est connu.
L’ANSS ne disposant pas de solution d’hébergement, Patrick se tourne alors vers une autre association, l’APECOS (Association de Prise En Charge des Orphelins du Sida), dont il intègre l’orphelinat en 2002. « Cette étape a été très importante pour moi, car cela m’a montré que je pouvais vivre avec des enfants infectés mais aussi avec des enfants non infectés. C’est à ce moment-là que j’ai retrouvé l’espoir de vivre et que j’ai pris la décision de devenir un activiste et de m’engager dans la lutte contre le VIH ». Alors que le Burundi n’offre pas encore la gratuité des antirétroviraux, l’un de ses frères travaillant pour Médecins sans frontières Belgique parle de lui à son supérieur. Rapidement, l’ONG propose de financer les médicaments antirétroviraux de l’adolescent qui débute son traitement le 21 juin 2002.
Patrick poursuit ensuite ses études et obtient son bac en 2008 avec une excellente mention, qui devrait en théorie le faire bénéficier d’une bourse pour partir étudier en Algérie. Deuxième au niveau national, il se voit pourtant refuser cette opportunité, le donateur de la bourse exigeant que les lauréats soient non porteurs du VIH. Grâce au Fond Orphelin Gapiya de la diaspora burundaise, il parvient cependant à accéder à l’université dont il sort licencié en informatique en 2012.
Aider les personnes en difficulté
Après ses études, Patrick crée avec un ami une entreprise de secrétariat dont l’activité principale est de mettre en forme les mémoires des étudiants de l’Université Espoir d’Afrique de Bujumbura. En parallèle, il commence à s’engager plus activement au sein de l’ANSS en tant que membre du comité exécutif, en représentation des jeunes. « Je n’ai jamais envisagé mon travail de secrétariat à long terme, je voulais quelque chose de plus, souligne Patrick. J’ai donc d’abord fait un stage dans une entreprise d’installations photovoltaïques, avant de démarrer une vacation de trois mois à l’ANSS, qui recherchait à l’époque quelqu’un pour saisir des pièces comptables ».
Peu après, le poste d’assistant du suivi évaluation se libère et est proposé à Patrick, qui signe ainsi son premier contrat au sein de l’ANSS en 2014. Quelques mois plus tard, il devient directeur du suivi évaluation, poste qu’il occupe aujourd’hui encore. « Mon travail consiste à déployer un plan de suivi évaluation pour m’assurer que les programmes de l’association sont mis en œuvre en respectant le plan stratégique qui a été défini en amont », détaille-t-il.
A côté de son travail à l’ANSS, Patrick est aussi très actif auprès des jeunes. Il accompagne notamment ceux qui sont non observants de leur traitement antirétroviral. « Certains jeunes ont complètement arrêté leur traitement et sont dans un état sanitaire déplorable, regrette-t-il. Mais il existe des stratégies pour les approcher et gagner leur confiance. Étant moi-même séropositif et ayant aussi été aidé de cette façon, j’estime qu’il est très important de m’impliquer ainsi, à côté de mes fonctions de suivi évaluation. Si après ton intervention, ces jeunes retrouvent la confiance, le goût de vivre et reprennent leur traitement, cela donne véritablement un sens à ta vie ».
« Ce qui me tient vraiment à coeur, poursuit Patrick, c’est d’aider les personnes en difficulté, surtout les personnes vivant avec le VIH (PVVIH). A l’ANSS, il y a un projet intitulé Projet Paris Sida Sud qui prend en charge des orphelins infectés par le VIH, dont j’ai moi-même été lauréat. Une partie des lauréats a décidé de se réunir pour aider les autres : nous collectons des fonds entre nous pour soutenir des personnes qui sont très démunies. Nous finançons surtout les activités génératrices de revenus (AGR) pour que ces publics en difficulté puissent gagner en autonomie. C’est un groupe au sein duquel je suis très actif et je compte bien continuer sur cette lancée ».
En parallèle de ces nombreuses activités, le directeur du suivi évaluation suit un master en gestion de projets. « Cela m’aide à pouvoir piloter plus de projets qui sont sur des axes différents, que ce soit à titre personnel ou collectif, explique-t-il. D’ailleurs, en parlant de sujets personnels, il y a quelque chose que je n’ai pas mentionné : je suis père de famille, et ma femme et mon fils sont les plus beaux cadeaux que j’ai. Mon fils a eu deux ans le 4 mars dernier. Pour moi, c’est très beau et très encourageant de voir tout le chemin que j’ai parcouru et à quel point je n’ai jamais baissé les bras ».