vih Pénuries de PrEP en Allemagne : une situation à craindre en France ?

09.04.24
Dorothée Duchemin
8 min
Visuel Pénuries de PrEP en Allemagne : une situation à craindre en France ?

Une association allemande de lutte contre le Sida alertait en mars sur les difficultés d’approvisionnement en PrEP. Certaines personnes qui la prenaient en continu étaient contraintes de passer à la demande pour économiser les pilules.

En février dernier, la revue gay britannique Gay Times [i] se faisait l’écho d’une enquête menée en Allemagne par l’association de lutte contre le VIH Dagnä. Selon elle, 90 % des cabinets médicaux et pharmacies étaient touchées par une pénurie du médicament prescrit pour la PrEP, diminutif de « prophylaxie préexposition », destinée à protéger les personnes très exposées au VIH [ii].

Selon l’association Dagnä, le système allemand ne permet un remboursement que pour le fabricant qui propose le produit le moins cher. Les concurrents ont ainsi tendance à réduire la production, s’attendant à de faibles ventes pour leur produit. Avec une telle concentration du marché, le moindre grain de sable dans l’engrenage peut entraîner des difficultés d’approvisionnements, voire des pénuries.

En mars, le directeur général de l’association, Dorian Doumit, confirmait à Transversal que « la pénurie officielle pour la combinaison médicamenteuse emtricitabine et ténofovir-disoproxil [TDF + FTC, commercialisé sous le nom de Truvada©, ndrl] avait été déclarée en février ». Malgré les annonces de plus grandes quantités mises sur le marché par plusieurs laboratoires, « la situation reste tendue et seules de petites quantités peuvent être achetées auprès des grossistes », nous indiquait alors Dorian Doumit. Il précisait être en contact avec les autorités allemandes afin d’avoir une vue plus précise de l’approvisionnement.

Comment se prend la PrEP ?

Pour rappel, la PrEP est un médicament qui se prend de deux manières, soit en continu soit à la demande. La PrEP à la demande se prend selon le schéma suivant : deux comprimés dans un délai de 24 heures à deux heures avant le début d’un rapport à protéger, puis un comprimé 24 heures après la première prise puis une autre, 48 heures après.

En prise continue, « il faut débuter par 2 comprimés de PrEP entre 2 heures et 24 heures avant le premier rapport sexuel à protéger puis un comprimé tous les jours à la même heure, avec 24 heures entre chaque prise », explique le site de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) [iii]. Le site ajoute : « c’est le seul mode validé chez les femmes nées avec des organes génitaux féminins. Chez la femme cis, la protection n’est efficace qu’au bout de 7 jours de prise continue et devra être poursuivie 7 jours après le dernier rapport sexuel ».

Pourquoi ? « On sait maintenant que le principe actif de la PrEP par Truvada© se diffuse moins bien et moins rapidement dans la muqueuse vaginale et ses concentrations n’y sont pas suffisants lorsqu’on utilise la PrEP à la demande. Chez les femmes, la PrEP est toujours prescrite en continu », explique à Transversal, le Dr. Pascal Pugliese, médecin au CHU de Nice, président du Corevih Paca-Est, membre du Conseil national du Sida et de la Société française de lutte contre le Sida (SFLS). 

Autre groupe de population pour qui seule la prise en continu est possible, les personnes souffrant d’une hépatite B chronique. « Le Truvada et ses génériques sont aussi prescrits contre le virus de l’hépatite B (VHB). Ce médicament permet de stopper la réplication de ce virus. Le prendre à la demande ne permettrait pas de lutter efficacement contre le VHB, et, en outre, pourrait occasionner l’apparition de résistances au médicament. Pour être efficace contre le VIH mais aussi le VHB, c’est forcément un médicament à prendre en continu », confirme le Dr. Pugliese.

Passer de la PrEP en continu à la PrEP à la demande en cas de pénurie ?

Les autres groupes de populations très exposées au VIH, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) notamment, peuvent prendre la PrEP en continu ou à la demande. Cela dépend surtout de leurs pratiques. « S’il arrive à la personne d’avoir un rapport non protégé avec un partenaire dans l’heure qui suit une rencontre, il est préférable de prendre une PrEP en continu. La personne peut alors avoir à tout moment un rapport non protégé par un préservatif, mais protégé par la PrEP . Les personnes en activité sexuelle plus ‘programmée’ peuvent utiliser la PrEP à la demande », précise le médecin.

Une pénurie de PrEP a forcément des conséquences sur la vie des personnes concernées. En Allemagne, selon l’article de Gay Times, il a été conseillé aux patients, par les médecins et centres de santé, de passer en schéma à la demande, pour économiser les pilules – ce qui, on l’a vu, est impossible pour les personnes nées avec des organes génitaux féminins. Celles-ci ne peuvent tout simplement plus bénéficier de la PrEP pour protéger leurs rapports. Quant aux autres, cela implique sans doute de réduire leur activité sexuelle, d’utiliser des préservatifs ou de s’exposer à des rapports sexuels non protégés.

Au plan de la santé publique, l’absence de PrEP implique donc un risque de voir repartir les contaminations de VIH à la hausse. « La prophylaxie préexposition concerne des populations particulièrement exposées, qui, en l’absence de PrEP, se retrouveraient comme avant 2016, sans protection. La PrEP a permis, avec le dépistage répété et le placement des personnes séropositives sous antirétroviraux à une diminution importante du nombre de nouvelles contaminations, note Pascal Pugliese. Supprimer même temporairement l’un de ces outils seraient contre-productif dans l’objectif d’une élimination de la transmission d’ici 2030 » [iv].

Des pénuries de PrEP pourraient-elles avoir lieu en France ?

Le système français ne fonctionne pas de la même manière que le système allemand, plusieurs génériques de PrEP étant distribués et remboursés en France. Toutefois, on a pu le constater ces dernières années, des pénuries de médicaments peuvent survenir, d’antibiotiques notamment. C’est pourquoi la France a établi l’année dernière une liste de 450 médicaments essentiels dont l’approvisionnement doit être sécurisé.

Problème ? Ni la PrEP ni aucun autre médicament ARV n’y est inscrit. La Société française de lutte contre le Sida (SFLS), qui n’a pas été sollicitée pour l’élaboration de cette liste, s’inquiétait dans les colonnes de VIH.org, « de ne voir apparaître aucun des antirétroviraux ayant fait la preuve de leur efficacité dans le traitement et la prévention de l’infection par le VIH » et rappelait que « l’interruption liée à l’indisponibilité de ces antirétroviraux peut conduire à des situations individuelles et collectives dramatiques » [v]. 

Une liste européenne a également vu le jour, appelée à évoluer. « On a été sollicité l’année dernière par la Direction générale de la santé pour le compte de l’Agence européenne du médicament, afin de participer à l’élaboration de la liste des médicaments essentiels. On y a évidemment inscrit des médicaments essentiels dont la PrEP bien entendu. Pour l’heure nous n’avons aucun retour à ce sujet », note le Dr. Hugues Cordel, infectiologue à l’hôpital Avicenne (Bobigny) et président de la SFLS contacté par Transversal.

Il ajoute : « Pour l’heure, il n’y a pas de menace, à ma connaissance, de pénurie ou de difficulté d’approvisionnement. On a eu effectivement des problèmes avec les antibiotiques, jamais avec les ARV. Toutefois, le fait d’inscrire la PrEP et les ARV sur la liste des médicaments essentiels ne signifie pas qu’il y ait une menace mais permet justement d’éviter les pénuries. Il s’agit surtout de préserver une filière et une production locale, du moins régionale ».

Actuellement, aucune alternative au Truvada© ou ses génériques n’est disponible en France. Un autre traitement, le cabotegravir injectable à action prolongée a bien été approuvé aux Etats-Unis en prophylaxie et est recommandé par l’OMS depuis 2022. Il a été autorisé par l’Union européenne en septembre 2023. Malheureusement, à ce jour, il n’est toujours pas autorisé en France à des fins prophylactiques.

En France, selon Epi-Phare, un groupement d’intérêt scientifique associant l’ANSM et la Cnam, depuis 2016, 84 997 personnes de 15 ans et plus ont initié une PrEP, soit, 31 % de plus qu’à la fin juin 2022 [vi].

Notes et références

[i] https://www.gaytimes.co.uk/life/why-is-germany-so-low-on-prep-and-will-hiv-infections-now-rise/
[ii] La PrEP est un médicament composé de deux molécules actives contre le VIH, l’emtricitabine et le ténofovir-disoproxil, initialement vendue sous le nom de Truvada©. Ce sont principalement des génériques qui sont désormais distribués.
[iii] https://hopital-saintlouis.aphp.fr/comment-prendre-la-prep/
[iv] L’éradication de l’épidémie d’ici 2030 est un objectif fixé par les Nations Unis, objectif repris par la France.
[v] https://vih.org/vih-et-sante-sexuelle/20230704/aucun-arv-dans-la-liste-des-450-medicaments-essentiels/
[vi] https://www.epi-phare.fr/rapports-detudes-et-publications/prep-vih-2023/

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