Sidaction : Que peut la psychanalyse pour lutter contre l’épidémie de VIH aujourd’hui, notamment chez les homosexuels ?
Pierre Bonny : Son pouvoir en la matière est limité et puissant à la fois. Avec la psychanalyse, il ne s’agit ni de dire ou conseiller au sujet ce qu’il doit faire, mais plutôt de partir des solutions qu’un sujet peut élaborer pour se protéger. Cela suppose que le sujet repère la logique qui le conduit à s’exposer. Pour qu’il veuille en savoir quelque chose, il faut que ses prises de risque l’interrogent et suscitent un inconfort, le poussant à explorer ses motivations. Au cas par cas, la psychanalyse peut permettre, en sondant les ressorts inconscients, une « déconstruction » de la prise de risque et une « reconstruction » de la prévention. En sorte, il s’agit d’une approche latérale de la prévention, dans la mesure où, par l’association libre, on finit par parler de tout autre chose que du risque. C’est cet insu – ce qui n’est pas su – qui, dans l’après coup de la consultation, éclaire le sujet sur lui-même et crée une dynamique vers un changement de ses pratiques.
Sidaction : Pour éclairer les mécanismes à l’œuvre dans l’exposition au VIH, vous utilisez deux concepts, le « pari » et le « fétiche ». Expliquez-les nous.
PB : Ces concepts visent autant à éclairer les logiques d’exposition que les logiques de protection. Les personnes qui ont participé à la recherche ont souvent repéré en entretiens que leurs prises de risque intervenaient après une déception professionnelle ou amoureuse. La prise de risque apparaît alors comme un moyen de remettre en jeu, de « parier », son existence et de rechercher un plus de vie. Le sida peut devenir une préoccupation psychique privilégiée pour exprimer ce pari. La dimension fétichiste du sida, c’est qu’en tant qu’objet d’angoisse, il polarise la libido du sujet et s’avère en cela autant repoussant que fascinant. Ceci peut conduire à osciller entre des conduites de prévention et des conduites d’exposition au risque suivant les contingences de l’existence.
Sidaction : Quelle analyse faites-vous de la place prise par la psychanalyse dans la recherche sur le VIH en France ces dernières années ?
PB : Déjà, pendant les années 80 et 90, la psychanalyse était moins présente dans la recherche que la sociologie. Cela tient essentiellement à son objet : la psychanalyse n’embrasse pas le collectif, elle fonctionne discrètement, au cas par cas, et travaille nécessairement « sur mesure ». En fait, elle a surtout été présente sous forme de consultations psychothérapeutiques dans les services de maladies infectieuses ou dans les centres de prévention afin d’aider les personnes séropositives ou exposées au risque à affronter la maladie ou à élaborer des stratégies de prévention adaptées. En fait, la psychanalyse n’a pas vocation à orienter les politiques de santé publique, même si elle soutient évidemment l’accès à la prévention et aux soins. Ceci dit, elle peut intervenir dans les débats scientifiques en étudiant, à travers des recherches universitaires comme celle que j’ai réalisée, l’analyse des logiques d’exposition au risque.
A lire : Pierre Bonny, Le Sida fétiche. Une approche psychanalytique de la prévention auprès de sujets gays, Presses universitaires de Rennes, 2018. Les moins familiers avec la psychanalyse gagneront à lire, en particulier, la seconde partie consacrée à l’exposition des cas cliniques, tous très éclairants.