vih Pourquoi développer une approche féministe de la lutte contre le VIH/sida ?

02.06.21
Sonia Belli
7 min

Malgré les progrès accomplis depuis une vingtaine d’années, la perspective de mettre fin à l’épidémie de VIH/sida d’ici 2030 pourrait être remise en question si les inégalités liées au genre ne sont pas prises en compte plus efficacement dans les stratégies de lutte contre le virus.

A l’échelle mondiale, les femmes représentent plus de la moitié des personnes vivant avec le VIH/sida [1], qui est aussi la première cause de mortalité chez les femmes de 15 à 49 ans. En Afrique subsaharienne, cinq nouvelles infections sur six chez les 15 à 19 ans concernent les filles, et les jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans sont deux fois plus susceptibles de vivre avec le VIH que les hommes [2].

Cette incidence disproportionnée s’explique par différents facteurs, au premier rang desquels les inégalités liées au genre. « Les adolescentes et les femmes présentent effectivement de nombreux facteurs de risque de contracter le VIH. Le travail sexuel, la violence fondée sur le sexe et la violence entre partenaires intimes, l’accès limité à l’éducation et le manque de services adaptés entravent leur accès aux soins de santé et alimentent les nouvelles infections », confirme Caya Lewis Atkins, coordinatrice des programmes adolescentes et jeunes femmes auprès du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

Dès la quatrième conférence mondiale sur les femmes à Pékin en 1995, les États s’étaient pourtant engagés à fournir des efforts pour associer les femmes et les filles aux politiques publiques de lutte contre le VIH/sida. Le sujet « Genre et VIH » est également présent dans les débats et dans la stratégie d’organisations internationales comme le Fonds mondial ou l’Onusida. Mais dans la pratique, le compte n’y est pas.

Quelle place pour les femmes dans la lutte contre le sida ?

« Historiquement, les femmes et les filles ont été largement exclues des espaces de décision et des programmes qui affectent leur santé et leur bien-être. C’est particulièrement le cas en Afrique occidentale et centrale francophone, des régions caractérisées par des inégalités sociales, économiques et politiques persistantes entre les sexes. Ces facteurs contribuent à des résultats médiocres chez les femmes et les filles en matière de santé sexuelle, notamment le VIH, de santé maternelle et de santé des enfants », résume Caya Lewis Atkins.

Le rôle des femmes dans la lutte contre le VIH/sida a aussi longtemps été appréhendé au travers de la transmission mère-enfant, occultant l’enjeu plus vaste des rapports inégalitaires basés sur le genre, qui font le terreau des nouvelles contaminations, que les femmes soient mères ou non. « Dans la lutte contre le sida, il faut prendre en compte les femmes de façon beaucoup plus globale et considérer leur spécificités, estime Joséphine Mandeng, porte-parole du mouvement LBQ Camerounais. Il y a des adolescentes, des lesbiennes, des femmes urbaines, des femmes rurales, des femmes handicapées, des travailleuses sexuelles… ». Ce sont aussi souvent les femmes qui prennent en charge les malades, pour pallier des systèmes sociosanitaires déficients, sans que leur rôle ne soit là encore véritablement reconnu.

Pour bon nombre de structures, l’inclusion des femmes dans leurs programmes de lutte contre le VIH/sida devient pourtant un enjeu stratégique, de plus en plus de financeurs conditionnant leurs financements à leur présence. Mais si elles sont assises à la table des discussions, elles ne bénéficient pas forcément d’un pouvoir de décision ni de la même écoute que leurs homologues masculins. « Il arrive que les militantes féministes soient représentées dans les mécanismes de mise en œuvre des politiques de lutte contre le sida mais leur légitimité et leur expertise ne sont pas encore assez reconnues, regrette Lucie Daniel, experte Plaidoyer de l’ONG Equipop, qui œuvre pour les droits et la santé des femmes et filles. Il y a aussi un soutien financier à renforcer pour qu’elles puissent travailler en réseau et se structurer pour avoir une parole collective sur cette question. Mais il n’y a pas la culture de les associer dès la première phase de ces programmes, ce qui fait que les questions de genre ne sont pas suffisamment prises en compte ».

Intégrer le genre dans la lutte contre le sida

Les notions de genre et de gestion des inégalités sont pourtant essentielles pour aborder les questions de santé sexuelle et reproductive. « On peut faire une campagne de sensibilisation de masse et distribuer des préservatifs, mais la question est surtout de savoir comment la femme va négocier leur utilisation avec son mari. Si elle séropositive, peut-elle lui dire ? Et si elle ne le dit pas, elle peut concevoir un enfant qui sera infecté… Il faut libérer la parole de la femme et lui donner plus de pouvoir et d’accompagnement pour qu’elle puisse prendre elle-même en charge son corps et qu’on puisse arriver à une possible éradication du sida », estime Joséphine Mandeng.

Intégrer le genre dans la lutte contre le VIH/sida implique en effet un important effort collectif de nos sociétés pour revoir les rapports entre femmes et hommes au même titre que des politiques volontaristes, notamment sur l’éducation à la sexualité et dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Or, rappelle Lucie Daniel, « on sait qu’aucun état dans le monde ne s’est vraiment donné les moyens de lutter contre cela. En France, où est mise en avant une « diplomatie féministe », on voit que les associations féministes se font assez peu entendre sur ces sujets ».

Les freins sont politiques et opérationnels : si des outils existent, leur mise en œuvre est loin d’être satisfaisante. Dans certaines organisations, les approches de genre sont parfois institutionnalisées, considérées comme une case à cocher pour une demande de subvention ou une question purement technique, alors qu’elles nécessiteraient d’être abordées d’une façon politiquement plus ambitieuse. « La raison principale est que nous vivons encore dans des sociétés très patriarcales et comme pour beaucoup de sujets, les femmes doivent se battre pour se faire entendre, poursuit Lucie Daniel. Je pense que nos organisations politiques et internationales ne sont pas exemptes de ces rapports, qui sont finalement un peu le reflet de notre société ».

La lutte contre le VIH/sida doit être féministe

Pour l’experte Plaidoyer, les leviers d’action sont aussi politiques et diplomatiques, notamment dans le contexte de politique féministe revendiquée par la France. « Le sujet a beaucoup été évoqué lors du dernier G7 et est d’autant plus affirmé avec la tenue du Forum Génération Égalité fin juin à Paris, souligne-t-elle. Cette diplomatie féministe pourrait se décliner dans la lutte contre le sida. La France pourrait utiliser son levier diplomatique pour faire pression au sein d’organisations internationales, faire en sorte que les stratégies soient améliorées et qu’il y ait une meilleure redevabilité sur les questions de genre. La France fait déjà un peu son travail avec d’autres pays comme le Canada ou la Suède, mais il me semble important de créer un front commun ».

Caya Lewis Atkins estime elle aussi qu’une approche féministe est indispensable : « Nous ne parviendrons pas à maîtriser l’épidémie sans empêcher les filles et les femmes de contracter le VIH. Pour ce faire, nous devons les placer au centre de nos programmes et les inclure dans la création de ceux qui leur sont destinés. Nous devons écouter ce qu’elles nous disent sur ce dont elles ont réellement besoin pour assurer leur sécurité. Cela signifie également que nous devons atteindre les hommes et changer leurs comportements et leurs croyances, puisque nous nous efforçons de réduire l’inégalité entre les sexes et de changer les normes et pratiques de genre qui mettent en danger les femmes et les filles. Il faut également s’attaquer aux systèmes, aux lois et aux politiques qui créent des obstacles à la santé et à la sécurité des femmes, ou qui stigmatisent les femmes. C’est ce que fait une approche féministe ».

Notes

[1]   https://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/women_girls_hiv_en.pdf

[2]   https://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/UNAIDS_FactSheet_fr.pdf

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